Chapitre 1

« Monsieur Hébert, j'accepte d'aller à Ville-des-Foyers pour devenir la psychologue de votre sœur. » La voix calme d'Aurélie Marchand a retenti.

À l'autre bout du fil, la voix grave de l'homme a trahi une légère surprise.

« Mlle Marchand, j'ai entendu dire que vous étiez déjà mariée. Si vous tenez à votre famille, je peux vous aider pour votre mari et votre enfant. »

Mari et enfant ?

Aurélie a baissé les yeux : non loin, le lait qu'elle avait renversé par accident coulait encore sur le sol.

Elle s'est soudain souvenue du regard dégoûté de son fils lorsqu'elle avait fait tomber le lait ce matin.

« Maman, pourquoi tu n'es même pas capable de réussir une petite chose comme ça ? Véronique n'aurait jamais raté ! Tu n'arrives pas à la cheville de Véronique. »

La « Véronique » dont parlait son fils n'était autre que Véronique Leroux, la femme que Julien Bernard idéalisait toujours, une ballerine célèbre, dont la danse du Petit Cygne faisait rêver jusqu'à son propre fils.

Au lieu de réprimander son fils pour ses propos irrespectueux, Julien s'était contenté de toiser Aurélie avec froideur et ironie, « Comment ta mère pourrait-elle se comparer à Véronique ? Si elle n'avait pas tout manigancé à l'époque, jamais je ne l'aurais épousée… »

Elle avait secrètement aimé Julien pendant sept ans avant de l'épouser, et leur mariage durait aujourd'hui autant que cet amour long et silencieux.

Ce n'était qu'un enfant qui avait engendré leur mariage. Et toute leur histoire, comme lui, était un accident inattendu.

Dans la famille Bernard, très traditionnelle, elle avait dû abandonner son travail pour être l'épouse parfaite, et aussi la mère parfaite de Léon Bernard.

Pour son fils, Aurélie avait enfin fait des compromis, troquant son métier contre la cuisine et les tâches ménagères, s'occupant avec soin de son mari et de son fils.

Pourtant, sept ans plus tard, son mari et son fils ne pensaient qu'à une autre femme.

Elle se rappelait encore les paroles que Léon répétait souvent : « Maman, pourquoi tu te disputes toujours avec papa ? Tu ne sais rien faire. Alors évidemment, papa ne t'aime pas. Si seulement Véronique était ma mère ! »

Aurélie a détourné le regard, et sa voix est devenue presque imperceptible : « Monsieur Hébert, ce ne sera pas nécessaire. »

Puisqu'ils voulaient tous les deux que Véronique la remplace, autant qu'Aurélie les laisse faire.

Ni mari, ni fils, elle n'en voulait plus.

Laurent Hébert et Aurélie ont convenu qu'elle partirait pour Ville-des-Foyers dans deux semaines.

Laurent était l'homme le plus riche de la ville. Sa sœur souffrait d'une dépression sévère due à des troubles psychologiques.

Lorsqu'il avait sollicité l'aide du professeur Étienne Morel, celui-ci lui avait recommandé Aurélie, car elle avait été sa plus brillante élève et avait démontré un talent exceptionnel en hypnose et en psychologie.

Plus tard, lorsqu'elle avait épousé Julien, elle s'était retirée pour devenir femme au foyer, ce que le professeur Morel regrettait toujours profondément.

« Aurélie, même si tu es une femme, tu ne devrais pas rester prisonnière du salon et de la cuisine à cause de la famille Bernard. Tu as une âme forte et libre, tu devrais déployer pleinement tes talents. »

Il le lui avait dit autrefois.

À l'époque, elle avait choisi de céder pour la famille Bernard.

À présent, avec le recul, elle comprenait qu'il avait eu raison.

Tout ce qu'elle avait donné à Julien et à son fils n'était qu'une illusion d'elle-même. Dans leurs yeux, cet ancien prodige de la psychologie ne valait pas la lumineuse Véronique, le petite cygne blanche et gracieuse.

A peine a-t-elle raccroché qu'un message vocal de Julien s'est affiché sur l'écran : « Léon et moi dînons à l'extérieur, pas besoin de préparer le repas. »

Son ton était neutre, presque impersonnel, comme s'il s'adressait à une domestique plutôt qu'à son épouse.

Ces dernières années, absorbée par des tâches ménagères sans fin, elle ressemblait effectivement à une servante gratuite.

Aurélie s'apprêtait à lui répondre, mais elle a entendu dans le fond sonore la voix de Véronique et celle de son fils.

« Véronique, maman ressemble à une vieille sorcière, non seulement elle ne sait rien faire, mais en plus elle veut tout contrôler et m'interdit de manger certaines choses. Pas comme elle, tu es la meilleure, tu me laisses tout faire. C'est toi que j'aime le plus, Véronique ! » La voix de l'enfant, innocente et douce, résonnait encore à son oreille.

Si cela avait été autrefois, Aurélie aurait probablement été triste et abattue.

Mais à cet instant, son cœur était étonnamment calme.

À cause de sa naissance prématurée, son fils avait une santé fragile. Pendant toutes ces années, elle l'avait soigné avec le plus grand soin, se donnant encore plus de mal pour son alimentation. Elle s'inquiétait pour sa santé et ne voulait pas qu'il aille manger à l'extérieur.

Pourtant, aux yeux de son fils, elle était devenue une vieille sorcière.

Aurélie n'a rien dit de plus. Elle a répondu simplement par un « D'accord ».

Lien de sang ou santé fragile, tout cela n'avait plus rien à voir avec elle.

Elle n'avait plus envie de nettoyer le salon en désordre par elle-même malgré le lait coulé sur le sol, elle a préféré appeler une aide-ménagère.

Julien n'aimait pas que des étrangers viennent chez eux, et c'est pour cela qu'Aurélie s'occupait toujours du ménage. Elle avait toujours agi maladroitement en fonction des goûts de Julien.

Mais aujourd'hui, Aurélie a pris sa décision.

Elle allait partir. Quoi que Julien pense, cela n'avait plus d'importance.

Tandis que l'aide-ménagère rangeait le salon, Aurélie est retournée dans sa chambre, a signé les papiers de divorce, puis a programmé un envoi postal différé.

Dans deux semaines, ces papiers arriveraient entre les mains de son mari.

Elle se disait que c'était probablement le dernier cadeau qu'elle lui offrait.

Le soir, Julien est enfin rentré avec leur fils.

À peine avaient-ils franchi le seuil que la voix enthousiaste de Léon retentissait, les yeux brillants et les mains battant l'air, incapable de contenir sa joie, « Papa, Véronique danse comme par magie, c'est incroyable ! Ses mouvements sont tout scintillants, ça brille comme des étoiles dans le ciel, et ça me fait rêver ! Pour le spectacle de l'école après-demain, est-ce que je pourrais inviter Véronique à venir avec moi, s'il te plaît ? Ce serait tellement génial ! »

Léon était élève dans une école maternelle pour enfants de familles aisées.

Après-demain, il y aurait un spectacle nécessitant la présence des parents, mais il avait toujours estimé que sa mère n'était pas à la hauteur et ne le lui avait jamais mentionné.

Donc il voulait que Véronique l'accompagne ?

L'expression joyeuse de l'enfant s'est figée dès qu'il a mis le pied dans la maison.

Lorsqu'il a vu sa mère, Léon a serré les lèvres et a froncé les sourcils.

Julien, le tenant par la main, a balayé du regard la maison et a froncé les sourcils, « Il y a eu quelqu'un à la maison ? »

« Oui, » a répondu distraitement Aurélie, « j'ai fait trier et donner certaines choses inutiles. »

Par exemple, les cravates et les boutons de manchette qu'elle avait achetés pour son mari, jamais portés, soigneusement rangés mais inutiles, ou encore les jouets préparés pour son fils, que celui-ci avait rapidement délaissés dans un coin de la chambre.

Elle allait bientôt partir, et il fallait mettre de l'ordre dans ces vieilleries au plus vite. D'une certaine manière, elle préparait la maison pour Véronique, la future maîtresse de maison. Et en même temps, elle s'est sentie un peu étrangère dans ce foyer qu'elle avait tant chéri.

Julien sentait que quelque chose n'allait pas.

Il faisait rarement attention aux changements dans la penderie et ne se rappelait donc pas ce qui pouvait manquer.

Il a froncé simplement les sourcils et a dit d'un ton glacial : « Léon est fragile et allergique à beaucoup de choses. À l'avenir, il vaudrait mieux éviter de faire venir du monde à la maison. Ces bricoles, il suffit de les jeter. La famille Bernard ne manque pas de ce genre de choses. »

Oui, exactement.

Les surprises qu'elle préparait avec soin pour son mari et son fils étaient toujours parfaitement superflues.

Cette fois, Aurélie ne se mettait pas en colère comme d'habitude, elle n'expliquait pas non plus qu'elle connaissait mieux que quiconque les sources d'allergie de Léon.

Elle s'est contentée de regarder son mari, beau mais froid, et a hoché la tête, « Je le sais. »

Elle s'est soudain rappelée ce que son fils avait dit en rentrant et a demandé brusquement : « Demain, j'ai quelque chose à faire. Pourrais-tu aller au spectacle de l'école de Léon avec Mlle Leroux ? »

À ces mots, Léon a ouvert de grands yeux brillants et a demandé timidement : « C'est vrai ? Maman, tu me laisserais vraiment y aller avec Véronique ? »

Voyant l'expression joyeuse et enthousiaste de son fils, Aurélie a eu un bref sourire.

Elle a hoché doucement la tête, un léger sourire flottant sur ses lèvres, « Oui, vraiment. »

Julien, lui, a froncé aussitôt les sourcils, prenant la remarque pour une crise de mauvaise humeur. Son visage s'est fermé et il a lancé d'un ton agacé : « Aurélie, qu'est-ce que tu fais encore ? Léon est petit, c'est normal qu'il aime bien Véronique. Il parle juste. Tu vas vraiment te fâcher contre lui juste pour ça ? »