ELINALa lumière s’est tue.Pas disparue.Pas effacée.Juste… tue.Elle s’est retirée en moi comme une marée qui aurait tout arraché sur son passage.Elle m’a laissée là, pantelante, criblée de cendres intérieures, étrangère à mon propre corps.Je suis vide.Et pleine.Je suis silence.Et hurlement.Je ne peux pas bouger.Je ne veux pas.Chaque muscle est un souvenir calciné.Chaque battement de cœur est une brûlure en suspens.Chaque pensée, une lame rouillée qu’il faut trancher pour traverser.Je flotte dans un entre-deux.Ni vivante.Ni morte.Ni même vraiment humaine.Suspendue dans cette matière dense, lourde, sale, qu’on ne nomme jamais à voix haute : l’après. L’après le miracle.L’après la morsure divine.L’après le feu.Aiden murmure mon nom.Encore.Et encore.Chaque syllabe est un tremblement dans ma chair ouverte.Sa voix est rauque. Elle crisse contre l’air, comme une vérité qui ne sait pas s’habiller de douceur.Je n’arrive pas à répondre.Pas encore.Je sens ses bras au
ELINALa terre tremble.Pas comme un séisme.Comme un rugissement souterrain. Comme si le cœur même du monde se fendait sous nos pieds, ivre de douleur et de colère.Ça vibre dans mes os. Ça me vrille les tempes. Ça martèle ma poitrine jusqu’à faire sauter mes côtes.Et le Délié hurle.Un son déchiré, désarticulé. Ce n’est pas un cri de rage.C’est un cri de fin.Pas une fin noble, pas une fin qu’on affronte avec honneur ou résignation.Une fin sale. Dévorante. Une lame de néant qui veut tout avaler, tout noyer, tout faire taire.Il ne cherche pas à régner.Il cherche à rayer.Derrière moi, Aiden ne tombe pas. Il devrait. Il saigne. Il vacille. Il s’épuise. Mais il tient.Il plante sa force en moi comme une racine dans une terre meurtrie.Et c’est ça, plus que tout, qui me pousse à avancer.Je ferme les yeux. Et je descends.Pas dans une vision. Pas dans un souvenir. Pas dans les limbes connues de la magie ancienne.Je descends au-delà.Là où les morts oublient leur nom. Là où la mémo
AIDENÀ terre, face à l’impossibleJe vois flou.Pas à cause de la douleur.Pas seulement.Mais parce qu’elle est restée.Parce qu’elle me tourne le dos.Parce qu’elle a choisi de faire face seule au monstre que même nos anciens ne nommaient plus qu’à voix basse.Et qu’il est là. Devant elle.Le Délié.Ce mot que même les anciens redoutaient. Ce souffle sans origine. Cette absence de forme si ancienne qu’elle est devenue mémoire.Je le vois se redresser lentement, comme un arbre noir dont les racines percent le monde, aspirant jusqu’à la lumière.Il ne bouge pas vite.Il n’a pas besoin.Il est déjà partout.Autour de lui, tout plie.L’espace.Le temps.Les pensées.Les feuilles se fanent en un instant. L’herbe se fige. L’air devient lourd. Chargé d’une poussière invisible, celle des souvenirs broyés.Il n’avance pas.C’est le monde qui recule.Je veux me relever.Par instinct. Par amour. Par rage.Mais mes jambes ne répondent plus.Mon flanc me brûle comme s’il avait été arraché. Mes
ELINALisière du camp : Au bord du gouffreJe ne ressens plus mes pattes.Ou peut-être que si. Peut-être que c’est pire : je sens chaque nerf hurler, chaque veine battre à contresens. Mon cœur s’est calé sur un rythme qui n’appartient plus qu’à la peur. Une peur sèche, souterraine. Une peur ancienne. Préhumaine. Inécrite.Devant moi, la chose avance.Ce n’est pas un loup.Ce n’est pas un homme.Ce n’est pas un dieu.Et pourtant, il les englobe tous.Il est la faille. Le gouffre. Le ventre noir de la légende.Il n’a pas besoin de parler. Pas besoin de grogner. Il est. Et cela suffit.Chaque mouvement fait trembler l’air. Les branches se tordent sur son passage comme si la forêt elle-même voulait fuir. Et, au fond de mes entrailles, quelque chose de très vieux se recroqueville. Un instinct enfoui. Celui que l’on pensait éteint. Celui des premières meutes, des premières chasses. Le souvenir du Délié.Je recule d’un pas, le museau retroussé. Non pas pour grogner. Mais pour respirer. Pour
ELINALisière du camp : Crépuscule rougeLe ciel saigne.Un rouge dense, saturé, éclaté sur les hauteurs comme une plaie béante. L’air est lourd, chargé d’électricité, de cendres volantes et de cette odeur familière : sueur, métal, peau animale chauffée à blanc. Il y a une tension dans le vent. Une peur contenue, crue. Elle ne vient pas de moi , elle vient de la terre.Je suis en première ligne. Là où tout commence. Là où tout peut finir.Autour de moi, les nôtres s’apprêtent. Pas un mot. Pas un hurlement. Pas même un battement de cœur inutile. Ce soir, la guerre ne se danse pas. Elle s’égorge.À ma droite, Aiden, solide comme un roc. Il ne bouge pas, mais ses épaules vibrent d’un calme terrible. Ses griffes brillent déjà, prêtes à déchirer.À ma gauche, Lys, plus loup qu’humaine. Ses yeux ont viré au bleu électrique. Sa respiration est courte. Mais régulière. Contrôlée. Un battement de rage maîtrisé.Et derrière, les nôtres. La meute restée. La vraie. Pas les plus puissants. Pas les
ELINACamp des Loups, Fin de matinéeLe tumulte ne faiblit pas.Il gronde dans l’air, comme un grondement sourd qui monte des entrailles de la terre. Les minutes s’étirent, tendues à craquer. Chaque bruit, chaque cri, chaque martèlement de pas résonne dans mes tempes, et ma peau vibre d’alerte. J’ai quitté Aiden depuis peu, mais la chaleur de sa paume reste imprimée dans la mienne. Je m’y accroche. Comme à une encre dans la tourmente.Autour de moi, la meute s’active.Les éclaireurs reviennent, haletants, le regard halluciné, les griffes encore sorties pour certains. Le sol est labouré par des sabots et des griffes, des sacs éventrés, des chaînes oubliées. Les ordres fusent, secs, rapides. L’odeur de sueur, de terre et d’adrénaline flotte dans l’air. La tension est presque palpable, comme si elle avait pris corps.Un jeune arrive en courant. Son souffle est court, son pelage encore mi-dressé malgré sa forme humaine.— Trois colonnes en approche. En ligne. Ils ont des drapeaux noirs… e