ELINALe palais m’étouffe.Pas par sa grandeur.Par ce qu’il contient.Par ce qu’il retient.Les murs résonnent de pas étouffés, de murmures étirés, de silences trop pleins. Tout est propre ici, glacé, poli. Tout est pensé pour dissimuler les tempêtes.Mais moi, je suis la tempête.Et je saigne encore.Mes jambes fléchissent à peine le seuil franchi. Aiden m’attrape sans mot dire. Il ne me porte pas, pas vraiment. Il me soutient. Comme si me soulever était m’insulter. Comme si me lâcher était me trahir.Il marche avec lenteur, malgré la tension dans ses épaules. Chaque centimètre de ce palais est surveillé. Les serviteurs, les gardes, les conseillers tapis dans les ombres. Ils nous regardent passer avec une crainte qu’ils ne prennent même plus la peine de masquer.Mais ce n’est pas moi qu’ils craignent.C’est ce que je suis devenue.Et au fond de moi, je le sais : ce n’est que le début.Nous atteignons une aile plus reculée. Une chambre haute, ciselée de lumière pâle et d’un mobilier
AIDENIls émergent des bois.Un à un.Des silhouettes sombres, gainées d’ombre et de sang séché. Ils avancent sans bruit, comme s’ils appartenaient au silence lui-même. Leurs yeux brillent d’un éclat mauvais, pas de lumière, mais de mémoire. Une mémoire corrompue.Je les connais.Pas tous.Mais assez.Des anciens. Des bannis. Des traîtres.Ceux qui ont tourné le dos à la meute quand elle a brûlé. Ceux qui ont pactisé pour survivre. Ceux qui ont vendu des noms contre du pouvoir. Ceux qui ont assassiné les leurs pour rester debout.Ils n’ont pas oublié.Ils n’ont pas pardonné.Et maintenant, ils reviennent pour achever ce qu’ils avaient commencé.— Reste derrière moi, je murmure.Mais Elina me devance.Elle se place devant.Ses cheveux fument encore. Sa peau luit d’un éclat spectral. Ses yeux… ne sont plus tout à fait les siens.Elle est toujours là.Mais elle n’est plus seulement Elina.Elle est plus.Elle est toutes.ELINAIls sentent la peur.Ils la cherchent dans mes gestes, dans mo
ELINALa lumière s’est tue.Pas disparue.Pas effacée.Juste… tue.Elle s’est retirée en moi comme une marée qui aurait tout arraché sur son passage.Elle m’a laissée là, pantelante, criblée de cendres intérieures, étrangère à mon propre corps.Je suis vide.Et pleine.Je suis silence.Et hurlement.Je ne peux pas bouger.Je ne veux pas.Chaque muscle est un souvenir calciné.Chaque battement de cœur est une brûlure en suspens.Chaque pensée, une lame rouillée qu’il faut trancher pour traverser.Je flotte dans un entre-deux.Ni vivante.Ni morte.Ni même vraiment humaine.Suspendue dans cette matière dense, lourde, sale, qu’on ne nomme jamais à voix haute : l’après. L’après le miracle.L’après la morsure divine.L’après le feu.Aiden murmure mon nom.Encore.Et encore.Chaque syllabe est un tremblement dans ma chair ouverte.Sa voix est rauque. Elle crisse contre l’air, comme une vérité qui ne sait pas s’habiller de douceur.Je n’arrive pas à répondre.Pas encore.Je sens ses bras au
ELINALa terre tremble.Pas comme un séisme.Comme un rugissement souterrain. Comme si le cœur même du monde se fendait sous nos pieds, ivre de douleur et de colère.Ça vibre dans mes os. Ça me vrille les tempes. Ça martèle ma poitrine jusqu’à faire sauter mes côtes.Et le Délié hurle.Un son déchiré, désarticulé. Ce n’est pas un cri de rage.C’est un cri de fin.Pas une fin noble, pas une fin qu’on affronte avec honneur ou résignation.Une fin sale. Dévorante. Une lame de néant qui veut tout avaler, tout noyer, tout faire taire.Il ne cherche pas à régner.Il cherche à rayer.Derrière moi, Aiden ne tombe pas. Il devrait. Il saigne. Il vacille. Il s’épuise. Mais il tient.Il plante sa force en moi comme une racine dans une terre meurtrie.Et c’est ça, plus que tout, qui me pousse à avancer.Je ferme les yeux. Et je descends.Pas dans une vision. Pas dans un souvenir. Pas dans les limbes connues de la magie ancienne.Je descends au-delà.Là où les morts oublient leur nom. Là où la mémo
AIDENÀ terre, face à l’impossibleJe vois flou.Pas à cause de la douleur.Pas seulement.Mais parce qu’elle est restée.Parce qu’elle me tourne le dos.Parce qu’elle a choisi de faire face seule au monstre que même nos anciens ne nommaient plus qu’à voix basse.Et qu’il est là. Devant elle.Le Délié.Ce mot que même les anciens redoutaient. Ce souffle sans origine. Cette absence de forme si ancienne qu’elle est devenue mémoire.Je le vois se redresser lentement, comme un arbre noir dont les racines percent le monde, aspirant jusqu’à la lumière.Il ne bouge pas vite.Il n’a pas besoin.Il est déjà partout.Autour de lui, tout plie.L’espace.Le temps.Les pensées.Les feuilles se fanent en un instant. L’herbe se fige. L’air devient lourd. Chargé d’une poussière invisible, celle des souvenirs broyés.Il n’avance pas.C’est le monde qui recule.Je veux me relever.Par instinct. Par amour. Par rage.Mais mes jambes ne répondent plus.Mon flanc me brûle comme s’il avait été arraché. Mes
ELINALisière du camp : Au bord du gouffreJe ne ressens plus mes pattes.Ou peut-être que si. Peut-être que c’est pire : je sens chaque nerf hurler, chaque veine battre à contresens. Mon cœur s’est calé sur un rythme qui n’appartient plus qu’à la peur. Une peur sèche, souterraine. Une peur ancienne. Préhumaine. Inécrite.Devant moi, la chose avance.Ce n’est pas un loup.Ce n’est pas un homme.Ce n’est pas un dieu.Et pourtant, il les englobe tous.Il est la faille. Le gouffre. Le ventre noir de la légende.Il n’a pas besoin de parler. Pas besoin de grogner. Il est. Et cela suffit.Chaque mouvement fait trembler l’air. Les branches se tordent sur son passage comme si la forêt elle-même voulait fuir. Et, au fond de mes entrailles, quelque chose de très vieux se recroqueville. Un instinct enfoui. Celui que l’on pensait éteint. Celui des premières meutes, des premières chasses. Le souvenir du Délié.Je recule d’un pas, le museau retroussé. Non pas pour grogner. Mais pour respirer. Pour