Quelques jours plus tôt.Le Mont Blanc.C’était le nom du parc où j’allais quand j’étais gosse. Enfin… où Shawn m’y traînait, surtout. Chaque fois que nos parents s’arrachaient la gorge à coups d’insultes, il me sortait de la maison pour m’épargner le carnage. Il disait que je n’avais pas besoin de voir à quel point les humains pouvaient être des monstres. Il disait aussi que malgré les tempêtes, le soleil finirait toujours par revenir.En vrai, Shawn était un sacré connard avec moi, la plupart du temps. Mais, paradoxalement, il m’a sauvé.C’est grâce à lui si j’ai réussi à garder cette part sensible en moi, ce morceau de chair tendre coincé sous mon armure de pierre. Celle que je cache au reste du monde.Aujourd’hui, je suis assis sur ce même vieux banc en bois, face au lac et au grand chêne. Jessy est à côté de moi, silencieuse. Et d’un coup, tout me revient. J’ai dix ans, Shawn à mes côtés. On ne parle pas. On ne se regarde même pas. On fixe juste l’eau, le ciel, les nuages, on éco
L’ambiance au chalet est lourde depuis l’arrivée de Lena et d’Eliott. Un poids invisible flotte dans la pièce, comme une brume qui ne veut pas se dissiper. Les rires sont forcés, les mots parfois étouffés, et derrière chaque silence se cache une tension que personne n’ose nommer.J’ai ce verre entre les mains et ce liquide incolore le remplit à moitié. Ça sent l’alcool à plein nez. C’est de la vodka pure : 37,5 degrés d’alcool dans une seule bouteille. Même si c’est fort, je sais qu’il m’en faudrait bien plus qu’un seul verre pour être complètement ivre.Cela fait plus d’une heure que nous sommes dans le salon. On boit, on parle de tout et de rien. Lena est assise juste en face de moi. Elle sirote son cocktail rouge vif. Elle ne me regarde presque pas. Ses yeux pâles restent fixés sur une seule personne. Même si elle tente de le cacher, je le vois. Et je me demande pourquoi ses yeux ne cherchent plus les miens. Pourquoi ils ne me désirent plus avec la même intensité. Quelque chose a c
Le silence, parfois, est le plus honnête des langages. Il apaise. Il protège. Il parle pour nous quand les mots se cassent la gueule.Avec Eliott, tout est si simple. On n’a pas besoin de parler pour se comprendre. C’est comme de la télépathie — pure et naturelle. Quand il est là, je perds mes repères, je dérive dans un monde parallèle où il n’y a plus que lui. Depuis ce jour-là, je ne sais plus quoi penser. Ni quoi dire. Je suis épuisée, mais je lutte contre le sommeil juste pour rester éveillée dans sa présence.Le chalet est enfin là, devant nous. Mais je n’arrive pas à avancer. Pas avec lui à quelques centimètres de moi. Il est silencieux. Moi aussi. Je l’entends soupirer doucement, je vois les battements de son cœur sous son pull. Et les miens s’alignent aux siens, comme s’ils avaient trouvé leur métronome.C’est vertigineux.Incontrôlable.J’ai cette sensation étrange… Comme si le lien d’amitié entre nous était en train de s’effriter. Se rétracter. S’atrophier. Et ça me terrifie
Le chalet de Sébastien dégage un charme discret mais certain. Je n’ai pas encore eu l’occasion de le visiter entièrement, mais ce que j’ai pu en apercevoir laisse deviner une maison spacieuse, pensée pour le confort. Il y a des pièces partout, comme si chaque recoin avait été conçu pour accueillir un moment de vie, une parenthèse de calme. Sébastien vient d’un bon milieu. Je crois qu’il a des origines espagnoles et françaises. Quand il s’énerve, il lui arrive de mêler les deux langues, ce qui rend ses éclats à la fois drôles et impressionnants.Ce soir, l’air est frais, presque piquant. Eliott m’a prêté son pull un peu trop grand juste avant que Sébastien ne l’envoie chercher Lena. Je me demande comment se passent leurs retrouvailles. Ils ont sûrement mille choses à se dire… et autant à taire.Je suis installée dans un canapé moelleux, celui-là même qui me garde au chaud comme une étreinte. La pièce est calme, bercée par une lumière douce et des odeurs de bois. Soudain, une lumière v
Elle est là.Elle est là, putain. Enfin. Après une éternité. Après des jours entiers à tourner en rond, sans son visage, sans sa voix, sans ses rires qui font vibrer l’air autour de moi. Elle est là, à quelques mètres, et quelque chose se soulève dans mon ventre. Un haut-le-cœur. Une vague. Un truc incontrôlable. Mon estomac se serre, mon torse s’échauffe, mon cœur cogne si fort qu’il pourrait faire trembler les murs.J’ai froid. J’ai chaud. J’ai envie de la prendre dans mes bras. De lui dire qu’elle m’a manqué, que c’était insupportable sans elle. Mais je me retiens. Parce qu’elle m’a déjà repoussé une fois. Parce que j’ai déjà pris le risque, et que ça m’a coûté trop cher. Pourtant, là, maintenant, je sens que quelque chose pulse entre nous. Une force magnétique. Comme si nos corps s’appelaient en silence. Comme si nos cœurs battaient la même mesure, malgré tout.Il n’y a eu qu’elle au départ. Il n’y a toujours eu qu’elle.Je m’approche lentement. J’observe ses réactions. Elle ne bo
Aujourd’hui Je rentre enfin à la maison, après quelques jours passés chez ma mère. J’y suis allée pour les funérailles de mon père. Ça m’a fait du bien de m’éloigner un peu. De tout. De cette ville étouffante… et surtout d’Eliott.Ça fait des jours qu’on ne s’est pas parlé. Plusieurs jours de silence. Une partie de moi en avait cruellement besoin, et l’autre… l’autre mourait d’envie de lui écrire. Juste pour savoir s’il allait bien. S’il mangeait, s’il dormait. S’il pensait à moi comme je pense à lui, à chaque minute, chaque seconde. Ce silence, c’est devenu une sorte de torture que je m’infligeais. Et pourtant, je continuais. Comme si je devais souffrir pour comprendre ce que je ressens vraiment.Je n’ai pas cessé de penser à ce moment suspendu qui a tout bouleversé.Je le sais, au fond de moi : rien ne sera plus jamais comme avant. J’ai peur. Peur de ce que ça signifie. Peur pour notre amitié. Peur de ne plus réussir à le regarder sans flancher, sans rougir, sans honte. Parce que j