ÉVAJe sens encore son souffle contre ma nuque.L’écho de ses mots résonne à l’intérieur de moi comme un tambour sourd.Tu n’es pas seule.Il les a dits d’une voix grave, nouée, comme s’il les avait extraits de ses propres entrailles.Ils m’ont fendu en deux plus sûrement qu’un coup de lame.Je n’arrive pas à les chasser.Je n’en ai pas envie.Ils sont là, collés à ma peau, comme une brûlure douce, comme un baume dangereux.Je les garde en moi, comme on garde une promesse arrachée au bord du précipice.Il est dans l’autre pièce.Je l’entends marcher.Des pas lents, lourds, irréguliers.Chaque bruit est une frappe contre mon sternum.Il tourne en rond, dans cette nuit suspendue, pris dans un orage intérieur qu’il ne sait pas calmer.Il essaie de ne pas hurler.Il se bat contre le chaos qui lui ronge la gorge.Je l’imagine le poing serré, les mâchoires crispées, le front perlé de rage contenue.Je le connais.Il est capable d’encaisser mille tempêtes.Mais ce soir, c’est moi qu’il encai
BELMONTJe ne peux pas respirer.Le café est froid. Le silence trop épais. La lumière du jour trop crue sur son visage.Tout est figé.Même le temps.Je croyais pouvoir encaisser. Me contenir , me taire.Je me suis menti. Comme un gosse qui s’accroche à une illusion.Je tiens sa main, du bout des doigts, mais ça ne suffit plus. Pas ce matin. Pas après cette nuit.Elle me brûle, cette main. Comme si elle me rappelait à chaque pulsation que je suis vivant, que je suis là, que je n’ai rien fait. Que je n’ai rien vu. Rien empêché.Je me lève d’un coup. La chaise grince, hurle. Elle sursaute à peine. Elle savait que ça finirait comme ça. Elle s’y attendait. Elle a vu, dans mes yeux, que je tenais sur un fil.Je tourne en rond. Je racle le plancher comme un chien enragé. Je cogne contre l’air. Je m’étouffe.— Belmont…Sa voix me parvient. Faible. Mais réelle. Elle essaie de me ramener. Elle sent que je m’éloigne. Que je dérive.Mais c’est trop tard. La rage est là. Froide. Féroce. Implacabl
BELMONTJe n’ai pas dormi.Le sommeil s’est évaporé, comme tout le reste.Elle est là, dans mon lit, roulée en boule, minuscule, presque invisible.Elle respire doucement, mais moi, je suis incapable de fermer l’œil.Chaque minute qui passe ne fait qu’épaissir cette boule dans ma poitrine.Je la regarde.Ses épaules tressaillent par moments, comme si même dans ses rêves, quelque chose la traquait encore.Son corps garde la mémoire de ces coups.Comme si cette douleur, cette peur, étaient tatouées sous sa peau.Je serre les poings si fort que mes jointures blanchissent.Je ne sais même pas si c’est contre moi ou contre ce fantôme qu’elle a recraché hier soir.Cet homme.Ce salaud.Je sens ma gorge se nouer rien qu’à imaginer ses mains sur elle, ses regards, sa voix peut-être, et cette putain d’ombre qu’il a laissée en elle.Une ombre que je n’avais pas vue.Une ombre que je hais de toutes mes forces.Je me lève, incapable de rester immobile.Le plancher grince sous mes pas, mais elle n
ÉVAJe ne sais pas comment mes jambes me portent encore.Chaque pas est un effort. Chaque respiration, une tentative.Je suis vide, et pourtant pleine de cendres.Je suis entrée derrière lui.Pas dans notre appartement.Pas dans ce cocon que j’avais commencé à appeler maison.Mais chez lui. Belmont seul. Belmont sans moi.Tout est identique. Et tout a changé.Les murs sont les mêmes, mais il n’y a plus de chaleur dedans.Juste ce froid.Ce vide qui a pris la place de l’avenir.La porte claque derrière nous.Pas violemment.Mais avec cette douceur tranchante qu’ont les gestes qui savent déjà qu’ils vont faire mal.Il ne me regarde pas.Il pose les clés.Il retire sa veste.Il fait semblant d’être calme.Mais je le vois : ses épaules sont raides, son dos tendu, ses gestes trop lents, trop précis.Comme s’il se contenait pour ne pas exploser.Le silence s’installe.Épais.Insupportable.On entendrait presque mon cœur battre dans ma gorge.Je reste debout, près de la porte.Je n’ai même p
BELMONTJe suis resté là.Debout.Les poings fermés, les dents serrées, le cœur écartelé.Et tout autour de moi… le vide.Un vide qui respire.Un vide qui gronde.Un vide qui, lentement, prend forme et me dévore.Le silence est une bête vivante.Il se glisse dans mes os.Il appuie là où ça fait mal.Il me dit ce que je refuse encore de croire.Elle est partie.Sans un mot.Sans un regard.Sans même une tentative de me retenir.Et ce départ-là… ce n’est pas de la fuite.C’est de la résignation.Comme si elle savait déjà que c’était fini.Je vois les invités, hébétés, qui s’éparpillent comme des feuilles mortes soufflées par une rafale.Certains ont le regard fuyant.D’autres restent accrochés à moi comme à un spectacle qu’ils ne comprennent pas mais qu’ils veulent voir jusqu’au bout.Un homme s’approche, pose la main sur mon épaule , je crois que c’est mon frère.Ou peut-être le traiteur.Qu’importe.Je le repousse.Doucement.Mais assez fermement pour qu’il comprenne : je ne suis plus
BELMONTAu début, je ne comprends pas.La voix qui s’élève est comme un sifflement dans l’oreille, une vibration parasite, dérangeante, incongrue. Trop réelle pour être un rêve, trop irréelle pour avoir sa place ici, dans cette parenthèse parfaite que je m’étais efforcé de maintenir en vie.Puis elle revient.Plus forte.Plus claire.Un nom.Le sien.— Éva n’est pas celle que vous croyez.Tout vacille.Tous les regards se tournent, aimantés.Les murmures se figent.Une femme lâche un cri étouffé.Le prêtre baisse lentement les mains.Et dans le silence suspendu, comme après une détonation, lui entre.Grand, sec, vêtu de sombre, avec dans les yeux cette flamme trouble de ceux qui n’ont plus rien à perdre.Ses pas résonnent, sûrs.Il avance.Comme s’il était invité.Comme s’il était chez lui.Et tout dans mon corps me hurle que je le connais.Pas son nom.Mais son odeur.Son aura.Son rôle.Il était là. Dans les rapports classés. Dans les photos floues qu’un contact m’avait envoyées à l