Lucien
La nuit est tombée depuis longtemps lorsque je pousse la porte d’un club privé du huitième arrondissement, un de ces lieux où l’élite de Paris vient conclure des affaires loin des regards indiscrets. L’endroit respire le luxe et le vice maîtrisé, un sanctuaire pour ceux qui savent que le pouvoir se négocie mieux dans l’ombre qu’à la lumière du jour.
Je traverse la salle principale, effleurant distraitement du regard les hommes d’affaires, les politiciens et les femmes qui gravitent autour d’eux comme des étoiles autour d’un soleil mourant.
Au fond, une table m’attend. Et Cassandra est là.
Elle est assise, les jambes croisées, un verre de vin rouge à la main. Son tailleur crème épouse ses formes avec une élégance calculée, et son regard, lorsqu’il se lève vers moi, est une arme à double tranchant.
Je m’assois sans un mot, l’observant un instant. Elle ne semble pas troublée par ma présence, ni même par les informations qu’elle a dû recevoir récemment.
— Je suppose que tu sais pourquoi je suis ici., dis-je en posant mes coudes sur la table.
Elle repose son verre, effleurant le pied du bout des doigts.
— Tu comptes nier ?
— Pourquoi le ferais-je ?
Je souris légèrement.
— Ce n’est pas mon style.
Elle me fixe, impassible.
— Alors tu admettras sans problème que tu cherches à racheter des parts d’une de mes filiales ?
Je hausse un sourcil, amusé.
— « Chercher » est un bien grand mot. J’ai déjà commencé.
Elle serre légèrement la mâchoire, mais sa colère est maîtrisée. C’est ce que j’aime chez elle. Cassandra ne perd jamais le contrôle, elle l’adapte.
— Quel est ton but, Lucien ?
Je me penche légèrement en avant, ancrant mon regard dans le sien.
— Mon but ?
Je laisse un silence, puis reprends d’un ton plus bas.
— Toi.
Ses doigts cessent de caresser le verre, et ses prunelles s’assombrissent légèrement.
— Je ne suis pas une part de marché qu’on rachète., souffle-t-elle.
— Non. Tu es bien plus que ça.
Je marque une pause, la laissant digérer mes mots.
— Mais tu es aussi une femme entourée de requins. Gabriel en est un. Moi aussi. Raphaël ? Lui, c’est un incendie qui finira par te consumer.
Elle ne réagit pas immédiatement, mais je sais que mes paroles s’insinuent en elle.
— Et toi, Lucien ? Que ferais-tu, si je te laissais approcher ?
Mon sourire s’étire lentement.
— Je t’élèverais encore plus haut.
Elle hoche légèrement la tête, comme si elle évaluait mes mots.
— Et si je refuse ?
Je me lève lentement, ajustant ma veste.
— Alors je m’assurerai que tu ne sois à personne.
Elle ne cille pas. Mais je vois le frisson imperceptible qui parcourt sa peau.
Je m’incline légèrement et tourne les talons.
Je n’ai pas besoin de menacer Cassandra Morel.
Elle sait que dans cette guerre, il n’y aura qu’un vainqueur.
Et ce sera moi.
Cassandra
Le parfum du vin rouge s’évapore lentement dans l’air, mais ce n’est pas le goût sur mes lèvres qui me trouble.
Lucien Valmont.
Il est reparti avec l’assurance d’un homme qui ne doute jamais de sa victoire. Mais ce qu’il ignore, c’est que je ne suis pas un trophée que l’on revendique ni une pièce que l’on déplace sur un échiquier.
Je me lève lentement, faisant crisser le tissu soyeux de mon tailleur contre le cuir de la banquette. Mon regard balaie la salle du club. J’ai appris à sentir les regards, à deviner les pensées de ceux qui m’entourent. Ici, le pouvoir est une monnaie d’échange, et je suis la plus précieuse des devises.
Je déteste ça.
Un frisson glacé me traverse l’échine. Ce n’est pas la peur, ni même la colère. C’est cette prise de conscience brutale : si je ne prends pas les devants, c’est moi qui finirai dévorée.
Je sors du club et monte dans ma voiture.
— Où allons-nous, madame Morel ?, demande mon chauffeur.
Je croise les jambes, mon regard fixé sur la ville qui s’étale devant moi, impassible.
— À mon bureau.
Mon immeuble est plongé dans un silence presque religieux à cette heure avancée de la nuit. Je traverse le hall, prenant l’ascenseur jusqu’au dernier étage.
Lorsque j’ouvre la porte de mon bureau, je m’arrête net.
Gabriel est assis dans mon fauteuil.
— Tu comptes me demander de sortir, ou puis-je rester confortablement installé ?, lance-t-il d’un ton léger.
Je referme la porte derrière moi et m’approche lentement.
— Tu es entré comment ?
Il sourit.
— Cassandra, voyons. Je connais ce bâtiment presque aussi bien que toi.
Je ne réponds pas, mais je pose mon sac sur la table et croise les bras.
— Qu’est-ce que tu veux ?
Il fait tourner un stylo entre ses doigts, le regard fixé sur moi.
— Je veux savoir ce que Lucien t’a dit.
Un rire sans joie m’échappe.
— Et depuis quand ai-je des comptes à te rendre ?
Il ne répond pas immédiatement. Son silence me trouble plus que ses mots.
— Je vais reformuler., dit-il enfin. Lucien ne fait rien au hasard. Ce dîner, ce rendez-vous, tout est calculé. Il veut quelque chose. Et je veux savoir ce que c’est.
Je m’approche et pose mes mains sur le bureau, me penchant légèrement vers lui.
— Et si ce qu’il veut, c’est moi ?
Un éclair passe dans son regard. Mais Gabriel Morel est un maître du contrôle.
— Alors il a déjà perdu.
CassandraJe suis là, dans ses bras, mon corps encore brûlant des flammes de ce que nous venons de partager. Mon cœur bat encore la chamade, et chaque respiration que je prends semble chargée de ce qu’il m’a donné. De ce qu’il m’a arraché. J’ai toujours cru que je pouvais contrôler ma vie, que je pouvais choisir, que je pouvais fuir quand ça devenait trop intense. Mais lui, Raphaël, il m’a prouvé qu’il n’y a rien que je puisse faire pour empêcher ce qui s’éveille en moi. Ce désir brûlant, cette passion dévorante.Je me recule légèrement, me redressant dans le lit, observant son visage. Ses yeux, encore noyés de cette intensité que nous avons partagée, me regardent avec cette familiarité douce et pleine de promesses. Je veux l’éviter, fuir ce qui semble pourtant inéluctable, mais chaque parcelle de mon être me crie que je suis bien là où je devrais être. Avec lui. Pas seulement pour le moment, mais pour plus.Je caresse sa joue, mes doigts traçant les contours de son visage avec une do
RaphaëlJe la regarde, debout près de la fenêtre, les rayons du soleil effleurant sa peau. Elle semble presque irréelle, comme si le monde autour d’elle s’était suspendu, comme si tout prenait sens dès qu’elle était là, dans ma vie. Cassandra... Elle a ce don, sans même le savoir, de transformer chaque instant en quelque chose d’intense, d’important. Et pourtant, aujourd’hui, elle semble différente. Elle est calme, mais d’une manière que je n’ai jamais vue. Il y a une sorte de paix en elle, une décision qu’elle a prise sans retour possible.Je me permets de la regarder un peu plus longtemps, absorbé par la beauté de ce moment, par la simplicité de sa présence. Puis je la vois se tourner vers moi, son regard croisant le mien. Ses yeux sont pleins de promesses, mais aussi d'une fragilité que je ressens au plus profond de moi.« Bien dormi ? » J'essaie de briser le silence, de lui offrir une ouverture, quelque chose pour qu'elle se sente à l'aise. Sa réponse est une légère esquisse de so
CassandraLe vent souffle doucement à travers les rideaux ouverts, apportant avec lui un parfum de printemps qui flotte dans l’air. Il est presque tard, et le soleil se couche lentement, parant la pièce d’une lumière dorée. Mais dans mon esprit, il fait plus sombre qu’il ne l’a jamais été. J’ai repoussé ce moment trop longtemps, tenté de fuir cette vérité que je savais au fond de moi. Le temps m’a apporté une clarté nouvelle, mais aussi une décision lourde, une décision qui pèse sur mon cœur.Je regarde Raphaël. Il est là, à quelques pas de moi, attendant patiemment que je trouve les mots qui, je le sais, changeront tout. Il n’a pas cherché à me convaincre. Il m’a laissée choisir, et je l’ai observé, espérant trouver une raison de m’échapper de ce lien invisible qui m’attire pourtant vers lui. Mais chaque jour passé à ses côtés, chaque instant partagé, m’a convaincue que c’était lui. Lui qui m’avait donnée une autre chance. Lui qui, malgré tout, n’avait jamais cessé de croire en nous.
CassandraLe jour s’étire dans une lenteur que je peine à supporter. Mon esprit est encore agité par la dernière conversation avec Lucien, un écho de ses mots résonnant dans mon esprit. La souffrance de le voir partir, d’être celle qui a décidé de tout laisser derrière, me pèse comme un fardeau. Mais ce n’est pas le poids de la décision qui m’accable, c’est l’incertitude qui m’attend. Est-ce que j’ai fait le bon choix ? Est-ce que je pourrais vivre avec cette décision ?Je ferme les yeux, la chaleur du soleil effleurant ma peau, mais à l’intérieur, il y a une tempête. Une part de moi veut crier, briser tout ce que j’ai construit pour me libérer de cette douleur. Mais une autre part, plus calme, me dit de continuer, de ne pas regarder en arrière.Un bruit derrière moi me fait sursauter. Je me retourne, et je trouve Raphaël, debout dans l’encadrement de la porte, son regard posé sur moi avec une intensité que je ne peux ignorer.« Tout va bien ? » Sa voix est douce, mais il y a une inqu
CassandraJe suis frappée par la force de ses paroles. Un frisson me parcourt, mais je garde les yeux baissés, cherchant à rassembler mes pensées. C’est trop. Il me pousse dans mes retranchements, me forçant à faire un choix. Mais quel choix ?« Et si je te dis que je n’ai plus envie de choisir ? » La question m’échappe avant que je ne puisse la retenir. « Que je n’ai plus envie de jouer à ce jeu ? »Raphaël ne répond pas tout de suite. Il se tient là, silencieux, comme s’il pesait chaque mot avant de parler. Et puis, il s’avance un peu plus près, et cette fois, ses mains encadrent doucement mon visage, forçant mes yeux à se poser sur lui.« Alors fais-le pour toi. » Ses mots sont un souffle, presque une prière. « Ne choisis pas pour lui. Choisis pour toi. Parce que tu le mérites. »Les larmes montent sans que je puisse les retenir. Elles ne sont pas seulement de tristesse. Il y a de la colère, de la frustration, de l’impuissance. Et au milieu de tout cela, un désir inavoué. Un désir
CassandraJe me tourne brusquement. Raphaël. Sa silhouette se découpe dans l’encadrement de la porte, son regard perçant. Il me fixe intensément, presque à la manière d’un spectateur, comme si chaque émotion qui me traverse était une scène qu’il observait avec une curiosité non dissimulée.« Pourquoi es-tu là ? » Ma voix est plus froide que je ne le voudrais, mais je ne peux m’empêcher de le regarder, d’analyser son visage, ses traits, toujours aussi fascinants, mais aussi tellement complexes.« Parce que je sais que tu souffres. » Il s’avance lentement, chaque pas résonnant comme un défi. « Et parce que tu ne veux pas l’admettre. »« Je n’ai rien à te dire. »« C’est pour ça que tu me dis tout. » Il sourit légèrement, un sourire entendu. Il connaît bien mes mécanismes de défense, il sait que je lutte, que je me cache derrière des murs d’acier pour ne pas laisser mes émotions se déverser. Mais je n’ai pas envie de jouer à ce jeu. Pas ce soir.« Il est trop tard, Raphaël. »« Peut-être
CassandraLe vent souffle fort, comme si la ville elle-même voulait m’emporter, me tester, m’éprouver encore. Je n’ai pas l’habitude de cette solitude, pas après toutes les années passées à naviguer entre des hommes, des désirs, des ambitions. Mais aujourd’hui, ce vide est devenu un allié. Un vide que j’ai créé, un espace que j’ai ouvert pour moi seule. L’indépendance est un fardeau et une bénédiction, et pourtant, je m’y sens étonnamment bien.Je marche, presque sans but, mes pensées flottant entre ce que je suis devenue et ce que je pourrais encore être. Les décisions que j’ai prises se bousculent dans ma tête, se superposent à ce que j’ai ressenti avant. Il y a encore des échos de Gabriel dans mon esprit, des morceaux de Raphaël qui m’appellent, mais je les ignore. Je dois garder le cap, avancer, ne pas me laisser emporter par les vagues du passé.Mais, au détour d’une rue, je le vois. Lucien. Le visage marqué par les batailles, une lueur de colère froide dans ses yeux, mais aussi
CassandraJe me tais, le silence s’étire, et même à travers l'écran, je peux sentir son souffle lourd. Il sait ce que je veux dire, il le comprend, et, à ma grande surprise, je n'ai pas peur. Ni de la solitude, ni de l'avenir incertain. Parce que je sais que, même si cela me déchire, je choisis enfin de me libérer.« Je comprends, Cassandra. Je ne veux pas te forcer à choisir, mais sache que je serai là. Si jamais tu changes d'avis… »« Je n’ai pas à changer d’avis. C’est juste que je dois me retrouver d’abord. »J’entends la tristesse dans sa voix, mais aussi une forme de respect. Il sait que ce n’est pas la fin, même si c’est difficile.Je raccroche et laisse un dernier regard sur la fenêtre, l’obscurité de la nuit enveloppant ma silhouette. Une décision lourde, mais pleine de sens. J’ai choisi de ne pas me perdre dans une relation où je serais l’ombre de ce que je suis, à côté de l’autre. Ce ne sera pas Raphaël, ni Gabriel, ni un autre. Ce sera moi. Et c’est ainsi que je veux avanc
CassandraLes heures s’étirent après l’appel de Raphaël, mais une étrange sensation m'envahit. La paix n'est pas totale, mais elle est là, persistante, comme une lumière qui commence à percer les nuages sombres. Pourtant, mon esprit reste agité, les échos de ce passé, aussi douloureux soient-ils, résonnent encore en moi. Je sais que le chemin vers la guérison sera long, mais je ne peux plus attendre. Je ne veux plus.Je me lève du canapé, secouant les ténèbres de ma tête. Mes jambes se dirigent presque par instinct vers mon bureau, où des piles de papiers s’accumulent depuis trop longtemps. J'ai l’impression de fuir, de chercher à occuper mon esprit pour ne pas sombrer dans la mélancolie qui m’enveloppe. Mon regard se fixe sur le premier dossier que je prends, un projet sur lequel j'avais commencé à travailler avant que tout ne déraille. C'est une tâche simple, mais qui me demandait d’être présente, de me concentrer. Ce qui est exactement ce dont j'ai besoin.Je me plonge dans les chi