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Chapitre 4 – Le premier faux pas

Autor: Darkness
last update Última actualización: 2025-11-16 18:50:55

Lys

Il a dit :

— C’est Pessoa qui vous empêche de me voir ou est-ce que je suis simplement invisible ?

La voix posée. Grave, modulée avec ce qu’il faut de distance. Pas trop agressive. Pas trop humble non plus. Le genre de phrase qu’il a répétée devant un miroir en ajustant sa montre. Il attend une réaction. Il vit pour ça, je crois. Pour les effets. Pour l’impact. Il veut provoquer quelque chose.

Mais je ne bouge pas.

Je ne cède rien. Pas tout de suite.

Je tourne une page, lentement. Je sens son regard. Il attend. Il guette. Il croit pouvoir m’atteindre avec une réplique. Il ne comprend pas que je suis ailleurs. À des années-lumière des jeux de scène.

Enfin, je relève les yeux. Une seconde. Deux.

— Invisible, non. Bruyant, plutôt.

Et je replonge dans mon livre, comme s’il n’était qu’un courant d’air.

Je pourrais sourire, bien sûr. Juste un peu. Par politesse. Par réflexe. Mais non. Je ne veux pas. Pas encore. Ce serait céder trop vite. Ce serait reconnaître le jeu. Or je ne joue jamais sans avoir décidé de gagner. Pas quand l’adversaire croit que tout est à sa portée.

Il reste debout une seconde de trop. Hésite. Évalue. Puis tire la chaise. Bruit sec. Bois contre bois. Une tension dans l’air. Il s’assoit sans me demander.

Ce geste-là dit tout.

Il ne demande rien à personne. Il prend. Il s’impose. Il occupe l’espace comme un champ de bataille.

Il croit qu’il peut me faire reculer.

Il ne sait pas que je suis le genre de femme qui, face à une invasion, érige des murs de glace et regarde les corps tomber.

Je lève les yeux de nouveau. Cette fois, je le fixe. Et je comprends.

Ce n’est pas un homme qui drague.

C’est un homme qui traque.

Et moi, je suis là. Impeccable. Inatteignable.

Mais tout ce qui est inaccessible donne envie de brûler les barrières.

Et ça, il vient juste de le découvrir.

Léo

Elle ne m’a pas regardé quand je suis entré.

Pas un battement de cils, pas un frisson, pas un sursaut de curiosité. Rien.

Elle était là, absorbée dans son livre comme si le monde autour n’existait pas.

Et ça…

Ça m’a foutu une claque.

Je connais les regards qui attendent. Ceux qui veulent, même quand ils se refusent. Je les reconnais au pli des lèvres, à la tension dans les épaules, à la respiration un peu trop lente pour être naturelle.

Je sais les lire. Je sais y répondre.

Mais elle… elle ne m’a pas vu. Vraiment pas.

Et ça, c’est insupportable.

Alors je suis allé vers elle. Pas pour la séduire. Pas tout de suite. Pour comprendre. Pour déchiffrer. Pour secouer cette façade. Parce que ce genre de froideur, ça cache quelque chose. Une blessure, un mur, une faille.

Je voulais voir si ça tremblait derrière.

Mais non.

Quand elle a levé les yeux, elle m’a regardé comme on regarde un tableau dont on devine les intentions, mais qu’on trouve trop bruyant pour être honnête.

Et elle a parlé. Sec, net. Sans sourire.

Avec ce calme tranchant qui appartient aux femmes qui n’ont plus peur. Ni des hommes, ni du vide, ni de la solitude.

Ce calme-là, c’est pire qu’une gifle. C’est une frontière infranchissable.

Alors je me suis assis.

Pas pour discuter.

Pour l’obliger à me voir.

Mais plus je la regarde, plus je comprends que je n’ai aucune prise.

Et que c’est précisément ça qui me donne envie d’essayer.

Lys

Il me demande ce que je lis.

Voix plus douce. Il module. Il teste un autre registre.

Je pourrais mentir. Répondre un roman populaire. Une romance. Un thriller. Me rendre humaine, accessible, décodable.

Mais non. Il n’aura pas ça.

— Pessoa. Le Livre de l’intranquillité.

Il sourit. Ce genre de sourire que les hommes affichent quand ils veulent montrer qu’ils savent. Qu’ils comprennent. Qu’ils sont au niveau. Il ne sait pas. Et il ne comprendra jamais.

— Vous lisez pour impressionner ou pour vous cacher ?

C’est malin. Pas banal. Il essaie de retourner la situation. De me déséquilibrer.

Mais il oublie que je vis dans les interstices. Dans les silences entre les mots. Là où l’attaque ne blesse pas. Là où rien ne me touche vraiment.

Alors je réponds :

— Et vous, vous parlez pour remplir ou pour éviter le silence ?

Il penche légèrement la tête. Goûte ma réponse comme on goûte un vin trop sec. Il n’est pas sûr d’aimer. Mais il veut comprendre l’arrière-goût. Il veut m’identifier.

Mais ce qu’il ignore, c’est que chaque phrase que je lui offre est une clef sans serrure.

Un leurre.

Un puzzle qui ne mène nulle part.

Parce qu’il n’y a rien à ouvrir. Rien à forcer.

Je suis un château vide avec les portes grandes ouvertes.

Et ça, il ne saura jamais quoi en faire.

Léo

Elle ne répond pas comme les autres.

Pas avec cette légèreté faussement piquante. Pas avec ces sourires en coin qui trahissent l’envie d’être vue.

Elle répond avec des lames.

Et chaque mot me donne envie d’en savoir plus.

Elle ne veut pas être séduite. Pas flattée. Pas convoitée.

Et c’est justement pour ça que je la veux.

Elle ne se débat pas.

Elle se dresse. Comme une muraille qu’on ne peut franchir qu’en se brûlant les mains.

Et je suis là. Fasciné. Frustré. Irrité.

Elle m’intimide.

Je ne l’avouerai pas. Jamais. Mais c’est là. Dans ma nuque. Dans ma gorge. Dans ce besoin de dire quelque chose d’intelligent, d’inattendu.

Ce besoin ridicule d’exister à ses yeux.

Mais elle… elle ne cherche personne.

Elle se suffit à elle-même. Elle est un monde clos. Dense. Dérangeant.

Et moi, je suis là, face à elle, à espérer une fissure. Un souffle. Une erreur.

Parce que je sens que si elle flanche, même une seule fois, je ne m’en remettrai pas.

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