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chapitre : 9

Author: Heart flower
last update Last Updated: 2025-10-15 15:57:02

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Le nouveau monde d'Elara était un paradoxe perpétuel. D'un côté, une lumière éclatante : un bureau avec une vue à couper le souffle, un salaire qui lui permettait pour la première fois de sa vie de ne pas compter, des vêtements en soie qui lui caressaient la peau comme une promesse. De l'autre, une ombre persistante, rampante, qui se glissait dans les interstices de cette perfection apparente.

Cela commença par des détails, des riens qui, mis bout à bout, formaient un motif inquiétant.

Ce fut d'abord la clé USB. Luca lui en avait confié une, un matin, avec des instructions laconiques : "M. Marchand en a besoin pour sa réunion de 15h. Imprimez le dossier 'Projet Janus'." Sur l'écran de son ordinateur, les fichiers s'ouvrirent, des tableaux Excel complexes, des rapports de marché. Mais en basculant entre les onglets, son curseur glissa sur un fichier nommé "F rett". Il s'ouvrit avant qu'elle n'ait pu l'arrêter. Ce n'étaient pas des chiffres, mais des notes, rédigées dans un langage sibyllin. "Livraison ETA 02:00. Quai 7. Équipe Delta. Paiement en crypto, compte offshore Z." Et plus bas, une seule phrase qui la fit frémir : "Nettoyage requis après transfert."

Le mot "nettoyage" lui glaça le sang. Ce n'était pas du vocabulaire commercial. C'était un terme de gangster, de film noir. Elle avait fermé le fichier en sursaut, comme s'il était brûlant, le cœur battant la chamade. Quand elle avait remis la clé à Luca, il l'avait regardée avec ses yeux de reptile, et elle s'était demandé, paniquée, s'il pouvait voir la trace de sa curiosité sur l'écran.

Ensuite, ce furent les conversations téléphoniques de Guy. Il lui arrivait de travailler tard dans son bureau attenant au sien, et le son de sa voix, basse et ferme, traversait la fine cloison. Elle n'entendait jamais de menaces explicites, jamais de cris. C'était pire. C'était le calme, terrible, avec lequel il prononçait des phrases comme : "Faites comprendre à notre associé que sa réticence est une insulte coûteuse." Ou encore : "La situation avec l'inspecteur Dubois doit être... clarifiée. De manière définitive."

Un soir, elle était restée après l'heure, compulsant des contrats. La porte de son bureau était entrouverte. Elle avait entendu la voix de Kovacs, l'homme aux épaules larges, grondante et mécontente.

—« Il parle trop, Guy. Il a peur. Une peur bête. »

—« La peur n'est pas bête, Kovacs, avait répondu Marchand avec une lassitude qui glaça Elara. C'est un signal. Mais parfois, le signal devient une nuisance. »

—« Je peux le faire taire. Une discussion franche. »

—« Non. Pas encore. Augmente simplement la pression. Qu'il sente le poids de son... imprudence. »

Elara s'était recroquevillée sur sa chaise, les doigts serrés sur son stylo au point de le blanchir. Elle avait entendu la lourde démarche de Kovacs s'éloigner. Puis un silence. Et soudain, la silhouette de Guy était apparue dans l'encadrement de sa porte. Elle avait sursauté.

— « Vous travaillez tard », avait-il dit, son regard luisant dans la pénombre.

Elle avait senti un afflux de panique. L'avait-il entendue retenir son souffle ? Avait-il deviné qu'elle avait tout entendu ?

—« Je... terminais les contrats pour la filiale suisse. »

—« Bien. » Il était entré, se déplaçant avec la silencieuse élégance d'un grand fauve. Il s'était arrêté près de son bureau, effleurant du bout des doigts la reliure en cuir d'un livre d'art. « Ce monde peut être brutal, Elara. Vous le savez, n'est-ce pas ? »

C'était la deuxième fois qu'il utilisait ces mots. Ce n'était plus une mise en garde. C'était une confirmation.

—« Je commence à le comprendre », avait-elle murmuré, la gorge serrée.

Son regard s'était posé sur elle, lourd, intense, cherchant au-delà de ses mots.

—« La brutalité n'est pas toujours là où on l'attend. Parfois, elle est nécessaire pour protéger ce qui compte. Pour maintenir l'ordre. »

Il avait dit cela avec une conviction qui la troubla profondément. Il ne se présentait pas en criminel, mais en gardien. Un gardien qui utilisait des méthodes terrifiantes. Et le plus déroutant était que, par moments, elle pouvait presque le comprendre. Après une vie de vulnérabilité, il y avait une séduction perverse dans cette idée de pouvoir absolu, de contrôle qui ne pliait jamais.

La fascination naissait de la peur même, comme une fleur vénéneuse poussant sur un sol empoisonné.

Le point de rupture arriva un vendredi soir. Guy lui avait demandé de rester pour classer des archives dans une petite pièce sécurisée au fond de l'étage, une pièce dont elle n'avait jamais eu la clé auparavant. "Des vieilleries", avait-il dit en haussant les épaules. La pièce était poussiéreuse, remplie de cartons étiquetés de dates remontant à une décennie. Elle s'était mise au travail, méthodiquement.

C'est en déplaçant une lourde boîte marquée "2015" qu'elle fit tomber par inadvertance une chemise cartonnée. Des photos se dispersèrent sur le sol. Elle se pencha pour les ramasser, et son sang se glaça dans ses veines.

Ce n'étaient pas des photos de réunions ou de soirées mondaines. C'étaient des clichés flous, pris au téléobjectif. Des hommes se rencontrant dans des parkings souterrains. Des valises échangées. Et une photo, nette celle-là, qui la fit vaciller. On y voyait un homme, allongé sur le sol d'une ruelle, le visage tuméfié, une marque sombre autour du cou. Il avait les yeux grands ouverts, vides. Mort. Et debout près de lui, tournant le dos à l'objectif, une silhouette qu'elle reconnut immédiatement à la coupe impeccable de son manteau et à sa posture : Guy Marchand.

Un vertige la saisit. Elle s'effondra sur ses talons, la photo tremblant dans sa main. La réalité lui frappa le visage avec la force d'un marteau. Ce n'était plus du sous-entendu, de la menace voilée. C'était la preuve tangible, visuelle, qu'elle partageait sa vie avec un meurtrier.

La peur fut immédiate, écrasante. Une nausée monta dans sa gorge. Elle devait fuir. Tout laisser, disparaître. Appeler la police. Mais une autre pensée, plus lente, plus insidieuse, émergea du chaos. Il m'a confié l'accès à cette pièce. Il a confiance en moi. Et cette photo... pourquoi l' a-t-il gardée ? Était-ce un trophée ? Un avertissement ? Ou le fragment d'une histoire bien plus complexe ?

Elle entendit des pas dans le couloir. Le cœur battant à tout rompre, elle fourra précipitamment les photos dans la chemise, la replaça dans la boîte et se releva, s'efforçant de composer son visage au moment où la porte s'ouvrait.

C'était Guy. Il la regarda, et son regard, d'habitude si impénétrable, sembla lire la panique qui devait se peindre en lettres de feu sur son visage.

—« Tout va bien ? Vous êtes pâle. »

—« La poussière », bredouille a-t-elle en portant une main à sa gorge. « Et la fatigue. »

Il s'approcha, lentement. Il sentait le whisky et le cuir. Son ombre l'engloutit.

—« Cette pièce est... chargée d'histoire. Pas toutes glorieuses. » Il posa une main sur son épaule. Le contact était brûlant, lourd de sens. « Parfois, on doit salir ses mains pour préserver ce en quoi l'on croit. »

Elle leva les yeux vers lui, incapable de parler. La peur et la fascination s'affrontaient en elle dans un combat titanesque. Elle avait peur de lui, de ce qu'il avait fait, de ce dont il était capable. Mais elle était fascinée par son audace, par le pouvoir sombre qui émanait de lui, et par le fait qu'il lui montre, à elle, cette part d'ombre. Il ne la traitait plus en employée, ni même en protégée. Il la traitait en complice potentielle.

— « Je... je crois que j'ai fini pour ce soir », réussit-elle à articuler.

—« Bien. Je vous raccompagne. »

Dans la voiture, le silence était épais, chargé de tous les non-dits. Elle regardait la ville défiler, mais elle ne voyait plus que l'image de l'homme mort dans la ruelle. Et le visage de Guy, si calme, si contrôlé, qui pouvait ordonner une mort et, une heure plus tard, s'inquiéter de sa pâleur.

En la déposant, il lui retint la main un instant alors qu'elle ouvrait la portière.

—« Elara », dit-il, sa voix plus basse, presque vulnérable. « Ce que nous construisons... c'est plus important que les moyens que nous employons. N'oubliez jamais cela. »

Elle se retrouva seule sur le trottoir, frissonnante, le poids de ses mots et de son regard la transperçant. Elle monta dans son appartement, verrouilla la porte derrière elle et s'effondra contre le battant, le corps secoué de frissons incontrôlables.

Elle était perdue. Elle avait levé le coin du voile et découvert un monstre. Mais c'était un monstre qui la regardait avec des yeux qui n'étaient pas ceux de la cruauté, mais d'une forme pervertie de loyauté. Et au plus profond d'elle-même, dans une partie d'elle-même qu'elle détestait, elle sentait une excitation coupable, un désir malsain de voir jusqu'où cette ombre s'étendait, et quelle place elle pourrait y occuper. La peur lui disait de fuir. La fascination lui chuchotait de rester. Et entre les deux, Elara Vance, l'éclat du soleil, se consumait dans l'ombre dorée de Guy Marchand.

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