ANDRÉCela fait sept jours.Sept jours que je pense à elle comme à une fièvre qui refuse de retomber.Sept jours que son parfum, sa peau, son souffle me hantent jusque dans mes rêves.La nuit dernière encore, j’ai ouvert les yeux en sursaut, trempé de sueur, le cœur battant trop vite. Le drap collé à ma peau. À côté de moi, Éléa dormait, paisible, les lèvres entrouvertes, ignorant la tempête qui m’arrachait le sommeil. Je l’ai regardée, et j’ai eu honte. Une honte poisseuse, qui me collait à la gorge.J’ai tourné la tête. Et je l’ai vue, elle.Pas vraiment là, mais dans mon esprit. Camille.Elle, avec ses yeux qui ne cillent pas, sa bouche qui sait exactement quoi faire, et ce corps qui ne demande pas, qui prend.Je ferme les yeux et je me revois sur elle, en elle, incapable d’arrêter. J’ai voulu la détester pour ce qu’elle me fait, mais c’est impossible. Plus j’essaie, plus elle s’ancre en moi, comme une brûlure qui ne guérit pas.Le jour, c’est pire encore. Je me surprends à fixer m
CAMILLEIl avait encore le goût d’Éléa. C’était évident. Je l’ai senti tout de suite. Sur sa langue, sur sa peau, dans sa façon de me toucher, comme s’il portait encore en lui l’écho d’elle. Un goût de vanille discrète, de corps lavé trop vite, de présence pas tout à fait effacée. Et ce goût-là, je ne l’ai pas repoussé. Je l’ai gardé, même savouré. Parce que c’était elle que je voulais effacer. Et pour l’effacer, il fallait que je la sente d’abord. Jusqu’au bout. Jusqu’à ce que son parfum devienne mien.Je n’ai pas été prise. C’est moi qui l’ai pris. Et ça change tout.Je l’ai voulu. Je l’ai préparé. Je l’ai provoqué.Pas pour l’amour. Pas pour le sexe.Pour le pouvoir. Pour la sensation vertigineuse d’être plus forte qu’elle.Au début, c’était presque un jeu. Presque.Je testais. Je jaugeais. Je lui laissais croire que j’étais innocente, que je ne faisais rien de mal. Mais je connaissais chaque geste. Chaque mot. Chaque mouvement d’épaule, chaque rire légèrement trop bas, chaque sile
ÉLÉAIl ment.Je le sais.Je le sens.Ce n’est pas une question de preuves.Ce n’est pas une intuition passagère, ni une paranoïa de femme qui s’ennuie ou qui projette ses peurs sur l’homme qu’elle aime.C’est autre chose.Quelque chose de plus physique, de plus dense, comme une tension dans l’air qui ne se dissipe jamais vraiment, comme une poussière qui ne retombe pas, comme une fracture invisible dans une vitre qui continue à tenir, mais qu’on sait prête à exploser au moindre choc.Il ment dans sa façon de rentrer, dans la manière trop contrôlée dont il referme la porte, comme s’il jouait un rôle appris trop vite, mal répété.Il ment dans la raideur de ses gestes, dans ses regards volés qu’il détourne aussitôt, dans ses phrases trop complètes, trop construites, comme s’il fallait qu’elles tiennent toutes seules, en équilibre au bord d’un vide qu’il ne veut pas nommer.Il ment avec son corps entier, et c’est ça qui me dévaste.Je le regarde et je vois tout ce qu’il essaie de cacher.
ANDRÉJe rentre à la maison alors que le jour n’a pas encore tout à fait pris possession du ciel, à cette heure trouble où les ombres persistent dans les coins, accrochées comme des fantômes aux murs, et où le silence semble toujours prêt à exploser.Pas assez tôt pour prétendre que j’ai passé la nuit à travailler, à m’éreinter sur des dossiers au bureau avec des collègues fatigués, à boire des cafés trop amers en enchaînant les heures dans une lumière blafarde.Pas assez tard non plus pour qu’elle soit encore endormie, inconsciente de mon absence, protégée par les draps et l’ignorance.La lumière du salon, allumée comme un phare figé dans l’attente, projette une clarté douce mais impitoyable, comme si elle servait moins à éclairer la pièce qu’à révéler ma faute, à pointer du doigt ce que je suis devenu, ce que je suis en train de perdre.Je referme la porte doucement, avec précaution, presque avec honte, mais le bruit de la serrure qui se verrouille résonne en moi comme un claquement
ANDRÉJe suis allongé sur le lit , encore nu.Je suis encore là , je n’ai pas dormi. Je ne peux pas.Mes muscles sont trop contractés, mon crâne trop chargé.Tout pue la tension.Les draps, l’air, moi.Camille est à côté.Ou plutôt : de l’autre côté.Tournée, nue, parfaitement immobile.Elle respire lentement, profondément.Mais je sais qu’elle ne dort pas.Je la sens comme on sent une lame sous la peau.Elle attend.Elle guette.Elle m’écoute.Mon sexe est toujours dur , sans raison , ou plutôt si : pour toutes les mauvaises raisons.Il est là, dressé, comme une insulte à ma volonté.Comme une trahison d’en bas, de ce que je ne maîtrise pas.Comme s’il parlait à ma place.Comme s’il criait ce que je m’interdis même de penser.Je ferme les yeux.Je voudrais m’absenter de moi-même.Me dissoudre.Cesser d’exister dans ce corps qui ne sait qu’obéir au feu. Ce n’est pas toi.Ce n’est pas ce que tu voulais.Ce n’est pas ce que tu es.Mensonge.Je suis ce que mon corps trahit.Je suis le s
ANDRÉElle ne dit rien .Elle ne m’invite pas à parler.Elle ne bouge presque pas.Elle est simplement là, debout, à deux mètres de moi, les doigts encore humides de moi, la clé suspendue dans sa paume ouverte comme si tout l’avenir de cette nuit, de mon choix, de ma chute, dépendait de ce petit objet de métal brillant qu’elle tient sans y penser.Je n’ose pas me lever.Je n’ose pas détourner les yeux.Le silence entre nous est plus épais que la nuit elle-même, plus lourd que tout ce qui n’a pas encore été dit.Camille me regarde, droite, impassible, presque hiératique, comme si elle m’examinait. Comme si elle attendait de voir si j’allais me lever ou m’effondrer. Puis, sans un mot, elle fait glisser la clé sur la commode. Le bruit métallique est à peine un chuchotement, mais il résonne comme une cloche dans mon crâne.Et alors, elle se tourne.D’un geste si lent, si fluide, que chaque mouvement semble pesé, chorégraphié pour détruire ma dernière défense.Ses mains glissent lentement