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Chapitre 4 : Lena

Author: LGRINA
last update Last Updated: 2025-06-14 05:39:59

Jack  me tient toujours la main. Et dans ce simple geste, il brise une barrière. Cette couche de glace invisible entre nous, celle que j’ai rêvé de faire fondre avec la chaleur d’un baiser brûlant comme un après-midi d’été. En me prenant la main, il fait un doigt d’honneur à mes peurs, à mes doutes. Et moi, toute tremblante, timide, docile… je le laisse entrer.

Il s’immisce dans mes pensées, il prend toute la place. Mon être entier ne pense qu’à lui. Il est inscrit à l’encre noire au fond de mon cœur, gravé là où les battements deviennent plus forts rien qu’à son nom.

Jack…

Mon cœur bat pour lui. Il bat doucement, intensément… mais parfois, j’ai l’impression qu’il s’épuise. Comme s’il flirtait avec l’idée de s’éteindre, à force d’attendre. Tout ce qu’il veut, c’est un coin de paradis, un endroit où seul Jack  pourrait le mener.

Nous arrivons au restaurant. Il pousse la porte et me fait passer devant, avec cette attention discrète qui me fait fondre. Une fois à l’intérieur, nos mains se retrouvent naturellement. Je frissonne. Je rougis. Je fonds.

On s’installe à une table à l’écart. Une serveuse vient, prend notre commande, puis disparaît, nous laissant seuls. Sasuke ne parle pas. Il observe l’extérieur, son regard perdu au-delà de la vitre. De mon côté, je détaille la pièce. L’ambiance est douce, presque intime. Quelques familles partagent un repas dans la joie, les rires résonnent doucement, porteurs de bonheur simple.

— Alors, à quoi tu penses ? me demande-t-il soudain.

Jack… Encore lui.

Il m’arrache à mes pensées juste avant qu’elles ne dérivent vers ma propre famille, mes parents… ceux que je n’ai jamais vraiment connus. Une seconde de plus, et j’aurais pleuré.

— À rien, soufflé-je.

Il croise les bras sur son torse.. Il ne me croit pas, je le vois. Et pendant un court instant, j’ai l’impression qu’il lit en moi. Son regard intense accroche le mien, et je sens mes barrières vaciller.

— Tu sais, tu peux me parler. Je ne mords pas.

Je sais.

En apparence, tu sembles froid, distant, insaisissable. Mais je sais que tu es plus que ça. 

Tu sais écouter comme personne. Dans un silence qui apaise, qui comprend. 

Tu ne juges pas. 

Tu fais tomber les murs. 

Tu es doux, attentionné, profondément humain. 

Et c’est ça… c’est exactement ça qui m’a fait tomber amoureuse de toi.

Je soupire. Ma voix, d’abord posée et confiante, se brise doucement, déformée par une douleur enfouie depuis trop longtemps.

— Je pense à ma mère et ma soeur…elles me manquent terriblement, avouai-je en observant les familles autour de nous. Je n’ai pas pu connaître l’amour d’un père. Elles sont mes seules soutiens et vivre loin d’elles depuis si longtemps devient pesant. Je sens un creux en moi. Chaque jours.

La seule personne à qui j’avais confié ce pan de mon histoire, c’était Eliott. Alors le dire à Jack, ici, maintenant, c’est comme franchir une barrière. Lui ouvrir une porte vers ce que je cache le plus. Lui montrer que je lui fais assez confiance pour partager mes blessures.

Il se penche lentement vers moi, et me lance un sourire doux, presque timide. Ses mains glissent jusqu’aux miennes, posées sur la table, tremblantes malgré moi. Il les attrape, fermement, mais avec une tendresse déconcertante. En un instant, leur agitation s’apaise. Comme s’il m’avait transmis un peu de sa force, de son calme.

J’avale ma salive avec difficulté. Mes yeux se brouillent, mais je me bats intérieurement pour ne pas laisser couler mes larmes.

— Je comprends ce que tu ressens, murmure-t-il. Je sais que ce n’est pas pareil, mais… moi aussi, je connais cette douleur-là. Cette brûlure qui ne s’éteint jamais.

Il inspire, puis poursuit, la voix posée :

— J’ai grandi avec mon frère. Il était dépressif, accro aux jeux d’argent et à l’alcool. Mon père ? Je me souviens juste de son dos. Il a claqué la porte un jour et il est parti. Comme ça. Sans un mot. J’ai encore cette image en tête… ses pas rapides, comme s’il fuyait quelque chose. Ou quelqu’un. J’ai toujours pensé que ce quelqu’un, c’était moi. Peut-être que j’étais un fardeau.

Il esquisse un geste avec les mains, pour accompagner ses mots, comme s’il voulait illustrer l’effondrement.

La serveuse revient à ce moment-là. Elle pose nos plats devant nous, puis s’éloigne. Jack  prend une gorgée de soda, le regard dans le vide, avant de reprendre :

— Ma mère est morte quand j’avais huit ans. Sa disparition… c’était presque une libération. Pour elle, et pour lui. Elle s’est libérée d’un enfer, et mon géniteur… il s’est débarrassé d’un poids. Mon frère… c’est lui qui a le plus souffert.

Il termine sur ce ton neutre, sans frisson, sans larme. Mais je sens que, derrière ce calme, se cache un gouffre. Et je ne vois plus seulement Jack, je vois un garçon qui, comme moi, a appris à survivre.

Comment fait-il pour y arriver ? Pour garder autant de douleur enfouie sans jamais laisser rien transparaître ? Il semble tout contenir dans ce corps musclé, fermé comme une forteresse. Rien ne dépasse, rien ne s’échappe. Et pourtant, je sens le poids qu’il porte.

— Comment tu te sens ? murmuré-je timidement, la voix à peine audible.

Il ne répond pas tout de suite. Il prend ses couverts et remue distraitement sa soupe. L’odeur des nouilles monte jusqu’à mes narines, et mon estomac se contracte avant de gargouiller bruyamment. Jack relève les yeux vers moi, les sourcils légèrement froncés.

— Mange, sinon ça va refroidir, dit-il d’un ton sec mais presque attendrissant.

Je rougis et hoche vite la tête avant de m’exécuter. Nous mangeons en silence, mais ma question plane toujours, suspendue entre nous. Quand il entrouvre enfin les lèvres, j’ai un petit sursaut intérieur. Mon cœur s’emballe, prêt à entendre sa réponse.

Est-ce que toi, Jack… ça va ?

Mais il dévie :

— J’avais oublié à quel point un bon repas pouvait faire du bien. Les épices sont parfaites, et le bœuf est cuit à point. Mes compliments au chef, dit-il avec sérieux.

Il n’est pas prêt. Pas encore.

Je souris doucement. Il a raison, le plat est délicieux. Et le voir s’enthousiasmer ainsi me fait penser à une vieille série culinaire, avec ces ados passionnés qui parlent des aliments comme d’une poésie vivante. Ils cuisinent avec le cœur, comme s’ils insufflaient de l’âme à chaque plat.

Jack  ressemble à ces personnages. Calme, concentré, et en parfaite harmonie avec ce qu’il fait. Juste là, à cet instant, il semble en paix.

J’ai quand même du mal à l’imaginer regarder toute une saison de cette série. Il aurait sûrement abandonné au bout de deux épisodes, max.

Après le repas, nous sortons du resto, repus. Mon ventre est tellement plein qu’on dirait que je porte un mini-moi à l’intérieur. Il aurait mes yeux… et le charme de son père.

Eliott !

Oh non. Je l’avais complètement zappé.

Eliott !!

Je m’arrête net, en plein milieu de la chaussée. Sasuke me suit, surpris. Il se fige à son tour et se tourne vers moi.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— J’ai totalement oublié que je devais retrouver Eliott  au ciné. Et tous ses appels… marmonné-je, inquiète. Il doit me détester à cette heure-ci.

Jack  fait un pas vers moi.

— Vous sortez ensemble ?

Je sursaute presque. Moi, sortir avec Eliott ? Non… C’est mon meilleur ami. Il est comme un frère, c’est tout.

— Hum ? répète-t-il, en se penchant légèrement vers moi.

 Est-ce de la jalousie que je lis dans ses yeux ? Ou juste de la curiosité ?

L’air devient un peu plus dense, presque électrique. Son regard m’analyse, comme s’il cherchait à deviner ce que je ressens. Mon silence semble l’interpeller.

 S’il s’intéresse à ma vie sentimentale, c’est peut-être qu’il tient à moi… non ?

Je secoue la tête pour balayer mes pensées. Jack enfonce les mains dans les poches de son jean, toujours silencieux. Mais même dans la pénombre, je vois ses yeux briller. D’envie ? De jalousie ? De désir… ?

— Non. On est juste amis, finis-je par dire en reprenant la marche.

— Cool, lâche-t-il en haussant les épaules, comme si ça ne comptait pas… mais je sens que ça compte quand même.

On continue à marcher. Il me raccompagne jusqu’à chez moi. Avant de partir, il me fait la bise. Trois au total. Une sur chaque joue… et une dernière sur le front. Un geste doux, inattendu, qui me fait fondre.

Puis il se retourne, et s’en va. Je rentre chez moi.

Épuisée, je file sous la douche, et je m’endors aussitôt après. Le cœur un peu trop plein.

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