La lumière du matin filtrait à travers les rideaux blancs de la chambre d’amis, dans un jeu d’ombres dorées. Clarissa s’éveilla au chant inconnu d’un oiseau, très loin des cris des cochers ou des marteaux des charpentiers de Londres. Le silence, ici, n’était pas vide. Il était épais, enveloppant, presque intimidant.Elle se leva, drapée dans une chemise de nuit ivoire brodée, et marcha pieds nus sur le parquet grinçant. L’odeur du bois ancien, du linge lavé à la main, des herbes sèches qu'on avait glissées dans les tiroirs : tout cela composait un parfum d’un autre monde.Elle s’approcha de la fenêtre, tira les rideaux.Les terres s'étendaient à perte de vue, baignant dans la lumière douce du matin. Des chevaux galopaient dans un pré. Plus loin, des silhouettes s'affairaient à ramasser des sacs de toile. Elle aperçut Elias, à dos de cheval, silhouette droite, dirigeant les hommes sans un mot, seulement par des gestes précis.Elle serra les doigts sur le rebord de la fenêtre.Il avait
Le vent chaud de fin d’après-midi faisait onduler les herbes hautes comme une mer dorée. Sur la lande, les cris des corbeaux résonnaient comme une mise en garde. Elias plissa les yeux. Au loin, une calèche noire tirée par deux chevaux gris serpentait lentement le long de l’allée rocailleuse menant au manoir. Un nuage de poussière s’élevait derrière elle, soulevant l’odeur sèche de la terre brûlée par le soleil de juillet.Elias, torse légèrement découvert, les manches retroussées jusqu’aux coudes, s’était arrêté de travailler dans l’enclos. Sa chemise blanche était tachée de sueur et de poussière, et ses bottes de cuir craquelées portaient les traces de la journée.Il s’accouda à la barrière en bois, le regard dur. Il détestait ces arrivées surprises. Les invités de la ville ne comprenaient jamais vraiment ce que signifiait vivre ici : le silence, l’espace, les cicatrices de la terre, les hivers implacables, les étés arides. Ce n’était pas un décor de romance. C’était un territoire. U
Sept ans plus tardÉté 1882 – Côte de CornouaillesLes vagues venaient mourir sur le sable en une rumeur apaisante, presque hypnotique. Les rochers couleur d’ambre, polis par le vent et l’eau, semblaient éternels. Le jardin du cottage était fleuri, débordant de pivoines, de roses blanches et de lavandes. Au loin, une silhouette dessinait des arabesques sur une toile, son chevalet posé face à l’horizon.Léna peignait.Elle avait grandi, mûri, mais ses yeux gardaient cette lueur indomptable, cette même étincelle qu’elle avait le jour où elle avait quitté Bristol, les cheveux en bataille et le cœur battant.Noah sortit de la maison avec leur fils dans les bras — un petit garçon de cinq ans, aux boucles sombres et aux yeux clairs.— Il a encore chipé mon carnet de croquis, dit-il en souriant.— Il tient de son père, répondit-elle sans lever les yeux de sa toile.Noah s’approcha, déposa un baiser sur son cou.— Ou de sa mère. L’artiste du siècle.— Tu flattes trop, Blackwood.— Toujours. C
Le silence dans la maison était devenu assourdissant.Depuis la visite de l’inconnu, Noah ne parlait plus. Il passait ses soirées à tailler du bois à mains nues, le regard perdu vers les montagnes. Son visage avait retrouvé cette dureté qu’il portait au début. Moi, je me battais contre l’angoisse qui me rongeait, mais je ne posais pas de questions. Je savais que s’il gardait le silence, c’était pour me protéger.Mais ce soir-là, alors que le feu crépitait et que la pluie tambourinait sur les carreaux, il s’assit face à moi, et parla.— Il s’appelle Ezra. C’est… un ancien compagnon d’arme. Du temps où j’étais encore soldat.Je relevai la tête brusquement.— Soldat ? Tu ne m’as jamais parlé de ça.— Parce que je ne voulais pas que tu voies ce que j’étais, Léna. Ce que j’ai fait.Il prit une longue inspiration, le regard fuyant.— J’étais dans un régiment chargé de missions spéciales. Des exécutions, des pressions… des silences bien payés. On appelait ça la justice officieuse. Et Ezra ét
Les montagnes étaient désormais derrière eux, silhouettes brumeuses figées à l’horizon. Ils avaient franchi la frontière. Un monde nouveau s’ouvrait devant eux — moins exigeant, plus sauvage, mais surtout… libre.Le village de Grafton, niché dans une vallée verdoyante, n’était qu’un hameau de pierres grises et de toits en ardoise. Les habitants y étaient simples, travailleurs, méfiants mais pas hostiles. Et surtout, personne ne connaissait leurs noms.—— Nous pourrions dire que nous sommes frère et sœur, proposai-je un matin en lavant du linge près du ruisseau. Ce serait plus simple.Noah fronça les sourcils, adossé à un tronc.— Je te regarde une seconde de trop et tout le monde devinera le contraire.— Alors nous serons… mari et femme ? suggérai-je, plus audacieusement.Il esquissa un sourire.— Tu veux m’épouser pour survivre ?— Je veux survivre pour pouvoir un jour t’épouser, répondis-je.Son regard se posa dans le mien. Il ne répondit pas. Il se leva simplement, s’approcha de m
Les jours avaient filé comme des éclats de lumière entre les doigts. Depuis l’affrontement, la cabane n’était plus un abri mais un souvenir brûlant. La mort de Garrick avait libéré Noah, mais elle avait scellé leur destin à tous deux : ils devaient fuir, quitter ce monde qui ne les accepterait jamais ensemble.Les routes étaient boueuses, les forêts épaisses, les villages hostiles. Le XIXᵉ siècle n’accordait pas de pardon aux femmes qui aimaient les mauvais hommes. Et encore moins aux hommes qui traînaient un passé sanglant.Mais ils avançaient. Côté à côte.---Noah boitait légèrement, une main posée contre son flanc bandé. La plaie guérissait lentement, mais il refusait d’admettre la douleur.— Tu pourrais te reposer un peu, murmurai-je alors que nous approchions d’un relais de poste abandonné.— Et te laisser porter mon sac toute seule ? Tu rêves.— Je suis forte, tu sais. Tu ne m’as pas vue la nuit où je t’ai sauvé ?Il sourit, faiblement.— Tu étais magnifique… et terrifiante.Le