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Le marché des ombres

Author: Lili33
last update Huling Na-update: 2025-07-29 00:57:29

Le soir s’était abattu sur Bristol, engloutissant la ville dans un voile d’obscurité piqué de milliers de lumières. Je n’avais jamais vu un marché nocturne, encore moins un aussi animé. La rumeur des voix, le claquement des sabots, l’odeur mêlée de sel, d’épices et de charbon… Tout semblait irréel, presque enivrant.

Je n’aurais jamais dû être là. Mère me croyait plongée dans la lecture au manoir. Pourtant, un besoin irrépressible de comprendre m’avait poussée à me glisser hors des murs oppressants et à suivre la pente qui menait aux docks.

Sous les guirlandes de lampes à huile, les étals se pressaient, débordant de fruits exotiques, de tissus chamarrés et de caisses d’alcool aux sceaux discrets. Des hommes aux visages burinés marchandaient à voix basse, des femmes au regard vif riaient d’un air trop fort pour être vrai. Tout vibrait d’une vie brute, dangereuse, presque séduisante.

Je m’arrêtai près d’un vendeur de lanternes, fascinée par les reflets dans le verre coloré. C’est alors que je le sentis : ce frisson, ce tiraillement familier, comme si un fil invisible venait d’être tendu.

Je me retournai. Il était là.

Noah Blackwood. Appuyé nonchalamment contre un mât, les bras croisés, il semblait absorber la scène d’un regard perçant. Sa chemise sombre, ouverte au col, laissait deviner la tension de ses muscles. Ses cheveux indisciplinés captaient la lumière des lanternes, et ses yeux verts… ces yeux, qui semblaient lire jusqu’à mes pensées, étaient fixés sur moi.

— Vous n’avez rien à faire ici, murmura-t-il en s’approchant, sa voix grave couvrant à peine le tumulte du marché.

Je restai muette, mon cœur battant si fort que j’avais peur qu’il l’entende.

— Je… je voulais seulement voir la ville, balbutiai-je.

Un sourire ironique effleura ses lèvres.

— La ville ? Ici, ce ne sont pas les salons où vous jouez à être quelqu’un d’autre. Vous n’êtes pas à votre place.

Je relevai le menton, piquée au vif par son ton.

— Et vous ? Vous vous permettez de décider où je peux aller ?

Ses yeux se plissèrent légèrement, une lueur d’amusement mêlée à un avertissement.

— Vous ne comprenez pas. Ce n’est pas un endroit pour les gens de votre monde. Un pas de travers, et vous pourriez y laisser plus qu’un jupon déchiré.

Je soutins son regard, refusant de reculer.

— Peut-être que je ne veux plus de ce monde, lâchai-je sans réfléchir.

Ses sourcils se haussèrent, surpris.

— Faites attention à ce que vous souhaitez, dit-il doucement. Les gens comme moi… nous ne revenons pas en arrière.

Un silence tendu s’installa, seulement troublé par les cris des marchands et le cliquetis des chaînes au loin.

— Pourquoi m’avez-vous sauvée ? demandai-je enfin, ma voix à peine plus qu’un souffle.

Il détourna légèrement la tête, ses mâchoires se contractant.

— Parce que je n’avais pas envie de voir une fille comme vous écrasée sous une calèche. Pas aujourd’hui.

— Alors demain, vous m’auriez laissée ?

Un éclat de rire sec franchit ses lèvres, sans joie.

— Vous avez du cran. Mais vous devriez rentrer, avant que quelqu’un d’autre ne remarque votre présence.

Je fis un pas vers lui, défiant la distance qu’il semblait vouloir imposer.

— Et si je ne veux pas ?

Ses yeux s’assombrirent, une ombre fugace passant sur son visage.

— Alors vous ne savez pas encore dans quoi vous vous engagez.

Je m’apprêtais à répondre lorsque des éclats de voix éclatèrent à quelques mètres de nous. Deux hommes, visiblement ivres, se disputaient violemment autour d’une caisse de marchandises. Le ton monta rapidement, des insultes fusèrent, et l’un d’eux dégaina un couteau, brillant sous la lueur vacillante des lanternes.

Je sursautai, reculant instinctivement, mais Noah posa une main ferme sur mon bras.

— Ne bougez pas, ordonna-t-il d’une voix basse mais tranchante.

Avant que je comprenne, il s’interposa entre moi et la scène. Sa posture se transforma : le jeune homme nonchalant céda la place à une présence menaçante, prête à bondir.

— Lâche ça, lança-t-il d’un ton calme mais chargé d’une autorité glaciale.

L’homme au couteau se figea, hésitant, puis ricana :

— Toujours à te mêler de ce qui te regarde pas, Blackwood ?

Je sentis la tension se répandre comme une onde. Même les badauds alentours reculaient, évitant le regard de Noah. Lentement, le second homme murmura quelque chose à son compagnon, et, après un instant d’hésitation, tous deux s’éloignèrent, disparaissant dans le dédale des étals.

Noah relâcha mon bras, son expression redevenant impassible.

— C’est pour ça que je vous dis de partir. Un mot de travers ici, et tout peut dégénérer.

Je tentai de retrouver mon souffle, mon cœur battant encore à tout rompre.

— Vous… vous les avez fait fuir juste en leur parlant, soufflai-je.

Il haussa une épaule.

— C’est un endroit où la réputation vaut plus que les poings.

Un silence s’étira entre nous, lourd de ce que nous n’osions pas dire.

Je relevai timidement les yeux vers lui :

— Et votre réputation, elle dit quoi ? Que vous êtes dangereux ?

Il me dévisagea, et dans son regard passa une lueur fugace, entre amusement et amertume.

— Ça dépend à qui vous demandez. Certains diront que je suis un problème. D’autres… que je suis la solution.

Je souris malgré moi, un sourire fragile, vite effacé par la gravité de son expression.

— Et moi, qu’est-ce que je dois croire ?

Il se pencha légèrement, et je sentis son souffle effleurer ma joue.

— Que vous devriez rester loin de moi, murmura-t-il.

Pourtant, aucun de nous ne bougea. Le tumulte du marché nous entourait, mais dans ce cercle invisible formé par nos regards, tout semblait s’effacer.

Enfin, Noah se redressa, détournant les yeux.

— Rentrez chez vous, Léna. Ce n’est pas un endroit pour vous.

Il s’éloigna sans un mot de plus, se fondant dans la foule comme une ombre. Je restai immobile, mon cœur encore prisonnier de cette étrange étreinte invisible, consciente d’une seule chose : plus je tentais de l’éviter, plus je me sentais irrésistiblement attirée par lui.

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