All Chapters of LA HAQUEUSE ET LE MAFIEUX : Chapter 81 - Chapter 90

LUCIANOLe jour se lève à peine.Pas un vrai lever. Juste cette clarté voilée, timide, qui flotte à la frontière de la nuit, comme si le matin lui-même hésitait à commencer.Le ciel est gris pâle. Les murs transpirent le froid.Et le silence, lui, est… trop net.J’ouvre les yeux.La première chose que je remarque, ce n’est pas son absence.C’est l’absence de son souffle.Le rythme doux, régulier, rassurant, qu’elle émettait dans son sommeil.Ce souffle-là, discret mais présent.Toujours là.Toujours fidèle.Il n’est plus là.Je tends la main à gauche.Le drap est lisse. Froid.Personne n’a dormi de ce côté cette nuit.Même ça, elle l’a effacé.Je m’assieds au bord du lit.Nu. Le dos voûté.Et je n’arrive pas à bouger.Le temps se suspend.Pas comme lorsqu’on est heureux.Comme quand on comprend que quelque chose a changé, irrémédiablement, et qu’on n’a pas vu venir la fissure.Mais qu’on en paye le prix maintenant.Je finis par me lever.Le parquet est froid sous mes pieds.Je passe d

SASHA14h08. Gare centrale. Sortie Est.Le train est parti il y a presque une heure, et je suis encore là, immobile, glacée malgré le manteau, assise sur ce banc de pierre rugueuse, au bout du quai déserté, les doigts crispés autour de la lanière de mon sac comme si elle pouvait encore me retenir à quelque chose, m'empêcher de partir tout à fait. Le monde a repris son rythme autour de moi : des annonces indifférentes s’élèvent dans les haut-parleurs, des voyageurs pressés passent, valises en traînée, écouteurs aux oreilles, sans me voir, sans se douter que moi, je viens d’arracher quelque chose de vital à l’intérieur.Je n’ai pas regardé par la vitre pendant le trajet. Pas un paysage, pas un reflet. Rien. J’ai gardé les yeux fermés, le front posé contre le carreau glacé, comme si m’y coller pouvait ralentir le tremblement en moi, ce vertige qui naît quand on quitte quelque chose — ou quelqu’un — qu’on aime, sans espoir de retour. Je n’ai pas pleuré. Pas vraiment. Mais mes paupières br

SASHALuciano est là.Debout dans mon appartement. Trop grand pour cet espace, trop vivant pour ce lieu que j’ai voulu sans souvenirs. Il n’a rien dit. Et moi, je n’ai pas bougé. Le monde entier semble suspendu entre nous, dans cette distance fragile, cette fissure encore béante.Il reste figé, comme s’il redoutait que le moindre souffle puisse me faire disparaître.Et moi, je me bats contre l’envie violente de me réfugier dans ses bras.Mais il ne m’a pas gagnée. Pas cette fois.Il a tout à prouver. Ou rien.Je me retourne, lentement, le regard accroché au sien. Il y a quelque chose de brisé dans ses yeux. Mais il ne baisse pas la tête. Pas encore.Je me dirige vers la cuisine, mécanique. Deux tasses. Deux gestes maîtrisés. Du café. Un sucre dans la mienne. Aucun dans la sienne. Je m’en veux de m’en souvenir. Je pose les tasses sur la table. Chacune à sa place.Une scène de couple qui n’existe plus.Il comprend. Il s’assoit. Je fais de même, mais pas en face. Légèrement de biais. Jus

SASHALa nuit ne dort pas.Pas avec lui, pas avec moi.Elle s’étire autour de nous comme une toile de velours sombre, alourdie d’un souffle qui n’appartient qu’à nous.Elle nous observe, complice, prête à avaler tout ce qui tremble et tout ce qui brûle.Je croyais que l’apaisement suffirait.Que ce silence, ces gestes lents, cette tendresse suffiraient à nous recoller.Mais quand il m’a serrée après l’amour, quand son souffle chaud a effleuré ma nuque, quelque chose a craqué en moi.Pas de la douleur.Pas de la peur.De la faim.Celle qui dévore tout.Celle qui réclame plus que des caresses fragiles.Je me redresse, à demi nue, les draps collés contre ma peau moite.Chaque mouvement semble déclencher un orage.Luciano ouvre les yeux aussitôt, comme s’il n’avait jamais dormi.Ses prunelles brillent dans la pénombre, un mélange d’ombre et de feu.Il me regarde, son regard déjà plus sombre, plus lourd.Il sait.— Qu’est-ce que tu veux, Sasha ?Sa voix est basse, presque un grognement, ma

SASHAJe n’ai pas bougé.Luciano dort contre moi ou plutôt, feint encore le sommeil.Mais je le connais trop.Je reconnais la tension contenue dans ses muscles, ce souffle à peine irrégulier, ce silence qui ne repose pas, mais guette.Même son immobilité a l’air de lutter contre quelque chose.Contre lui-même.La lumière de l’aube, pâle et diaphane, s’est glissée entre les rideaux entrouverts.Elle ne déchire pas la chambre elle la frôle, comme si elle savait qu’ici, il ne fallait plus heurter, mais apaiser.Elle passe sur nos corps encore nus, emmêlés, marqués par la fièvre de la nuit, par les griffures de la veille et par les mots qu’on n’a pas encore osé prononcer.Cette aube-là ne brûle plus.Elle apaise.Elle écoute.Je tourne lentement la tête, et je croise ses yeux.Ils sont ouverts , fixes , absents.Pas tournés vers moi, mais perdus quelque part entre le plafond et ses souvenirs.Il a ce regard de ceux qui ne trouvent plus d’issue à l’intérieur d’eux-mêmes.— Depuis combien d