chapitre : 4

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Le dîner s'écoulait avec une lenteur cérémonieuse, scandé par le cliquetis cristallin des couverts sur la porcelaine et le chuchotement étouffé des conversations qui semblaient se dissoudre dans l'air lourd. Elara se concentrait sur chaque geste, tentant désespérément d'ignorer la présence de l'homme installé au fond de la salle. Pourtant, son influence était palpable, tel un parfum envoûtant qui imprégnait chaque recoin de l'établissement. Une ombre élégante mais écrasante, qui modifiait jusqu'à la qualité du silence alentour.

Depuis son arrivée, il avait à peine ouvert la bouche. Il absorbait l'atmosphère, observait avec une acuité déconcertante, ne répondant que par de brefs acquiescements ou des monosyllabes. Marius se tenait à ses côtés, attentif comme un majordome, une sentinelle veillant sur un trésor invisible.

Peu après vingt-deux heures, le chef lui confia une assiette particulièrement raffinée à servir à la table maudite ou sacrée, elle ne savait plus. Son hésitation fut brève mais réelle. La protocolaire attribution de cette zone à un autre serveur ce soir-là volait en éclats lorsque Marius, tout en conversant au bar, lui fit un discret signe de tête.

—« Vas-y, Elara. »

Elle inspira profondément, sentant son pouls s'accélérer, et s'avança, le plateau légèrement tremblant entre ses mains. Chaque pas résonnait étrangement dans le silence feutré, comme si elle marchait vers un destin qu'elle pressentait inévitable.

Parvenue devant la table, elle déposa délicatement l'assiette devant l'homme au costume sombre, évitant soigneusement son regard.

—« Votre plat, Monsieur. »

Il leva alors les yeux vers elle. Des yeux d'un gris acier, perçants, qui semblèrent traverser les siens pour lire dans les recoins les plus secrets de son âme. Il ne souriait pas, mais son expression n'était pas hostile. C'était... intrigant, déstabilisant.

— « Vous êtes nouvelle ici ? » demanda-t-il d'une voix grave, veloutée, qui contrastait avec l'acuité de son regard.

Elara se redressa imperceptiblement, cherchant son équilibre.

—« Non, Monsieur. Cela fait trois ans déjà. »

Un silence s'installa, bref mais intense. Son regard l'analysait, évaluant chaque micro-expression, chaque nuance dans sa posture. Puis il hocha lentement la tête, comme s'il venait de résoudre une équation complexe.

—« Alors vous savez sans doute que dans ce genre d'endroit, » reprit-il, baissant légèrement la voix, « il est préférable de voir sans sembler regarder, et d'entendre sans avoir l'air d'écouter. »

Elle sentit un frisson lui parcourir l'échine.

—« Je... comprends, Monsieur. »

Une esquisse de sourire effleura ses lèvres - ou plutôt une ombre de sourire, qui n'atteignit pas ses yeux.

—« Bien. » Puis, après une pause calculée : « Vous pouvez reprendre votre service. »

Elle s'éloigna, le cœur battant à se rompre dans sa poitrine. Ces quelques mots, à la fois avertissement et initiation, résonnaient en elle comme un écho persistant. En regagnant la cuisine, elle tenta de calmer son souffle court, mais son esprit ne cessait de revenir à cette voix envoûtante, à ce regard pénétrant, et à cette conviction grandissante que cet homme, dont elle ignorait encore tout, venait de la désigner comme bien plus qu'une simple serveuse dans le théâtre de son pouvoir.