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chapitre : 8

Author: Heart flower
last update Last Updated: 2025-10-14 14:41:57

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Un changement imperceptible s'opéra en Guy Marchand. Ce fut d'abord une prise de conscience physique, une sensation immédiate et désarmante qu'il n'avait jamais éprouvée : la peur. Non pas la peur calculée des mauvaises affaires ou des rivaux, mais une peur viscérale, désordonnée, centrée sur une seule personne. Elara.

Elle était assise en face de lui dans la limousine aux vitres teintées, silencieuse, observant la ville défiler. La lumière des réverbères balayait son visage par intermittence, illuminant son profil sérieux. Et soudain, l'idée qu'un danger, ne serait-ce qu'une éclaboussure de la boue de son monde, puisse l'atteindre, lui serra la poitrine avec une violence inouïe.

Cette révélation le frappa comme une trahison de son propre corps. Il avait bâti son empire sur un équilibre précaire entre le luxe et la brutalité. Il avait toujours considéré les sentiments comme une faille, une vulnérabilité que ses ennemis pourraient exploiter. Et voilà que cette femme, avec ses yeux qui refusaient de se baisser et son silence éloquent, avait insinué en lui cette faille.

— « Vous semblez préoccupé », dit-elle, sans tourner la tête, comme si elle sentait son regard peser sur elle.

Il détourna les yeux, fixant le néon d'un building.

—« Les affaires. Rien qui ne vous concerne. »

C'était un mensonge. Tout la concernait, désormais. Il avait commencé à revoir ses plans, à déplacer des réunions, à écarter d'elle certaines personnes. Il avait appelé Luca la veille, lui ordonnant de filtrer tous les dossiers qui passeraient entre les mains d'Elara. Elle ne devait voir que la partie lisse, légalisée, aseptisée de ses activités. Le reste – les contrats sous le manteau, les « négociations » musclées, les ombres qui rôdaient dans les couloirs de son empire – devait rester dans l'obscurité.

Il devint son rempart secret. Un après-midi, alors qu'elle travaillait dans son bureau, un de ses associés, un homme aux épaules larges nommé Kovacs, était entré sans frapper, le visage durci par la colère.

—« Guy, il faut qu'on parle de ce qui se passe dans le port. Ce n'est pas… »

Marchand s'était levé d'un bond, coupant net sa phrase. Sa voix était devenue un couteau, basse et tranchante.

—« Pas ici. Pas maintenant. Mon bureau. Tout de suite. »

Kovacs avait jeté un regard surpris à Elara, puis avait acquiescé, comprenant l'avertissement. Une fois seuls, Guy avait fermé la porte et s'était retourné vers lui, les poings serrés.

—« Tu n'entres jamais dans cette pièce sans mon autorisation explicite. Et tu ne parles jamais affaires devant elle. Est-ce clair ? »

Kovacs avait hoché la tête, son regard devenu méfiant.

—« C'est clair. Je ne savais pas qu'elle était… »

—« Elle n'est rien », avait coupé Guy, trop vite. « C'est une employée. Et tu respectes mes règles. »

Mais ses règles changeaient, et tout le monde le sentait. Il raccompagnait Elara le soir, sous prétexte d'être sur le même chemin, alors que son appartement était à l'opposé de son itinéraire habituel. Il vérifiait discrètement le rétroviseur, s'assurant qu'aucune voiture ne les suivait. Il avait même remplacé les deux gardes du corps habituels, jugés trop voyants, par des hommes plus discrets, en leur donnant pour instruction prioritaire de veiller sur elle, sans qu'elle le sache.

Un soir, alors qu'il la déposait devant son immeuble, une impulsion soudaine le fit parler.

—« Elara. Ce monde… » Il chercha ses mots, lui qui était toujours si éloquent. « Il peut être brutal. Il faut toujours regarder où vous mettez les pieds. »

Elle se tourna vers lui, et dans la pénombre de la voiture, son regard était une question silencieuse.

—« Vous me le répétez souvent. Je commence à croire que ce n'est pas une métaphore. »

Il soutint son regard, et pendant un instant, l'envie le submergea de tout lui dire. De la mettre dans le prochain avion pour une destination lointaine, de la soustraire à l'ombre qu'il sentait grandir autour d'eux. Mais il savait que c'était impossible. Elle était déjà dans le jeu. La retirer maintenant, c'était la désigner comme une cible.

— « Ce n'en est pas une », admit-il finalement, la voix rauque. « Faites-moi confiance. »

Les mots sonnèrent faux, même à ses oreilles. Comment pouvait-elle lui faire confiance, lui qui était l'architecte de ce monde dangereux ?

Alors qu'elle disparaissait derrière la porte de son immeuble, Guy Marchand resta un long moment immobile, les mains crispées sur le volant. Ce sentiment grandissant, ce besoin viscéral de la protéger, était plus qu'une faiblesse. C'était une révolution. Pour la première fois de sa vie, il avait trouvé quelque chose de plus important que son empire. Et il savait, avec une certitude glacée, que pour la protéger, il devrait peut-être un jour se dresser contre les démons de son propre royaume. Le plus grand danger pour Elara n'était pas dans la rue. Il était assis à côté d'elle, luttant contre un sentiment qui pourrait les perdre tous les deux.

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