Chapitre 4 – Dérèglement

Le lundi suivant, Kayla franchit les portes de Lancaster Magazine avec une étrange sensation au creux du ventre. Ni du stress, ni de la peur. Plutôt… du trouble. Un déséquilibre intérieur qu’elle ne savait pas nommer.

Depuis leur rencontre au café, elle ne cessait de repenser aux mots d’Aiden. À sa douceur, inattendue. À la vulnérabilité dans sa voix quand il avait parlé de son passé. Elle s’était sentie… vue. Et c’était précisément ce qui l’effrayait.

Être vue, c’était risquer d’être atteinte.

Dès qu’elle entra dans l’ascenseur, elle le regretta. Aiden y était déjà, seul, appuyé contre la paroi, téléphone en main. Il releva les yeux. Un bref échange de regards. Il esquissa un sourire.

Elle fit un pas en arrière, hésitant à attendre le suivant, mais il fit un geste de la main.

— Ne fuis pas, murmura-t-il. C’est juste un ascenseur.

Elle entra, en silence.

Le silence s’étira, pesant mais chargé.

— Tu regrettes ? demanda-t-il sans la regarder.

— D’être venue au café ? Non.

— Alors pourquoi tu m’évites à nouveau ce matin ?

Elle soupira, le dos raide.

— Parce que je n’ai pas envie que les choses deviennent… floues. Tu es mon patron, Aiden.

Il tourna enfin la tête vers elle.

— Et toi, tu es bien plus que mon employée. Tu le sais.

L’ascenseur s’ouvrit sur l’étage de la rédaction. Elle sortit sans répondre, le cœur battant. Elle n’avait pas la force d’affronter plus. Pas aujourd’hui.

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Ce jour-là, la rédaction était en effervescence. Un article de fond sur les figures féminines de la mode devait être bouclé, mais un mannequin de renommée mondiale s’était désisté au dernier moment pour une interview exclusive. Kayla, sans trop comprendre pourquoi, fut convoquée par la directrice de publication.

— Kayla, tu pourrais te rendre au showroom Livia Lorn cet après-midi ? C’est notre dernier espoir. Il faut convaincre l’attachée de presse de nous accorder une entrevue avec Jenna Moretti. Toi seule pourrais y parvenir. Tu es plus… subtile que le reste de l’équipe.

Kayla n’était pas certaine de comprendre si c’était un compliment ou un piège. Mais elle accepta.

À 16h, elle pénétrait dans le showroom lumineux de Livia Lorn, marque avant-gardiste, adorée des rédactrices de mode. Là, elle rencontra Chloé Delaunay, attachée de presse à l’allure glaciale, lèvres rouges, tailleur beige immaculé.

— Lancaster Magazine envoie une stagiaire ? demanda-t-elle avec un sourire poli, mais mordant.

Kayla ne se laissa pas déstabiliser.

— Disons qu’ils ont envoyé quelqu’un qui ne joue pas les rôles habituels.

Chloé plissa les yeux, intriguée. Kayla continua, avec calme :

— Je sais que Jenna refuse les interviews en ce moment. Je ne viens pas mendier une faveur. Je propose un échange : un portrait authentique, centré sur sa liberté, pas sur son image. Une manière pour elle de raconter ce qu’elle veut, avec les mots qu’elle choisira.

Chloé resta silencieuse un instant.

Puis elle répondit :

— Vous avez deux jours. Jenna vous accordera trente minutes. Ni plus, ni moins.

Kayla sourit. Mission accomplie.

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En rentrant à la rédaction, elle croisa Aiden dans le couloir. Il l’observa, intrigué.

— On dirait que tu viens de gagner un prix.

— J’ai obtenu une interview avec Jenna Moretti, dit-elle simplement.

Il haussa les sourcils, sincèrement impressionné.

— Je t’ai à peine engagée que tu fais déjà des miracles.

Elle fit mine de hausser les épaules.

— Peut-être que je suis là pour dérégler ton système.

Le sourire d’Aiden s’élargit. Il allait répondre, mais à ce moment précis, une femme élégante, aux cheveux châtains foncés et à l’allure de modèle photo, surgit du fond du couloir.

— Aiden ?

Il se figea.

Kayla observa la femme approcher. Elle était belle, froide, assurée.

— Olivia ? souffla-t-il.

— Je passais dans le coin… J’avais envie de te voir.

Kayla sentit son estomac se contracter. Elle détourna les yeux, s’éloigna sans dire un mot.

Aiden, lui, resta figé. Il ne s’attendait pas à revoir Olivia. La femme qui l’avait quitté trois ans plus tôt sans une explication. Celle qui avait détruit la dernière parcelle de confiance qu’il lui restait.

— Pourquoi maintenant ? murmura-t-il.

— Je regrette, Aiden. Je voulais te le dire en face.

Il détourna le regard, agacé.

— Tu ne pouvais pas appeler ?

— Tu ne répondais plus. J’ai vu ton nom partout dernièrement. J’ai repensé à… nous.

Il secoua la tête.

— Il n’y a plus de nous, Olivia.

Mais à quelques mètres de là, cachée derrière un pilier, Kayla écoutait. Et ce qu’elle entendait ravivait une douleur familière.

Elle n’était pas prête. Elle ne voulait pas être une autre histoire inachevée dans la vie d’un homme compliqué.

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Ce soir-là, chez elle, elle resta longtemps immobile devant sa fenêtre. L’idée d’Aiden avec elle la hantait. Pourtant, elle n’avait aucun droit. Rien n’avait commencé.

Elle attrapa son carnet. Hésita. Puis écrivit :

"C’est plus facile de rester indifférente que de risquer de souffrir. Mais pourquoi alors ai-je si mal, quand je n’ai encore rien vécu ?"

Elle ferma les yeux.

Le dérèglement avait commencé.

Et elle ne savait pas si elle serait capable d’en sortir indemne.