Marc
Je dors à peine.
Le sommeil n’est qu’une illusion fragile, traversée de réveils courts, de battements de cœur qui résonnent dans mes tempes, et de souvenirs encore brûlants sur ma peau. Chaque fois que je ferme les yeux, je sens de nouveau ses mains, sa chaleur, comme un écho qui refuse de s’éteindre.
Elle est là, tout près, sa respiration lente effleurant mon épaule. Un souffle régulier, presque apaisant… mais incapable d’éteindre le tumulte qui me maintient éveillé.
J’ouvre les yeux dans la pénombre, et le simple contour de son visage, dessiné par la lueur froide de la lune qui glisse à travers les rideaux, suffit à rallumer ce désir qui n’a jamais vraiment disparu depuis que je l’ai touchée.
Mon corps décide avant ma raison.
Je me tourne vers elle, avec une lenteur calculée, comme pour ne pas briser la bulle fragile qui nous entoure. Ma main glisse le long de son bras nu, caressant cette peau tiède qui me fait oublier tout le reste. Elle bouge à peine, mais un frisson léger traverse son corps, comme une réponse involontaire. Ses paupières se soulèvent à moitié, et dans son regard encore voilé de sommeil, je devine à la fois la surprise et une lueur familière, presque impatiente.
— Hoooo… murmure-t-elle, presque sans voix, comme si prononcer mon prénom pouvait rompre un charme.
Je ne lui réponds pas. Les mots seraient trop lourds, trop maladroits.
Je me penche simplement et pose mes lèvres sur les siennes, avec une hésitation feinte, comme pour lui laisser le choix. Elle répond à mon baiser d’abord timidement, ses lèvres s’ouvrant à peine, puis avec plus d’assurance, comme si elle se souvenait soudain de ce qu’elles avaient aimé la veille. Ses mains quittent les draps pour venir se poser contre ma nuque, ses doigts s’y ancrant doucement, m’attirant vers elle.
Cette fois, il n’y a plus l’appréhension de la découverte. Plus la retenue du premier pas.
Il y a la douceur d’un chemin déjà tracé, mais encore plein de zones d’ombre à explorer. Je sens son corps se tendre puis se relâcher sous mes gestes, comme s’il apprenait à nouveau ma façon de le toucher.
Je m’attarde sur sa bouche, puis descends lentement vers sa mâchoire, son cou, respirant cette odeur qui est devenue en quelques heures une drogue. Elle soupire, la tête légèrement renversée, m’offrant davantage de peau. Mes mains s’aventurent, effleurent, mémorisent. Chaque réaction qu’elle me donne devient une indication précieuse, un repère intime pour la retenir un peu plus longtemps ici, avec moi.
Ses gémissements sont différents cette nuit.
Plus profonds, plus confiants. Comme si l’obscurité nous autorisait à être plus vrais, plus entiers. Je l’entends me murmurer des bribes inaudibles, peut-être mon prénom, peut-être autre chose, mais tout est noyé dans cette chaleur qui monte entre nous.
— J’ai peur que tu disparaisses, souffle-t-elle soudain, comme si cette crainte l’avait brûlée depuis le début.
Je ne cherche pas à la rassurer avec des phrases creuses.
Ma réponse, c’est un mouvement lent, enveloppant, comme une promesse silencieuse : je suis encore là. Maintenant. Et je resterai tant qu’elle me le permettra.
Je veux que cette seconde fois soit encore plus ancrée que la première, qu’elle s’imprime dans ma mémoire avec une précision insupportable. Que je puisse me souvenir du rythme exact de sa respiration, de la manière dont ses mains se crispent sur moi, de la chaleur qui monte dans sa peau au moment précis où elle me laisse entrer plus profondément dans son univers.
Nous restons enlacés longtemps après, haletants, collés l’un à l’autre comme si nous craignions que l’air du monde extérieur nous sépare. Elle finit par se blottir contre moi, son visage niché dans le creux de mon cou, et je la sens s’endormir ainsi, apaisée. Je ferme les yeux à mon tour, persuadé que le matin nous trouvera dans cette même étreinte.
Mais quand j’ouvre les yeux, la lumière du jour filtre déjà par les rideaux entrouverts.
La place à côté de moi est vide. Froide.
Mon cœur se serre, violemment, comme si je venais de tomber de haut.
Je me redresse, balayant la pièce du regard. Pas de vêtement oublié, pas de mot sur la table de chevet, pas même un parfum flottant encore dans l’air. Comme si elle n’avait jamais été là.
Je reste assis sur le bord du lit, les mains serrées sur mes genoux. Un vide étrange m’envahit, un mélange d’irréalité et de perte brutale.
Et pourtant, au milieu de ce manque, une certitude s’impose.
J’ai vécu la plus belle nuit de ma vie.
Une nuit qui m’a réveillé de l’intérieur. Est-ce que j'ai rêvé ? Non , je ne peux pas avoir rêvé , je ferme les yeux et je me revois encore en elle ! Merde c'était merveilleux... j'ai hâte de refaire ça !
Une nuit qui m’a rappelé que je pouvais encore vibrer, désirer, être désiré.
Peut-être que je ne la reverrai jamais. Peut-être que son nom finira par m’échapper.
Mais cette nuit-là… personne ne pourra me l’enlever.
LolaLe taxi s’arrête devant l’immeuble. Mais ce n’est pas le chauffeur qui descend en premier.Un homme en costume sombre s’approche aussitôt, précis, comme s’il m’attendait. La cinquantaine, le visage rasé de près, l’allure droite. Sa présence est si soudaine que je reste figée, ma valise serrée contre moi.— Mademoiselle Lola ? dit-il d’une voix polie, avec un léger accent.Je hoche la tête, confuse.Il incline la sienne, puis ajoute :— Je suis Paul. À partir d’aujourd’hui, je serai votre chauffeur attitré. L’entreprise m’a confié la mission de veiller à tous vos déplacements.Je cligne des yeux. Mon chauffeur ? Le mot me paraît irréel, comme s’il appartenait à une vie qui n’est pas la mienne. Paul saisit ma valise avec aisance, sans me laisser le temps de protester, et m’invite d’un geste vers l’entrée.Le hall me dévore aussitôt. Le marbre poli, les plantes parfaitement taillées, les reflets froids des vitres. Tout sent la cire, le neuf, la perfection aseptisée. Paul marche deva
LolaLe matin arrive trop vite.La nuit m’a échappé comme une poignée de sable entre les doigts. À peine ai-je fermé les yeux que l’aube se glisse déjà sous mes rideaux, insolente, implacable. J’ouvre les paupières dans un vertige de vide, comme si la lumière m’avait arrachée de force à mes rêves pour me jeter dans une réalité trop lourde.Je reste longtemps allongée, immobile, à fixer le plafond que je connais par cœur : les fissures, la trace jaunie près de la lampe, les ombres familières. Chaque détail me hurle : tu pars, tu pars, tu pars. Je tourne la tête vers mes murs pâles, mes affiches décollées, mes piles de livres en désordre. C’est mon refuge, mon monde minuscule, et ce matin je dois le quitter comme on arrache une racine du sol.Sur le plancher, ma valise attend. Trop petite pour contenir une vie entière, trop lourde pour mes mains qui tremblent déjà. Chaque objet glissé à l’intérieur a arraché une déchirure : mes carnets tachés d’encre, une écharpe offerte par Sephora un
LolaTrois jours , trois interminables jours.J’ai compté les heures, les minutes, les battements de mon cœur. Trois nuits où j’ai tourné dans mon lit, l’esprit en proie à une bataille sourde entre deux forces contraires : l’espoir et la peur.Chaque fois que je m’imaginais décrocher ce poste, mon corps vibrait d’une exaltation presque douloureuse. Et chaque fois que je pensais à un possible refus, une honte cuisante m’écrasait, comme si je n’étais déjà plus qu’un échec ambulant.Alors ce matin-là, incapable de résister plus longtemps, j’ai saisi mon téléphone. Ma main tremblait si fort que j’ai failli le laisser tomber. Mes doigts étaient moites, mes lèvres sèches. Composer le numéro m’a paru un acte immense, irréversible.Quand la voix posée de monsieur Delmas a résonné, claire et presque chaleureuse, quelque chose en moi s’est effondré : mes barrières, mes soupçons, mes craintes. Tout a fondu.— Bonjour, mademoiselle Lola. Alors, vous avez réfléchi ?Il savait déjà que j’allais dir
LolaUne semaine s’est écoulée depuis ce premier appel mystérieux. Sept jours interminables où le silence a pris la forme d’une menace invisible. Chaque vibration de mon téléphone, chaque bruit dans l’appartement, me faisait sursauter. Mais rien. Pas de nouveau signe. Comme si ce numéro inconnu avait seulement voulu m’effleurer pour mieux se graver dans mon esprit.Et malgré tout, il est resté là. Ce frisson. Ce malaise. Cette certitude que quelque chose m’attendait, tapi dans l’ombre.Ce matin-là, j’essaie de me convaincre que c’est fini. Que ce n’était rien. Assise à la petite table de la cuisine, j’avale un café déjà froid. Sephora dort encore, et je tente de me donner l’air calme, mais mes mains tremblent en serrant la tasse.C’est alors que la sonnerie du téléphone déchire le silence.Je reste figée. Mon cœur s’emballe, cogne si fort que j’ai du mal à respirer. L’écran s’illumine : un numéro fixe. Pas masqué, pas anonyme. Un indicatif d’une grande ville voisine. Mon souffle se bl
LolaLe jour se lève à peine, mais mes yeux sont déjà ouverts. La lumière pâle filtre à travers les rideaux, comme si elle hésitait à pénétrer ce refuge fragile que Sephora tente de maintenir pour moi. Pourtant, refuge ou non, le poids de ma vie me serre la poitrine.Je reste étendue un long moment, immobile, les mains posées sur mon ventre comme pour retenir une douleur qui n’a pas de nom. Une pensée tourne en boucle, lancinante : et si je ne trouvais jamais de travail ? Le monde dehors grouille de jeunes diplômés, brillants, pressés, prêts à tout. Et moi ? Moi qui n’ai même pas terminé mes études, moi qui trébuche dès qu’il faudrait avancer… quel avenir m’attend ?Je ferme les yeux, et les larmes montent sans prévenir. Une brûlure chaude qui glisse sur mes joues. J’ai l’impression que le malheur me suit partout où je vais, comme une ombre qui s’agrippe à mes pas. J’ai fui une première fois, j’ai cru qu’en changeant de ville, de visages, de murs, je trouverais un répit. Mais non. La
MarcL’appartement est silencieux, mais mon esprit, lui, ne l’est pas. Chaque pièce résonne encore de l’ombre de Sephora, de sa certitude qu’elle est partout, qu’elle voit tout. Je serre les poings, la mâchoire crispée. Elle croit me fuir… qu’elle croit protéger Lola. Mais elle se trompe. Elle croit d'elle peut m'éloigner d'elle . Je vais lui montrer qu’elle sous-estime mon jeu.Je me glisse dans mon bureau, ferme la porte derrière moi. Pas question d’agir directement, pas encore. Trop de témoins, trop de risques. Les sociétés que je dirige sont mes armes et mes alibis. Tout doit rester discret, calculé.Je sors mon téléphone, le cœur battant mais les gestes précis. Mon plan doit être parfait, chaque détail anticipé. Le DRH de l’une de mes sociétés, loin d’ici, est mon relais idéal. Il ne connaît pas Lola, n’a aucun lien avec elle. C’est parfait. Il croira seulement que j’agis par amitié, et personne ne reliera jamais les fils.— Écoute-moi bien, murmuré-je presque pour moi-même, mais