MasukIl claqua la porte derrière lui.
La voix d’Emmeline monta aussitôt :
— Bonne soirée, et merci ! cria-t-elle dans le vide.
Romy releva la tête vers elle.
Emmeline, la cinquantaine élégante, portait un tailleur couleur nuit qui moulait sa silhouette comme une seconde peau. Ses cheveux, impeccablement coiffés, semblaient défier l’heure tardive, comme si sa journée venait à peine de commencer.
Elle fixait Romy avec un regard faussement outré, les sourcils légèrement arqué, les lèvres esquissant un sourire qui en disait long.
lui lança un regard faussement outré
— Non mais sérieux… il connaît les mots “bonjour” et “au revoir”, ce mec ? Remarque : il dit même pas “merci”. Il signe et il dégage.
Romy esquissa un sourire.
— Il ne nous a pas vus, c’est tout.
— Arrête, bison. Il nous a pas vus parce qu’on n’existe pas. On est ses esclaves. Bon, au moins, il paie bien.
Romy sourit encore.
C’était vrai pour Emmeline.
Beaucoup moins pour elle.
Romy baissa les yeux vers ses propres mains, les ongles courts et sans vernis.
Elle, Romy Durel, elle était payée au lance-pierre par une société d’intérim toujours en retard, qui l’avait déjà mise dans le rouge plus d’une fois. Les factures arrivaient plus vite que les salaires.
Elle n’avait pas les enveloppes discrètes d’Emmeline, ni ses primes, ni même un contrat stable. Juste des promesses, des retards, et cette sensation tenace d’être un pion sur un échiquier dont elle ne voyait même pas les règles.
Et pourtant, à un moment, Sirine — celle qu’elle avait remplacée — avait parlé de démissionner. Mais qui quitterait un poste où la rémunération d’assistante restait déjà bien au-dessus de la moyenne, presque au niveau d’une secrétaire confirmée ?
Elle enfila son manteau, attrapa son petit sac et suivit sa collègue vers l’ascenseur.
Romy resta un instant immobile, son petit sac serrés contre sa poitrine.
Dans le couloir désert, l’odeur de cèdre et de bois musqué flottait encore, celle de Caleb. Une fragrance riche, enveloppante, une odeur dans laquelle elle aurait pu se noyer sans jamais refaire surface.
Elle ferma les yeux une seconde, inspirant profondément, comme pour emmagasiner ce qui lui restait de lui. Ce n’était même pas un parfum, c’était une présence : ce mélange de luxe discret et d’autorité froide qui semblait imprégner chaque recoin de l’étage. Même l’air, ici, lui appartenait.
— Tu rêves debout, ma belle ?
La voix d’Emmeline la ramena brutalement à la réalité. Romy rouvrit les yeux, les joues légèrement rosies, comme surprise en flagrant délit.
— Non, non… Je… Elle se racla la gorge, cherchant une excuse plausible. Je vérifiais juste si j’avais tout.
Emmeline la dévisagea, un sourcil levé, amusée.
— Mmm. À d’autres. Tu snifais son parfum comme une junkie en manque. Pathétique.
Elle éclata de rire, mais sans méchanceté.
— Bon, allez, viens.
Romy sourit malgré elle, suivant Emmeline vers les ascenseurs. Elle avait raison, bien sûr. Mais ce n’était pas le parfum qui la faisait rêver. C’était l’homme qui le portait. Et ça, c’était bien plus dangereux.
Emmeline appuya sur le bouton de l’ascenseur avec un sourire narquois.
— Et demain, on va voir le carnaval de vaches passer !
Romy, qui venait tout juste de reprendre ce matin-là, la dévisagea, complètement perdue.
— Le carnaval de… vaches ?
— OUI, soupira Emmeline en roulant des yeux. Monsieur Wright a une nouvelle lubie : il veut un enfant. Mais attention, pas de femme à la clé, hein. Non, non. Alors il a décidé d’acheter un ventre.
Romy sentit son estomac se nouer.
— Un ventre ? répéta-t-elle, la voix soudain étranglée.
— Oui, ma chérie, une mère porteuse, confirma Emmeline avec un sourire en coin. Il a pas vraiment le choix, tu vois. Lui-même, il peut pas porter l’enfant, malheureusement.
Romy écarquilla les yeux, choquée.
— Mais… il veut faire ça comment ? À l’ancienne ?
Emmeline éclata de rire, un rire franc et un peu cru.
— Oh que non ! À l’éprouvette, ma belle ! Elle baissa la voix, comme si elle partageait un secret croustillant. Monsieur a déjà tout préparé : les petites fioles sont remplies et bien au frais dans sa banque de sperme privée. Tu te rends compte du nombre de nanas qui auraient voulu l’aider à remplir les bocaux, hein ?
Romy sentit ses joues s’embraser.
— Emmeline ! s’exclama-t-elle, gênée.
— Oh, allez, détends-toi !
Emmeline jeta un coup d’œil autour d’elles avant de chuchoter, complice :
— Y a plus que les femmes de ménage à cette heure-ci. On peut dire ce qu’on veut, personne ne nous entendra.
Romy ne put s’empêcher de rire malgré son embarras, tout en secouant la tête.
Caleb Wright, père ?
L’idée lui semblait si irréelle, presque surréaliste.
Pourtant, quelque part, elle pouvait l’imaginer : un homme comme lui ne laisserait rien au hasard, pas même la naissance de son enfant.
ROMYJe restai encore quelques secondes immobile, incapable de bouger.Comme si mes jambes avaient décidé de me lâcher sans prévenir.Mon cœur battait trop vite. Beaucoup trop vite pour une situation qui, en théorie, ne me concernait pas vraiment.Ne me concernait pas…Quelle blague.Je finis par me redresser et m’éloignai du bureau de Caleb, mes pas un peu trop rapides, presque fuyants. J’avais l’impression que tout le couloir pouvait lire sur mon visage ce qui se passait dans ma tête. Comme si c’était écrit en gros : elle hésite.— Alors ? lança Émeline dès qu’elle m’aperçut.Sa voix me ramena brutalement à la réalité. Elle était appuyée contre le comptoir, les bras croisés, ce sourire en coin que je connaissais trop bien. Celui qui voulait dire je sais… même quand elle ne savait rien.— Alors quoi ? répondis-je en haussant les épaules.Mauvaise idée. Très mauvaise idée.Elle me détailla de la tête aux pieds, lentement, comme si elle analysait une scène invisible.— T’as cette tête-
Le couloir désert s’étendait comme une faille entre deux mondes.Romy y resta adossée, le dos collé au mur froid, les doigts agrippés à la bouteille d’eau qu’Émelyne lui avait tendue. Elle ne l’avait même pas ouverte. Elle ne pouvait pas. Pas encore. Pas avant d’avoir digéré ce qui venait de se passer.Il m’a vraiment demandé ça ?La question tournait en boucle dans sa tête, obsédante, étouffante. Elle revoyait Caleb, assis derrière son bureau, les avant-bras posés sur l’acajou noir, le regard aussi froid que calculateur. Est-ce que vous accepteriez ? Pas une question. Un défi. Une provocation. Comme s’il savait déjà qu’elle était en train de se fissurer, de se laisser envahir par une idée qui n’aurait jamais dû germer.Émelyne la dévisageait, un sourcil levé, les bras croisés.— T’es écarlate. Qu’est-ce qu’il t’a fait ?Romy détourna les yeux, fixant un point invisible sur le sol.— Rien.— Ouaiiiis.Émelyne lui tendit la bouteille d’eau, mais Romy ne la prit pas tout de suite. Elle
Il soutint son regard sans la moindre hésitation, sans fléchir d’un iota. Son expression restait impassible, sérieuse, presque austère. Il ne sourit pas, ne chercha pas à adoucir l’instant par une quelconque légèreté. Il ne recula pas d’un millimètre, comme si cette conversation était la chose la plus naturelle du monde.— Pourquoi pas vous ? répondit-il enfin, en haussant très légèrement les épaules, dans un geste qui semblait dire que la réponse était évidente, presque banale. Je vous observe depuis un certain temps déjà, Romy. Je vous connais suffisamment pour savoir quel genre de femme vous êtes.Il marqua une pause délibérée, pesant chaque mot comme s’il les déposait un à un sur une balance invisible.— Équilibrée. Discrète. Intelligente. Honnête. Tout précisément ce que je recherche chez la personne qui porterait mon enfant.Elle sentit son cœur s’emballer davantage, cognant si fort contre sa poitrine qu’elle craignit un instant qu’il puisse l’entendre. Était-ce un compliment si
Caleb désigna le notaire d’un geste négligent de la main, sans même daigner le regarder directement.— J’ai ici mon ami qui me répète sans cesse que je suis complètement stupide de vouloir recourir à une mère porteuse pour avoir un enfant.Un silence lourd, presque palpable, s’installa alors dans la pièce. Romy sentit son souffle se bloquer dans sa gorge. Le notaire, visiblement surpris par cette formulation abrupte, tourna la tête vers Caleb, attendant manifestement une explication ou une précision. Mais Caleb, lui, ne quittait pas Romy des yeux. Il y avait dans son regard une intensité particulière, profonde, qui la fit frissonner malgré elle.Elle se raidit sur sa chaise, consciente que son cœur battait maintenant plus vite, plus fort. Pourquoi la fixait-il avec une telle insistance ? Qu’attendait-il d’elle exactement ?— Et vous ? demanda-t-il soudain, baissant légèrement la voix, la rendant presque intime, comme un murmure destiné à elle seule.Romy cligna des paupières, déstabil
Romy traversa le couloir d’un pas mesuré, le plateau en équilibre dans ses mains, tout en se répétant intérieurement que ce café accompagné de lait ne changerait absolument rien à la situation. Pourtant, quand le patron exprimait un désir, aussi anodin soit-il, il obtenait toujours satisfaction. C’était une règle implicite dans cette entreprise, une de ces lois non écrites que tout le monde respectait sans discuter. Elle ajusta légèrement le broc chaud contre sa paume, sentant la chaleur se diffuser à travers la porcelaine, et frappa trois coups rapides à la porte du bureau.Sans attendre une réponse explicite, elle poussa la poignée et entra. L’atmosphère de la pièce était chargée, lourde d’une conversation sérieuse. Ni Caleb ni son notaire ne relevèrent la tête à son arrivée. Ils étaient plongés dans leurs échanges, les voix basses et concentrées.— Tu es vraiment certain, Caleb, que c’est bien ce que tu souhaites ? demanda le notaire d’un ton prudent, presque hésitant.— Absolument
Emelyne haussa les épaules, l’air de dire que tout était déjà joué.— Monsieur Wright choisira la mère porteuse comme il choisit une pierre précieuse : à la loupe, en scrutant la moindre imperfection. Et il attendra d’elle la même perfection. Même s’il ne compte pas la garder… du moins, c’est ce qu’il croit.Romy sentit un frisson lui traverser la colonne.Une pierre précieuse.Un ventre à louer.Elle, dans tout ça ?Comment elle pourrait O-S-E-R aller lui proposer ça ?Se présenter devant lui en mode : Bonjour monsieur Wright, je vous ai préparé un café… et au passage, si vous cherchez un utérus, j’en ai un disponible ?Elle aurait préféré mourir de honte.Littéralement.Rien que l’idée lui donnait la nausée : franchir cette porte, soutenir son regard, imaginer prononcer ces mots absurdes, obscènes, humiliants.Elle n’était pas une pierre.Pas un objet.Pas qu’un ventre.Pas une option sur catalogue.Et jamais — jamais — elle n’irait frapper à sa porte pour ça.La seconde fille sorti







