Tous les chapitres de : Chapitre 21 - Chapitre 30

Le réveil vibre sans pitié sur la table de chevet. Moira grogne, enfonce son visage dans l’oreiller, refuse d’ouvrir les yeux. Elle sait ce qu’elle va trouver si elle regarde autour d’elle : la tasse de café froid, encore pleine, vestige d’une soirée qu’elle s’acharne à classer dans la catégorie des cauchemars. Ce n’était qu’un rêve. C’est ce qu’elle se répète. Encore. Encore.Elle tend une main lourde, attrape la tasse, en boit une gorgée sans y penser. Froid, amer, dégueulasse. Parfait. La morsure du liquide l’arrime à la réalité. Ce matin, elle sera Moira, celle qui bosse, qui court, qui envoie des messages à ses amis et qui vit une vie ordinaire.Le sol est glacé quand elle se lève enfin, et elle accueille la morsure du froid avec une grimace. Décembre s’installe sans douceur, mais ça lui va. Le froid a toujours été son armure. Sweat trop large, legging, baskets. Elle s’enroule dans son écharpe, coince ses écouteurs et sort. Il fait un vent à décorner les bœufs, les premières plaq

Moira ne dort plus.Les nuits s’étirent, blafardes, cruellement silencieuses. Elle s’obstine à rester éveillée, s’acharne à ne pas fermer les yeux. Elle refuse de lui laisser cet espace. Refuse de lui accorder ce territoire fragile qu’est le rêve. Alors elle lutte. Elle s’accroche aux heures, boit des litres de café noir, déambule dans son appartement, les yeux rouges, le cœur martelant contre ses côtes.Son reflet la nargue chaque matin. Joues creusées, cernes violacés, peau terne. Elle ressemble à l’ombre d’elle-même, et elle le sait.— T’as l’air morte, Moira, lâche Lisa quand elles se croisent à la cafétéria.Moira hausse les épaules, esquive.— Juste un peu fatiguée, ça va passer.Mais ça ne passe pas. Les journées se suivent et se répètent, mécaniques. Elle se rend à la fac comme on va à l’abattoir. Donne ses cours avec des gestes lents, des mots qui tombent de sa bouche comme des pierres. Elle parle de dieux et de mythes, mais elle n’arrive plus à y mettre du sens. Ses étudiant

Le cimetière est désert. Le vent siffle entre les pierres, déplaçant des feuilles mortes avec paresse. Moira avance d’un pas lent, le cœur lourd, son sac battant contre sa hanche. La tombe de Rosa n’a pas bougé, bien sûr, mais la voir là, si réelle, lui donne l’impression d’un coup dans le ventre. Elle reste un instant debout, les bras croisés, incapable de bouger, incapable de pleurer.— Salut, Mamie…Sa voix se perd dans le silence. Moira s’accroupit, ses doigts glissant sur la pierre froide. Elle déteste cet endroit, cette paix de façade. Elle aurait voulu Rosa ailleurs. Vivante. Moira ne sait pas pourquoi elle parle, pourquoi elle ouvre son cœur à une tombe, mais les mots sortent d’eux-mêmes.— Je sais pas si t’entends ce que je raconte, ou si je deviens folle… Mais j’ai besoin de toi, là. Ça va pas. Y’a un démon qui vient me hanter, mamie. J’te jure, c’est pas une image. Il me parle, il me touche, il me rend dingue…Elle ravale sa salive, son regard se brouille.— Je comprends pl

Moira gare sa voiture devant l’immeuble de Théo, dans ce quartier chic qu’elle trouve toujours trop propre, trop bien rangé. Mais à cet instant, l’idée de se laisser envelopper par l’appartement de son ami la réconforte plus que tout. Elle monte les étages d’un pas traînant, la fatigue pesant sur ses épaules comme une chape de plomb.Quand la porte s’ouvre, c’est l’odeur qui la frappe d’abord. Une alliance redoutable de pizza fondante, de popcorn au beurre, et… oui, des hot-dogs. Son estomac, jusque-là endormi, se réveille brusquement.— C’est pas humain de faire ça à onze heures du matin, Théo.Il lui lance un sourire victorieux, tiré à quatre épingles comme toujours, jean brut et chemise parfaitement ajustée.— La tradition, Moira. On ne rigole pas avec ça.— Sérieusement, t’as prévu de nourrir un régiment ?Il s’écarte pour la laisser entrer, désignant d’un geste grandiloquent la table basse croulant sous les cochonneries. Bonbons, chips, soda, sauces en tout genre. Tout est prêt.

Moira n’a pas envie de rentrer. Pas encore. L’idée de retrouver son appartement silencieux lui vrille l’estomac. Alors elle marche. Elle ne sait même pas où elle va. Ses pieds la guident d’eux-mêmes, comme si la ville avait décidé pour elle. Lille est grise, froide, et le vent s’infiltre sous son manteau. Mais au moins, il y a du monde. Des gens. Du bruit. Tout ce qu’il faut pour oublier le vide à l’intérieur.Le marché de Noël s’étale devant elle. Les mêmes chalets en bois, les mêmes guirlandes électriques qui clignotent. Et les mêmes souvenirs. Elle s’arrête devant la grande roue, se rappelle du rire d’Adam, du froid sur ses joues, de cette soirée où tout lui semblait simple. C’était avant. Avant Nocten. Avant la chute.Elle déambule entre les étals, s’arrête devant un stand de vin chaud sans rien acheter, regarde les passants. Les odeurs de cannelle et de sucre l’enveloppent mais ne la réconfortent pas. Elle sent son cœur battre trop vite. Comme si chaque pas la rapprochait d’un go