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Chapitre 4

Author: Claire Largier
Julien serrait les lèvres, et un sentiment d’absurdité s’est installé en lui.

Aurélie a levé les yeux et a croisé son regard. Elle s’est figée un instant, a haussé légèrement les sourcils, « Tu veux quelque chose ? »

Après sa question, Julien s’est senti, sans savoir pourquoi, agité et contrarié.

C’était sa femme, et pourtant elle réagissait ainsi quand il rentrait dans leur chambre conjugale ?

L’agacement mêlé à cette étrange sensation accumulée dans sa poitrine lui a donné un besoin urgent de vérifier quelque chose. Il a avancé à grands pas, a coincé Aurélie contre la tête de lit.

Ses lèvres fines sont tombées, mais Aurélie a tourné légèrement la tête.

Ses lèvres fraîches n’ont touché que le coin de la bouche d’Aurélie.

Elle l’a regardée calmement, « Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »

Cette attitude l’a rendu encore plus irrité.

Il a esquissé un sourire moqueur, « Je pensais que tout ce vacarme depuis tout ce temps était pour ça. »

Depuis leur mariage, Aurélie n’avait guère eu d’occasions d’être intime avec lui, sauf sous l’effet de l’alcool ou par de petites insinuations du vieux Bernard.

La plupart du temps, ils vivaient chacun dans sa chambre, chacun dans son monde.

Avec le temps, Léon grandissait peu à peu, leur intimité était devenue de plus en plus rare.

Aurélie a croisé à nouveau son regard, sans colère ni grief. Elle y était habituée depuis longtemps.

« J’ai mes règles. »

Elle a évité son contact et a ajouté d’un ton indifférent : « Si tu en as besoin, va plutôt voir Mlle Leroux. »

Puisqu’elle s’apprêtait à partir, à quoi bon se laisser entraîner dans de nouvelles complications ?

D’ailleurs, les hommes, comme les brosses à dents, ne devraient pas être partagés.

Son attitude distante a fait rire Julien d’un rire froid.

« Aurélie, avec Véronique, ce n’est pas comme tu l’imagines. Tu crois vraiment qu’elle est aussi calculatrice que toi ? »

Avant de claquer lourdement la porte, il a laissé derrière lui une remarque sarcastique : « Dans ce cas, évite d’aller te plaindre devant mes parents. Si ce n’était pas pour ton petit coup monté de l’époque, je n’aurais jamais voulu te toucher. »

Aurélie a fixé la porte fermée, et tout à coup, elle s’est souvenue de cette nuit où Julien et elle s’étaient laissés emporter par la confusion et le désir.

À ce moment-là, son esprit était embrouillé, elle ne comprenait pas vraiment ce qui se passait.

Au réveil, en découvrant que l’homme à côté était Julien, elle avait effectivement ressenti un certain soulagement.

Paniquée, elle avait quitté les lieux précipitamment.

Plus tard, quand Julien avait appris qu’elle était enceinte, il était venu la trouver, avec dans les yeux une froideur teintée d’ironie et de dégoût, « Aurélie, comme tu le voulais, je vais t’épouser. »

À l’époque, elle était inquiète et perdue. Les ennuis de la famille Marchand et de ses parents, ajoutés à sa grossesse, l’empêchaient de remarquer la froideur de l’homme.

Elle aimait Julien à en perdre la raison et, tel un papillon de nuit se jetant dans les flammes, elle l’avait épousé avec joie.

Si elle aurait pu faire un autre choix…

Aurélie a fermé les yeux et a pensé : Si cela avait été possible, elle aurait souhaité ne jamais avoir croisé Julien.

Julien n’est pas rentré de la nuit.

Le lendemain, Aurélie a conduit Léon à l’école.

Elle n’avait pas appelé pour savoir où il se trouvait, mais un message de Véronique était arrivé.

L’image était simple : une cravate bleue.

Une cravate que Julien portait souvent.

« Aurélie, on voit bien qui est la personne qu’il aime vraiment. Cette cravate, c’est moi qui la lui ai offerte. Hier soir, il l’a utilisée pour m’attacher les mains… »

Les jeux érotiques de Véronique et Julien n’intéressaient pas Aurélie.

Autrefois, elle en aurait peut-être souffert et pleuré.

Mais en cet instant, elle ressentait surtout de la sérénité.

Elle avait décidé de partir, et bien sûr, elle n’allait plus jamais critiquer les choix de Julien.

Aurélie est passée chez le professeur Morel.

En plus d’une visite de courtoisie, elle voulait aussi se renseigner sur ce M. Hébert.

En la voyant, le professeur Morel semblait très heureux.

Soudain, il s’est souvenu de son histoire avec Julien et a lancé, sur un ton taquin : « As-tu parlé à Julien de ton départ pour Ville-des-Foyers ? À l’époque, tu passais tes journées à lui tourner autour. Tout le département savait que ma brillante élève avait perdu la tête pour un autre homme. L’autre jour, le professeur Jean Durand m’a encore demandé si tu voulais continuer à venir t’incruster à ses cours. »

Aurélie et Julien avaient fréquenté la même université.

Son amour secret avait toujours été modeste : hormis cette confession jamais réalisée lors de la remise des diplômes, elle n’avait jamais dérangé Julien.

À l’époque, ses sentiments d’adolescente étaient pourtant éclatants.

Pour pouvoir voir Julien plus souvent, elle avait suivi pendant tout un semestre son cours de finance en auditrice libre.

L’enseignant, ami de son propre maître, l’avait taquinée à plusieurs reprises, de manière plus ou moins explicite.

« Non. »

Aurélie a répondu doucement : «Je vous demanderais de bien vouloir garder pour vous mon voyage à Ville-des-Foyers parce que M. Hébert souhaite que ses besoins restent confidentiels. »

Le professeur Morel s’est figé un instant, puis a vite compris et a poussé un soupir.

Il avait pensé qu’Aurélie avait renoncé à sa carrière par amour, et n’avait accepté cette proposition d’embauche qu’après s’être complètement remise.

À présent, il voyait bien que son élève était brisée de toutes parts, et ce n’était qu’au bord du gouffre qu’elle avait pris conscience de sa situation.

Aurélie n’est pas restée longtemps chez le professeur Morel.

Après avoir récupéré les informations concernant son employeur, elle s’est mise en route pour rentrer chez elle.

Arrivée au carrefour, une voiture a filé devant elle à toute allure.

Aurélie a réagi rapidement, prête à s’écarter, mais une moto a surgi et l’a percutée.

L’accident est survenu sans prévenir.

Une douleur violente a traversé son corps, et une fine couche de sueur froide a perlé sur son front.

Elle a esquissé un sourire amer.

Elle devait sans doute être en désaccord avec l’atmosphère de cette ville.

Ses blessures n’étaient pas graves, aucun os n’avait été touché.

Mais la peau avait été entaillée, provoquant un saignement abondant qui donnait une impression saisissante.

Un moment d’une extrême frayeur.

En plus, le sang l’a un peu étourdie. Lorsqu’elle a repris ses esprits, son visage était tout blême.‘

« Mademoiselle, vous devriez plutôt prévenir un membre de votre famille. » lui a conseillé doucement l’agent de police, avec inquiétude.

Aurélie voulait se débrouiller seule, mais, voyant l’insistance de l’agent, elle avait fini par appeler Julien.

Elle ne s’attendait pas à ce que Julien vienne lui-même : il avait une secrétaire, et n’importe qui aurait pu l’accompagner à l’hôpital.

Très vite, la voix grave de l’homme a retenti dans le téléphone.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Julien, je… »

Aurélie serrait les dents malgré la douleur, prête à parler, mais, à ce moment-là, la voix douce de Véronique a résonné à l’autre bout du fil.

« Julien, les résultats de l’examen sont sortis. Je ne comprends pas, tu peux venir les lire pour moi ? »

Julien était avec Véronique.

Avant qu’Aurélie puisse dire quoi que ce soit, Julien a déjà raccroché, « On en parlera quand je rentrerai. »

« D’accord. »

Aurélie a répondu à voix basse.

Elle a refusé l’aide de l’agent de police, a réglé seule les formalités de l’accident, puis a pris un taxi pour aller à l’hôpital.

Par hasard, alors qu’elle venait de s’enregistrer à l’accueil, la voix claire et enfantine de son fils Léon a retenti non loin, « Véronique, tu as encore mal ? Léon va souffler pour que ça parte. »

Aurélie s’est tournée instinctivement vers la voix et a aperçu, non loin de là, Julien qui accompagnait son fils à la visite de contrôle de Véronique.

Les yeux habituellement froids de Julien trahissaient un léger souci.

« Ce n’était rien, » a murmuré Véronique avec un sourire doux, la voix aussi légère que ses gestes. Après avoir parlé, elle a effleuré la joue de Léon, debout à ses côtés. « Avec Léon à mes côtés, je me rétablirai vite. »

En entendant ces mots, l’enfant a levé son visage juvénile vers elle, les yeux brillants d’attente, « Véronique, si seulement ta maladie pouvait passer sur maman… Comme ça, tu ne serais plus souffrante. »

Aurélie est resté un instant interdit à ces paroles.

« Ne dis pas de bêtises, » a répliqué Julien en fronçant légèrement les sourcils. Sa voix grave ne portait pourtant pas de sévérité, « elle reste ta mère. »

« Ce serait mieux si maman mourait. Je ne voudrais pas la voir… Comme ça, Véronique pourrait devenir ma maman. »

Le petit serrait les lèvres, plus contrarié encore en pensant que, depuis deux jours, sa mère ne lui préparait même plus de repas.

À peine avait-il fini de parler que Julien a levé la tête, le regard encore un peu embué par les mots récents, et a aperçu, un peu plus loin, Aurélie qui avançait lentement, comme en équilibre entre la fatigue et la douleur.

Elle paraissait quelque peu défaite : ses cheveux épars flottaient autour de son visage, l’ourlet de sa robe était taché de sang, et la blessure qu’elle portait semblait effrayante, rappelant à chacun la fragilité d’un instant suspendu.

Et pourtant, malgré ce chaos apparent, chaque mouvement, chaque geste maladroit lui conférait une beauté éclatante, étrange et inattendue, qui a frappé Julien au point de lui couper le souffle et de lui faire oublier, un instant, toute autre pensée.
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