Chapitre 5 – La place qu’on ne veut pas prendre

Le lendemain, tout semblait normal dans les bureaux vitrés de Lancaster Magazine. Du moins, en surface.

Kayla, fidèle à elle-même, s’était plongée dans la rédaction de l’interview de Jenna Moretti. Les mots coulaient facilement, comme s’ils ne venaient pas d’elle mais d’un endroit plus profond. Et pourtant, malgré l’apparente concentration, son esprit vagabondait sans cesse vers une image obsédante :

Olivia.

Cette femme. Ce nom. Cette présence soudaine. Elle avait vu leurs regards. La surprise dans les yeux d’Aiden. La gêne. Et peut-être même… quelque chose d’autre. Une histoire.

Kayla n’en voulait pas.

Pas de triangle. Pas de comparaison. Pas de compétition.

Elle refusait d’être une option. Et elle détestait déjà ce que cette situation réveillait en elle.

Vers midi, elle se rendit à la cafétéria de l’immeuble. Peu de monde à cette heure-là. Elle espérait y trouver un peu de calme.

Mais c’est là qu’elle la vit.

Olivia.

Installée à une table, une main autour d’un cappuccino, un sourire presque triomphant sur les lèvres. Et quand leurs regards se croisèrent, elle lui fit signe de venir.

Kayla hésita. Puis, comme poussée par une force invisible, elle avança.

— Tu es Kayla, c’est ça ? dit Olivia, un sourire poli au visage. Je suis Olivia. Une… vieille connaissance d’Aiden.

Kayla hocha simplement la tête, sans s’asseoir.

— J’espère que je ne te mets pas mal à l’aise, ajouta Olivia avec une voix douce mais clairement calculée.

— Pas du tout. Je suis juste étonnée.

— Par quoi ?

— Que quelqu’un de ton genre ait besoin de marquer son territoire.

Olivia haussa un sourcil, mais son sourire ne vacilla pas.

— J’aime juste savoir qui gravite autour de lui. Aiden est… complexe. Je me suis dit que tu devrais le savoir.

Kayla soutint son regard, sans cligner des yeux.

— Je ne gravite pas autour de lui. Et je ne suis pas là pour combler un vide ou panser des plaies.

Elle tourna les talons sans attendre de réponse, laissant Olivia seule avec son sourire figé.

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En remontant à son étage, elle sentit son cœur battre trop fort. Elle n’avait pas menti. Elle ne voulait pas de cette guerre silencieuse entre femmes. Elle ne voulait pas vouloir un homme. Et encore moins devoir le défendre.

Mais cette conversation l’avait atteinte.

Et elle détestait ça.

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Dans l’après-midi, Aiden frappa à la porte vitrée de son bureau.

— Tu as une minute ? demanda-t-il, plus sérieux qu’à l’accoutumée.

— J’en ai trente, répondit-elle, les yeux toujours sur son écran.

Il entra, ferma la porte derrière lui.

— Je suis désolé pour tout à l’heure. Olivia n’avait rien à faire ici. Elle aurait dû m’appeler.

— Tu n’as pas à t’excuser, répondit Kayla, sèchement.

Il fronça les sourcils.

— Tu es en colère.

— Non. Juste fatiguée des histoires qui ressemblent à celles que j’ai fuies toute ma vie.

Il s’approcha, sans la brusquer.

— Kayla. Ce n’est pas une histoire. Il n’y a rien entre Olivia et moi. Plus rien depuis longtemps.

— Ce n’est pas ce que tes yeux disaient hier.

Il soupira.

— Tu sais ce que j’ai vu, hier ? J’ai vu un fantôme. Quelqu’un qui m’a détruit et qui revient quand je commence à aller mieux. Et ce que j’ai ressenti, c’est de la colère. Pas de la nostalgie.

Elle le fixa longuement, puis murmura :

— Et tu allais mieux… grâce à moi ?

Il ne répondit pas tout de suite. Puis, très doucement :

— Je ne vais pas mentir. Je suis attiré par toi. Mais ce n’est pas seulement physique. Tu es différente. Et tu me fais du bien. Même quand tu me repousses.

Kayla sentit sa gorge se nouer. Elle détourna les yeux.

— Je ne veux pas être un pansement, Aiden. Je ne veux pas être celle qui t’aide à oublier. Je veux être choisie. Voulue. Pas utilisée.

Il s’approcha encore, posa une main sur le dossier de sa chaise, tout près, sans la toucher.

— Je ne te veux pas comme un pansement. Je te veux entière. Même avec tes résistances.

Un silence dense s’installa entre eux.

Puis Kayla murmura :

— Et si je ne suis pas prête ?

— Alors je t’attendrai.

Elle releva lentement les yeux vers lui. Il ne mentait pas. Il y avait dans son regard une sincérité brute, désarmante.

Et c’est cela qui la fit paniquer.

— Tu ferais mieux de retourner à ta réunion, dit-elle en se levant brusquement.

Aiden recula d’un pas. Il la contempla encore un instant. Puis il hocha la tête, respectant sa distance.

— Je ne suis pas pressé, Kayla. Mais je suis là. Et je ne reculerai pas.

Il quitta la pièce.

Elle resta debout, le regard perdu vers la porte fermée.

Elle ne savait pas ce qui la terrifiait le plus : qu’il soit sincère… ou qu’il dise vrai.

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Ce soir-là, Kayla ouvrit son ordinateur, cherchant inconsciemment à s’occuper l’esprit. Mais sa boîte mail professionnelle clignotait déjà.

Un nouveau message.

Expéditeur : Aiden Lancaster

Objet : Sans titre

> "Tu as peur de ce que tu pourrais ressentir. Moi aussi. Mais ne me rejette pas avant d’avoir essayé. Ne rejette pas ce que tu n’as jamais eu. — A."

Elle resta figée devant l’écran.

Il ne jouait pas.

Et ça… c’était la chose la plus dangereuse de toutes.