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Chapitre 4

Author: dainamimboui
last update Last Updated: 2025-08-16 03:11:33

Le manoir était silencieux, comme toujours.

Trop silencieux.

Léna marchait lentement dans le couloir, les bras croisés, les épaules nues sous le pull trop grand qu’elle avait trouvé dans le dressing. Elle n’avait pas mangé ce matin. Elle n’avait pas faim. Ou peut-être ne le savait-elle plus.

Elle s’arrêta devant une porte double. Son cœur battait fort.

C’était son bureau.

Depuis qu’elle avait été amenée ici, elle n’avait jamais osé frapper à cette porte. C’était l’espace d’Ilyès. Le cœur de son pouvoir. Son antre. Elle savait que s’y présenter sans y être invitée était risqué. Mais aujourd’hui, elle avait besoin de parler.

Juste de demander.

Elle prit une inspiration, puis frappa doucement. Aucun son.

Elle attendit quelques secondes, puis poussa la porte lentement. Elle était entrebâillée. Il n’avait pas verrouillé.

Il était là.

Ilyès, assis derrière son bureau en acajou, penché sur des dossiers. Costume sombre, montres chères, cheveux tirés en arrière. Immuable. Inébranlable.

Il leva à peine les yeux vers elle.

— Qu’est-ce que tu fais ici ?

Léna s’avança d’un pas. Puis d’un autre.

Elle garda les mains croisées devant elle.

— Je ne veux pas te déranger… commença-t-elle.

Il leva les yeux, cette fois. Un regard noir. Impatient.

— Trop tard.

Elle ravala sa salive.

— Je voulais juste… avoir un téléphone. Pas pour partir. Juste… pouvoir appeler mon père. Savoir s’il est en vie.

Silence.

Il la fixa longuement.

— Tu veux un téléphone ? répéta-t-il, d’un ton neutre.

Elle hocha doucement la tête.

— Je ne connais personne ici. Je suis seule. Je voulais juste pouvoir parler à quelqu’un. Même brièvement. C’est tout.

Un rire sec s’échappa de ses lèvres.

— Tu veux parler ? C’est nouveau.

Léna sentit le rouge lui monter aux joues.

Mais elle garda les yeux baissés.

— Je pensais que ce n’était pas une demande excessive…

— Tout est excessif venant de toi.

Il se leva brusquement. Tourna autour de son bureau.

Elle recula légèrement, par réflexe.

— Tu veux un téléphone ? Pour quoi faire ? Pour pleurer dans le creux de l’oreille de ton père qui t’a vendue ? Pour appeler une amie et jouer la victime ? Tu veux qu’on vienne te sauver, Léna ?

— Non. Ce n’est pas ça, murmura-t-elle.

— Tu crois que je vais te donner une arme, comme ça ? Un outil pour fuir ? Manipuler ? Mentir ?

— Je ne veux pas fuir, Ilyès.

Mais il ne l’écoutait plus. Il claqua violemment un dossier sur la table.

— Dégage.

Elle resta figée.

— Je t’ai dit dégage !

Le mot claqua comme une gifle.

Elle sursauta légèrement. Son cœur s’emballa.

Mais elle ne pleura pas.

Elle ne protesta pas.

Elle hocha simplement la tête, comme une élève punie, et fit demi-tour sans un mot.

Il ne la suivit pas. Il ne la rappela pas.

Elle referma la porte doucement derrière elle.

Le couloir était plus long qu’à l’aller.

Ses pas étaient lents, comme alourdis. Elle croisa une femme de ménage, qui baissa les yeux immédiatement. Même ici, dans ce monde figé, personne ne parlait à Léna.

Elle n’existait pas.

Une ombre entre les murs.

Elle atteignit sa chambre, ferma la porte, et resta un moment adossée contre le bois.

Puis elle marcha vers le lit, sans se déshabiller, et s’y allongea sur le côté. Ses bras repliés contre elle. Les yeux fixés sur rien.

Elle ne pleura toujours pas.

Quelque chose en elle s’était résigné.

Elle avait compris que même demander était une erreur.

Qu’ici, chaque mot pouvait être retourné contre elle.

Qu’Ilyès ne voulait pas seulement la posséder physiquement.

Il voulait la réduire.

Et elle… elle l’avait laissé faire.

De l’autre côté du manoir, Ilyès s’était rassis à son bureau, mais il ne lisait plus rien.

Son regard était vide.

Il avait vu son visage. Il avait vu l’espoir dans ses yeux. L’espoir idiot et fragile d’un téléphone.

Il aurait pu dire oui.

Il aurait pu poser des limites, surveiller ses appels, lui donner une illusion de liberté. Mais non.

Il avait préféré la rejeter.

Il préférait quand elle se taisait. Quand elle baissait les yeux. Quand elle obéissait.

Il avait le pouvoir. Et pourtant…

Pourquoi, alors, ce goût amer dans sa bouche ?

Pourquoi repensait-il à son regard déçu ? À ses épaules frêles quand elle avait reculé ?

Il frappa du poing sur la table. Une colère sourde.

Ce n’était pas censé le toucher.

Elle était là pour payer. Pour se taire. Pour souffrir, comme il l’avait souffert.

Pas pour lui faire regretter de la briser.

Pas pour lui rappeler qu’elle était humaine.

La pluie tombait doucement contre les grandes vitres du salon, rythmant le silence du manoir.

Tout était calme, presque trop calme. Mais Léna, elle, ne trouvait aucun repos.

Depuis la veille, elle ne dormait plus. Pas vraiment. Elle fermait les yeux, oui, mais l’intérieur de sa tête restait bruyant.

Des pensées sombres, des phrases qu’elle aurait voulu dire à Ilyès, d’autres qu’elle n’aurait jamais dû entendre.

Et toujours cette sensation de n’être qu’une présence floue dans sa propre vie.

Elle s’était assise près de la fenêtre. Elle regardait dehors, sans vraiment voir. Elle n’avait pas mangé. Encore.

Un léger coup à la porte la fit sursauter.

— Entrez, murmura-t-elle, sans se retourner.

La porte s’ouvrit doucement.

Une femme entra, la quarantaine peut-être. Discrète. Elle portait l’uniforme des domestiques de la maison : jupe noire, chemise grise, chignon serré. Elle tenait un plateau avec une théière fumante, quelques tranches de pain et du miel.

Elle le posa sur la table basse du salon, puis resta un moment, sans rien dire.

Léna tourna légèrement la tête.

— Je n’ai pas demandé ça, dit-elle.

— Je sais, répondit la domestique. Mais vous n’avez rien avalé depuis deux jours. Je me suis permis.

Sa voix était douce. Différente de celle des autres employés, qui semblaient éviter Léna comme une maladie contagieuse.

Léna la fixa, surprise. C’était la première fois que quelqu’un la regardait avec autre chose que de l’indifférence.

— Comment vous vous appelez ? demanda-t-elle.

Un silence. Puis un sourire timide.

— Dalia.

— Merci, Dalia.

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