Je suis arrivé au ciné dix minutes en avance pour pouvoir occuper de bons sièges. Par expérience, j'ai appris que le coin le plus tranquille est celui situé en haut, au fond, du côté gauche. C'est le coin idéal pour mater le film en toute tranquillité et en plus, il parait que ceux qui s'y asseyent se rapprochent après la séance. Plusieurs couples s’y sont formés. Victor et Sherley , Sebastien et Eloise et après ce soir ce sera Lena et moi.
J'entre dans le bâtiment les mains enfoncés dans les poches de ma veste. Il fait particulièrement froid ce soir. On dirait même que la météo est favorable à ce que Lena et moi nous nous rapprochons. Je marche jusqu'au comptoir. Le contrôleur me demande les tickets. Je les lui donne rapidement avant d'aller chercher le pop corn et deux sodas. Comme ça au moins, Lena ne m'en voudra pas de ne pas avoir pris de quoi grignoter. Ensuite, j'entre dans la salle les mains chargées par les snacks et je m'installe au coin des amoureux. Le film commence dans moins de cinq minutes. Je guète l'entrée pour voir si Lena arrive mais elle n'est pas là. J'imagine qu'elle se prépare encore. Les filles sont toujours en retard de toute façon. Elles prennent au minimum mille ans pour s'apprêter alors que les mecs ont besoin de dix minutes chronos. C'est le temps nécessaire pour se doucher, se parfumer et s'habiller. J'ai tout de même hâte de découvrir la tenue qu'elle va porter ce soir même si je sais qu'elle débarquera en survêtements qu'elle me pique à chaque fois qu'elle vient chez moi. Tout mes pulls se sont retrouvés chez elle comme par magie. Mais ça me plaît. Ils lui vont mieux qu'à moi de toute façon. Elle est si parfaite, si raffinée et à la fois sauvage. Lorsqu'elle n'enfile pas un vêtement de sport, à la garçonne, elle porte des robes qui lui collent à la peau. Mais quelques fois des tenues traditionnelles également. Tout lui va à ravir. C'est une fille élancée à l'allure fière qui s'en fiche du regard des autres. Bien que quelques années auparavant, c'était une personne assez timide. Elle avait du mal à s'exprimer en public. Elle bégayait lorsqu'elle faisait face à une foule et baissait toujours le regard devant les autres. C'est en la découvrant aussi sensible que mes sentiments sont nés. Je l'ai aimé au début et je l'aimerais jusqu'à la fin. Elle a un de ces regards qui fait rougir, trembler, balbutier... Des pupilles sombres qui captivent et qui éveille la curiosité. Lena est un véritable mystère. Une énigme que d’autres cherchent à résoudre. Et pourtant, j'arrive à voir qui elle est vraiment. Moi j’en ai eu le privilège. Elle se sent à l'aise uniquement en ma présence. '' peut-être parce que je suis son meilleur ami '' J'ai parfois l'impression qu'elle n'a que cela à m'offrir. Mais ça ne me suffit pas. J'aimerais être égoïste en lui avouant mes sentiments, en la mettant dos au mur pour qu'elle puisse se rendre compte de ce que je ressens vraiment pour elle. '' Lui laisserai-je le choix de m'aimer ? Est-ce qu'elle en est capable ? '' La voix d'une femme nous annonce que le film va bientôt commencer. '' Plus que dix secondes '' Je jete un coup d'œil désespéré sur l'écran de mon téléphone qui n'affiche aucune notifications. Je me demande ce qu'elle fait et savoir qu'elle est avec Jack, le garçon devant lequel elle perd tous ses moyens, celui dont elle est follement amoureuse. Cela me perturbe. Elle est sûrement bien mieux avec lui. J'imagine que leur rendez-vous est un vrai pot de miel, de douceur comparé au mien qui sent la mélancolie et le désespoir. Je nous imagine là tous les deux, les mains se rapprochant malicieusement l'une de l'autre au moment où le film devient le plus intense. Le fameux bisous, cette explosion d'amour qui éblouit tous les spectateurs. Et voilà les câlins, les bisous ; des promesses de toute vie dans une obscurité la plus complète. Pendant ce temps, le cœur valse, il est affolé et incontrôlable lorsqu'on croise le regard de notre âme sœur. Celle qui se trouve en face de nous, celle qui nous apprend à vivre et à aimer inconditionnellement. '' Lena , pitié réponds moi '' Mon cœur se serre d'un coup. J'ai terriblement mal. Je frôle l'infarctus, la crise d'asthme. J'ai du mal à respirer, à me contrôler. Je serre mes poings et mon visage se crispe. Une rage sans nom m'envahie avant de laisser la place à de la tristesse. Ce sentiment qui veut me pousser à chialer comme un gosse. Mais mon père en voulant m'apprendre à devenir un vrai homme m'avait dit un jour : « Fils, un homme ne pleure pas » Le gamin que j'étais a retenu cette phrase que je trimballe dans mes pensées jusqu'à ce jour. Pleurer là maintenant me rendrait vulnérable. Pitoyable même. J'appelle Lena plusieurs fois au cas où elle aurait oublié notre rendez-vous- mais elle ne répond pas. J'abandonne au bout d'une vingtaine de tentatives. Puis, mes yeux se concentrent sur le film qui débute à peine. Deux d'heures plus tard, la séance se termine. Je bâille sans me gêner. Ce film était plutôt pourrit. Le personnage principal était trop mélodramatique à mon goût. Je penchais plus du côté des antagonistes. Ils n'avaient peur de rien. Je devrais peut-être m'en inspirer en passant. Si Lena était là, elle aurait versé une larme lorsque le héros se faisait chiffonner comme un mal propre. Ma Lena est une personne assez sensible. Non pas qu'elle pleure pour un rien. Non, loin de là. Elle a la même sensibilité qu'une fleur. Elle est comme un papillon encore dans son cocon. Elle possède l'âme la plus douce, belle et magnétique du monde. À mes yeux, elle n’a aucun défaut. Je repense encore à elle. Cette douleur dans mon torse revient avec plus de vivacité et se diffuse dans tout mon être. Après le film, je rebrousse chemin jusqu'à mon appartement. Une fois à l'intérieur, je ressens un énorme vide en moi. Le vent de la solitude me tiendra encore compagnie ce soir. Ma mère avec qui j'ai dîné plus tôt dans la soirée est partie avant même que je n'eus le temps de couper la tarte pour le dessert. Elle devait apparemment rejoindre un groupe de femmes au foyer pour une séance de lecture. Mon père quant à lui n'a pas pointé le bout de son nez. Il passe la majorité de son temps dans son bureau. Cela faisait partie des raisons pour lesquelles je le détestais quand j'étais enfant. Je me demandais sans cesse s'il aimait son travail mais plus que sa famille. Aujourd'hui, j'arrive à la comprendre. Je sais qu'il fait tout ça pour nous épargner une vie de misère. C'est grâce à ses heures sup' que j'ai pu me payer ma première année à l'université avant d'obtenir une bourse. Mes pas lents et nonchalants me conduisent jusqu'à ma chambre. Je m'allonge sur le lit avant de prendre mon téléphone. Je fixe l'écran, encore et encore. Il est déjà minuit et Hinata ne m'a toujours pas répondu. '' Et si je la gênais ?'' Qui suis-je pour interrompre son petit moment privilégié avec Jack? Je me comporte comme un petit ami jaloux et inquiet. Elle doit sûrement se demander à quoi je joue. Je soupire. La nuit va être longue, pénible, dure à supporter à cause de cette angoisse que je ressens. Tout cet amour qui bouillonne au fond de moi et que je n'arrive pas à exprimer. Et ça monte, encore et encore jusqu'à ma gorge. Ça me coupe le souffle, mes mots s'en volent. J'ai tellement d'amour à donner, à partager. Il y'en a assez pour deux personnes. Juste pour Lena et moi. Je me retourne sans cesse sur le lit, sous une couverture. Je cherche la position idéale afin de trouver le sommeil mais je ne la trouve pas. Que ce soit à gauche ou à droite, rien n'est assez bien. '' Ou peut-être que c'est moi qui ne suis pas assez bien pour elle '' Après plusieurs tentatives, je réussis à trouver le sommeil. Je laisse mon corps s'enfoncer dans le lit puis, je plonge dans un profond sommeil. Le lendemain, je me réveille en douceur. Ma nuit a été plutôt agréable étrangement. J'ai dormi comme un bébé. Je sors de mes draps puis, je me dirige vers la salle de bain. Je me poste devant mon miroir qui me révèle les cernes que j'ai sous les yeux. Je prends un masque à l'avocat que ma mère m'a offert pour mon anniversaire. Je n'aurais jamais cru que je l'utiliserais un jour. J'ai toujours trouvé étrange le fait de se tartiner le visage avec de la bouffe. La bouffe est faite pour être mangée mais si hormis son goût succulent, l'avocat retire les cernes, je suis prêt à m'en badigeonner sur le visage. Je pose donc délicatement- et en toute maladresse- le masque sur mon visage. En me regardant dans le miroir, j'ai l'impression de voir darkvador, enfin, une version plus mignonne et séduisante de lui. Je fais le beau en me mirant pendant une bonne dizaine de minutes, le temps que le masque agisse sur ma peau . Ensuite, je le retire et constate avec stupéfaction son efficacité. Mon visage est plus lisse et moins enflé. On dirait presque que je sors d’un siècle de sommeil. Après mon masque, je me débarbouille. J'enfile par la suite un tee-shirt blanc, un jean et une paire de baskets. Fin prêt, je prends mon sac dans lequel je range mon ordinateur avant de sortir de mon appartement. Comme chaque matin avant d'aller en cours, à l'université, je me rends dans un resto-café.Léna me fixe droit dans les yeux.Et dans ce regard, il y a cette lueur brûlante qui me transperce de part en part. Une faim, une flamme, comme si j’étais une proie qu’elle s’apprêtait à dévorer sans scrupules. Ses lèvres, entrouvertes, sont une invitation au péché. Au pire des interdits. Parce que oui… ce serait une faute, un mensonge, un putain de péché de l’embrasser. Je suis en couple. Je suis lié à une autre.Mais nier ce que je ressens là, maintenant, serait le plus vilain des mensonges. Je crève d’envie de goûter sa bouche, de m’abandonner à ce qu’elle allume en moi depuis des années.Je lutte. Je serre la mâchoire, je me mords presque la langue pour ne pas sombrer. Mais je n’y arrive pas. Mes pensées s’alourdissent, se brouillent, se tordent comme des vagues. Et dans ce chaos mental, une seule idée persiste : Léna. Elle et son corps qui me hante depuis toujours. Je l’ai déjà rêvée mille fois, nue, haletante, offerte à moi. Alors je me demande… si en rêve c’était déjà le paradi
Je sors deux verres du placard et les pose sur le plan de travail. Le bruit du verre contre le bois résonne étrangement dans cette grande cuisine trop silencieuse. — Tu bois quoi, Eloise ? je demande en ouvrant la bouteille de vodka. — Oh… rien, je crois. Pas trop envie de boire ce soir, dit-elle en détournant les yeux. Je fronce les sourcils. Elle est étrange, comme ailleurs. Moi, au contraire, ce soir, j’ai besoin de lâcher prise, de sentir l’alcool brûler ma gorge et m’alléger la tête. — Allez, bois un verre avec moi. Juste un. J’ai envie de picoler ce soir, d’oublier un peu. Elle secoue la tête doucement, son sourire est poli mais ses yeux sont absents. — Non, vraiment. Je ne préfère pas. Je l’observe un instant, hésitante, mais je ne la force pas. J’attrape la bouteille de whisky posée dans le buffet, me sers généreusement, et avale une longue gorgée. Le feu descend dans ma gorge. Ça chauffe. Ça anesthésie un peu. Et ça me fait du bien. À ce moment-là, Sébastie
La musique…C’est tout ce qui me fait respirer. Vivre. Voyager. Rêver.Surtout quand elle est douce, un peu mélancolique, au point de me donner envie de hurler le mot « liberté » à pleins poumons. Les bras levés, les yeux fermés face au néant. Juste ça… et je suis en paix.J’aime ces chansons tristes qui font réfléchir, qui me ramènent à mon enfance comme un écho. Les paroles me bouleversent toujours autant. Elles transpercent mon âme, l’éteignent un instant avant de la rallumer comme un soleil après l’orage.Lana del Rey.Encore Lana del Rey.Pourquoi tes chansons touchent-elles mon âme comme si la tienne et la mienne étaient reliées ? Pourquoi tes blessures deviennent-elles instantanément les miennes lorsque ta voix se brise sur tes mots ?— Hé, les gars ! On va pas passer la soirée à écouter des trucs aussi mélodramatiques. Mettez du punk ! Enfin j’sais pas moi ! balance Sébastien en entrant dans la pièce.Nous sommes dans un grand salon à la déco sobre et chaleureuse. Le bois est
Quelques jours plus tôt.Le Mont Blanc.C’était le nom du parc où j’allais quand j’étais gosse. Enfin… où Shawn m’y traînait, surtout. Chaque fois que nos parents s’arrachaient la gorge à coups d’insultes, il me sortait de la maison pour m’épargner le carnage. Il disait que je n’avais pas besoin de voir à quel point les humains pouvaient être des monstres. Il disait aussi que malgré les tempêtes, le soleil finirait toujours par revenir.En vrai, Shawn était un sacré connard avec moi, la plupart du temps. Mais, paradoxalement, il m’a sauvé.C’est grâce à lui si j’ai réussi à garder cette part sensible en moi, ce morceau de chair tendre coincé sous mon armure de pierre. Celle que je cache au reste du monde.Aujourd’hui, je suis assis sur ce même vieux banc en bois, face au lac et au grand chêne. Jessy est à côté de moi, silencieuse. Et d’un coup, tout me revient. J’ai dix ans, Shawn à mes côtés. On ne parle pas. On ne se regarde même pas. On fixe juste l’eau, le ciel, les nuages, on éco
L’ambiance au chalet est lourde depuis l’arrivée de Lena et d’Eliott. Un poids invisible flotte dans la pièce, comme une brume qui ne veut pas se dissiper. Les rires sont forcés, les mots parfois étouffés, et derrière chaque silence se cache une tension que personne n’ose nommer.J’ai ce verre entre les mains et ce liquide incolore le remplit à moitié. Ça sent l’alcool à plein nez. C’est de la vodka pure : 37,5 degrés d’alcool dans une seule bouteille. Même si c’est fort, je sais qu’il m’en faudrait bien plus qu’un seul verre pour être complètement ivre.Cela fait plus d’une heure que nous sommes dans le salon. On boit, on parle de tout et de rien. Lena est assise juste en face de moi. Elle sirote son cocktail rouge vif. Elle ne me regarde presque pas. Ses yeux pâles restent fixés sur une seule personne. Même si elle tente de le cacher, je le vois. Et je me demande pourquoi ses yeux ne cherchent plus les miens. Pourquoi ils ne me désirent plus avec la même intensité. Quelque chose a c
Le silence, parfois, est le plus honnête des langages. Il apaise. Il protège. Il parle pour nous quand les mots se cassent la gueule.Avec Eliott, tout est si simple. On n’a pas besoin de parler pour se comprendre. C’est comme de la télépathie — pure et naturelle. Quand il est là, je perds mes repères, je dérive dans un monde parallèle où il n’y a plus que lui. Depuis ce jour-là, je ne sais plus quoi penser. Ni quoi dire. Je suis épuisée, mais je lutte contre le sommeil juste pour rester éveillée dans sa présence.Le chalet est enfin là, devant nous. Mais je n’arrive pas à avancer. Pas avec lui à quelques centimètres de moi. Il est silencieux. Moi aussi. Je l’entends soupirer doucement, je vois les battements de son cœur sous son pull. Et les miens s’alignent aux siens, comme s’ils avaient trouvé leur métronome.C’est vertigineux.Incontrôlable.J’ai cette sensation étrange… Comme si le lien d’amitié entre nous était en train de s’effriter. Se rétracter. S’atrophier. Et ça me terrifie