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chapitre :3

Author: Heart flower
last update Last Updated: 2025-10-12 20:32:20

• ஜ • ❈ • ஜ •

Le Velours Pourpre n'avait jamais été aussi silencieux. Même la musique d'ambiance, habituellement discrète et enveloppante, semblait s'être éteinte pour laisser place à un silence de cathédrale, lourd et palpable. Les lumières tamisées baignaient la salle d'une lueur ambrée, et les flammes dansantes des bougies sur chaque table projetaient des ombres mouvantes qui dansaient sur les murs comme des spectres. Leur chaleur trompeuse tentait vainement de dissimuler la tension électrique qui parcourait l'air, semblable à l'instant précédant l'orage.

Elara, postée près du bar, vérifiait une dernière fois l'alignement parfait des couverts. Ses doigts tremblaient imperceptiblement, non de terreur, mais sous l'effet de cette nervosité sourde qui l'habitait depuis son retour. Tous les serveurs semblaient tendus, sur le qui-vive, et Marius, d'ordinaire si maître de lui, arpentait la salle d'un pas nerveux, ajustant un centimètre de nappe, redressant un verre avec une obsession maniaque.

— « Il arrive dans moins d'une heure », chuchota une voix derrière elle.

Elle ne chercha même pas à identifier son origine. Dans cet antre, certaines paroles étaient des portes closes qu'il valait mieux ne pas entrouvrir.

Peu avant vingt-et-une heures, les premiers convives firent leur entrée. Des hommes taillés dans le même costume sombre et inimitable, arborant des montres dont le prix équivalait sûrement à des années de son salaire. Ils étaient précédés par un nuage de parfums riches et complexes, un sillage olfactif qui persistait après leur passage comme une signature invisible. Ils parlaient peu, échangeant des regards éloquents et des hochements de tête brefs, un langage codé dont elle était exclue.

Elara les accueillit avec son sourire le plus professionnel, guidant les uns, servant les autres. Elle sentait leurs yeux posés sur elle par intermittence, non avec la convoitise habituelle de certains riches clients, mais avec une attention aiguisée, analytique. Comme si elle n'était pas une simple employée, mais une pièce sur l'échiquier qu'ils venaient de déployer.

Marius la rejoignit à l'écart, lui effleurant presque l'épaule.

—« Reste concentrée », murmura-t-il, son souffle chaud contre son oreille. « Surtout, ne laisse rien transparaître. »

—« Je sais… mais Marius, qui est… ? »

—« Pas de questions. »

Le ton, coupant comme une lame, mit un terme immédiat à ses velléités. Elle se contenta de hocher la tête, la gorge serrée.

C'est alors qu'elle remarqua deux hommes en costume noir, aussi immobiles que des statues de part et d'autre de l'entrée. Ils ne tenaient pas de plateaux, ne souriaient pas. Leurs yeux balayaient la salle en continu, absorbant chaque détail, chaque mouvement. Leur simple présence transformait la porte en goulot, en un point de contrôle invisible.

La soirée s'écoulait, et Elara naviguait entre les tables, son plateau un bouclier, distribuant des verres de vin rouge aux reflets profonds et mystérieux. Les conversations n'étaient plus que murmures étouffés, chuchotements à peine audibles.

Puis, soudain, un changement imperceptible se produisit dans l'atmosphère. Le silence se fit plus dense, plus lourd, comme si l'oxygène lui-même se raréfiait. Elara ne comprit pas immédiatement la cause, mais elle la sentit dans ses os : une présence nouvelle venait de franchir le seuil.

Elle ne se retourna pas. L'instinct lui dictait de ne pas croiser ce regard trop tôt. Pourtant, une énergie magnétique et écrasante sembla irradier dans toute la pièce. Les chuchotements cessèrent complètement. Marius, près du bar, se figea un instant avant de s'avancer vers l'entrée, la posture légèrement courbée dans un geste de déférence absolue.

— « Bonsoir, Monsieur Marchand », dit-il avec un respect qui fit froid dans le dos à Elara.

Elle n'aperçut qu'une silhouette dans son champ de vision réduit par les bouteilles alignées : un costume anthracite, taillé sur mesure, et l'éclat furtif d'une montre en or qui capta la lumière.

L'homme avança avec une lenteur calculée vers la table du fond, celle que Marius avait préparée comme un autel. Aucun mot n'était nécessaire. Sur son passage, les conversations mouraient et les corps se figeaient dans une immobilité respectueuse.

Elara poursuivit son service, feignant une indifférence qu'elle était loin de ressentir. Chacun de ses gestes, même à distance, lui semblait scruté, pesé, jugé. Elle n'osa pas s'approcher de la table de l'arrivant. Marius en personne, assisté du serveur le plus expérimenté, s'en chargea.

Ce ne fut qu'en retournant vers les cuisines qu'elle croisa, dans le reflet oblique d'un miroir ornemental, un fragment de son visage. Juste un éclair. Mais ce fut suffisant pour qu'un frisson glacé lui parcoure l'échine. Des yeux d'un gris acier, perçants et d'une intensité déstabilisante, qui semblaient cataloguer, évaluer, disséquer tout ce qu'ils effleuraient. Et ce regard, bien que distant et indirect, lui donna soudain l'impression troublante d'être déjà vue, déjà connue.

Elara pressa le pas, le cœur battant la chamade. Elle ignorait tout de cet homme, mais une certitude viscérale l'envahit : il n'était comme aucun autre.

Et elle savait, avec une intuition primitive, que tôt ou tard, leurs destins allaient inévitablement s'entrechoquer.

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