MaëlysLe jour se lève, mais je ne le vois pas.Je le sens.Je le ressens dans mes os. Dans mes cils brûlants. Dans mes entrailles contractées.Une lumière pâle s’infiltre sous les rideaux, timide, comme si elle n’osait pas troubler le calme qui règne ici. Un calme trompeur. Suspendu. Prêt à éclater à la moindre vibration.C’est le silence après l’ouragan. Le souffle retenu avant la réplique.Je suis debout. Nue.Ma peau est un territoire marqué. Mais mon dos est droit.Je ne tremble plus.Sous la douche, j’ai frotté. Longtemps. J’ai lavé la sueur, la peur, la mémoire. J’ai jeté les vêtements qu’il avait touchés. Je les ai regardés tomber dans la poubelle comme des lambeaux de ma propre histoire.Mais rien ne me salit plus. Rien que le souvenir.Quand Aleksandr entre, sans frapper, un plateau entre les mains, je le sens avant de le voir. Son pas est lent. Précis.Il porte le café. Des fruits. Du pain grillé.Un geste simple. Tendre. Presque banal.Et pourtant…Il me traite comme une r
AleksandrJe l’ai installée dans le canapé. J’ai écarté les gens, verrouillé les portes, tiré les rideaux comme on ferme un théâtre après la dernière représentation. J’ai effacé le monde pour elle. Rien ne doit lui rappeler ce qu’elle vient d’endurer. Rien ne doit toucher à ce qu’elle reconquiert : sa liberté.Maëlys ne dit rien.Elle reste là, immobile, une couverture autour de ses épaules, le regard fixé sur un point que je ne vois pas. Un gouffre, peut-être. Un souvenir qu’elle ne veut pas affronter. Elle ne pleure pas. Ne tremble pas. Mais chaque fibre de son corps vibre d’un chaos contenu. Elle est un volcan figé, et je ne suis qu’un homme en équilibre sur sa lave.Je ne la touche pas. Pas encore.Elle a besoin d’espace. D’air. De silence. De se sentir à nouveau maîtresse de ce qui l’entoure.Alors je reste. Je m’assois là, à portée de souffle, à la distance exacte où elle pourrait m’atteindre si elle en ressentait le besoin.Et elle finit par bouger.Elle tourne la tête. Son reg
MaëlysJe le regarde.Je pensais être prête. Vraiment. J’avais répété cette scène des dizaines de fois dans ma tête : les mots, les gestes, les silences. J’avais tout imaginé. Le lieu. L’odeur du cuir et de la poussière. Même la lumière blafarde d’un plafonnier tremblant. J'avais préparé mes armes : ma voix, mon calme, ma vérité.Mais la réalité... elle a ce goût métallique de peur rentrée. Ce tremblement dans mes côtes que je croyais mort. Et lui, devant moi, comme sorti d’un cauchemar jamais vraiment quitté.Il est là.Vêtu d’un costume beige trop lisse, trop net, comme s’il se croyait encore au sommet d’un empire invisible. Le même sourire. La même mâchoire. La même posture. Rien n’a changé. Sauf moi.— Tu as changé, Maëlys.Sa voix me frappe plus que son regard.Elle n’a pas vieilli. Elle a cette texture faussement chaleureuse, comme un brasier caché sous la neige. C’est une voix qui a endormi des foules, apaisé des peurs, justifié des crimes. Une voix faite pour mentir.Je serre
MaëlysJe suis seule. Je sais qu’Aleksandr est là, quelque part dans l’ombre, surveillant, prêt à intervenir, à agir. Mais ce n’est plus lui qui guide mes pas. C’est moi. C’est l’appel de la vérité, celle que j’ai longtemps ignorée, que j’ai refusée de regarder dans les yeux, celle qui se cache derrière chaque nom, chaque souvenir, chaque souffle d’air que j’ai pris depuis que j’ai croisé la route de ce monde.Il y a des moments où le destin ne nous attend pas. Il se précipite, brusque, inattendu, et nous entraîne sans qu’on puisse l’arrêter. Ce moment est arrivé. Il est là, tout près, à portée de ma main. L’adversaire, celui qui m’a modelée et brisée, celui qui a marqué ma peau et mon âme bien avant qu’Aleksandr n’entre dans ma vie, est là. Je le sens. Il est plus proche que jamais.— Maëlys.La voix d’Aleksandr est basse, rassurante, mais je l’entends, je sens son désaveu dans chaque syllabe. Il sait que je vais partir. Il sait que j’irai jusqu’au bout, que je ne cesserai de pousser
MaëlysJe reste debout. Mon souffle cogne contre mes côtes. Mes paumes tremblent, ouvertes dans le vide.Mais je ne recule pas.Je la regarde s’éloigner, emmenée par Gabriel et deux autres hommes. Ses cris s’étouffent dans les échos de la nuit, engloutis par les murs, les grilles, l’asphalte trempé.C’est fini.Mais ce n’est pas terminé.Aleksandr reste près de moi. Il ne parle pas. Il m’observe, comme s’il lisait à l’intérieur de mes fractures.Et je sens que ce silence, cette tension, est plus lourde que les balles qui ont sifflé dans l’air.Alors je parle.— Dis-moi que tu savais. Dis-moi que depuis le début, tu savais ce qu’elle avait fait.Il ne ment pas. Jamais. Même quand la vérité est insoutenable.— Je savais qu’elle était dangereuse. Mais pas jusqu’où elle irait. Pas ce qu’elle t’avait volé.Je baisse les yeux.Ce n’est pas elle qui m’a volée. C’est moi qui me suis offerte. Volontairement. Naïvement. Par fierté ou par fatigue, je ne sais plus.Je marche vers le mur, pose ma
MaëlysJe ne pose pas de questions. Je ne demande pas où. Ni comment. Ni pourquoi.Je m’habille sans trembler. Chaque geste est un choix. Chaque mouvement, une reconquête.Je le sens, ce moment. Il est décisif. Il a l’odeur du métal, le goût de la fin.Et pourtant, je suis calme.Aleksandr est près de la porte. Il parle brièvement avec Gabriel. Des ordres. Des chiffres. Des noms.Je ne retiens rien. Je n’ai pas besoin.Je ne suis plus une simple témoin. Je suis actrice. Partie prenante. Responsable.Quand il se tourne vers moi, il ne dit rien. Il me tend simplement la main.Je la prends. Et je le suis.Nous descendons. La nuit est froide. Le béton sent la pluie.Deux voitures nous attendent. Noires. Silencieuses. Prêtes.Je monte à l’arrière, entre Aleksandr et Gabriel.Je ne dis rien. Eux non plus. Le moteur rugit, avale la route.Le silence dans la voiture est lourd de souvenirs.Je repense à Silvia. À ses sourires. À ses mots. À sa trahison.Elle savait.Depuis le début.Et moi, co
MaëlysJe suis restée là. Des heures. Peut-être. Je ne sais plus.Le sol dur contre mes jambes, la lumière pâle filtrant à travers la porte entrouverte, et ce silence. Ce foutu silence. Celui qui résonne plus fort que les cris. Celui qui vous tord de l’intérieur.Je ne pleure pas. Je ne parle pas.Je suis une faille ouverte qui refuse de s’effondrer. Une statue craquelée. Une bombe désamorcée, mais pas désarmée.Puis je me lève.Quelque chose en moi a bougé.Pas une certitude. Pas une paix.Non. Plutôt une tension nouvelle, une décision souterraine qui commence à se former, comme une lame qu’on aiguise dans l’ombre.Je n’ai plus de place pour les doutes.Seulement pour ce qui brûle. Pour ce qui reste.Je retourne dans la chambre.Il n’a pas bougé.Il est toujours assis sur le bord du lit, torse nu, le dos droit, les mains croisées entre ses genoux. Sa peau est tendue, marquée de griffures anciennes, de morsures récentes.Mais quand j’entre, il relève les yeux. Et dans ce regard, il y
MaëlysLe matin est tombé sur nous sans prévenir.Je ne sais pas à quel moment le noir a cédé sa place à cette lumière grise, sourde, qui glisse contre les murs et révèle les contours de nos corps emmêlés. Je suis encore là, lovée contre lui, sa main toujours posée sur moi comme une promesse muette, ou un piège. Je ne sais plus. Peut-être les deux. Mon souffle est calme, mais à l’intérieur, c’est une tempête figée. Le genre de bourrasque qui précède la rupture d’un barrage.Je n’ai pas dormi. Ou si peu. Mes pensées m’ont tenue éveillée, envahie. Chaque battement de mon cœur me rappelait ce que je suis en train de devenir. Ce que nous sommes en train de construire, ou peut-être de détruire. Et je ne suis plus certaine de savoir si c’est de l’amour ou une forme d’abandon total.Je me redresse sans bruit. Ses bras se desserrent à peine, comme s’il savait que je devais bouger, mais qu’il n’était pas prêt à me laisser partir tout à fait. Mes pieds touchent le sol froid. Un frisson me parco
MaëlysJe suis là, allongée à ses côtés, et pourtant je me sens à des kilomètres de lui. Non pas que son corps soit loin, il est toujours contre moi, cette chaleur constante, ce poids rassurant qui m'envahit, me recouvre, mais dans mon esprit, je suis ailleurs, égarée. Chaque pensée semble se heurter à une frontière invisible, une limite floue que je n'arrive pas à franchir. Tout en moi est saturé de lui, de ses gestes, de ses paroles, mais aussi de cette tension intangible, celle qui me fait me demander qui je suis devenue, et surtout, pourquoi cela me fait si mal.Je ferme les yeux, et tout m'envahit à nouveau. Ce n'est pas le silence qui m'effraie, mais tout ce qu'il charrie avec lui. Ce vide qui n'a de sens que par la présence de l'autre, de lui. Mon esprit vacille entre l'envie de fuir et celle de m'abandonner totalement, comme si je pouvais me perdre dans cette mer de sensations contradictoires. Le besoin d’être avec lui se heurte à la peur d’être trop proche, trop liée, trop dé