Chapitre 1 : Le retour de l’impossible
Je n’ai jamais aimé les lundis matin. Mais ce lundi-là, je sens que quelque chose est différent. Dans l’air, une tension légère, presque imperceptible, flotte au-dessus de la ville comme un présage silencieux. Les taxis klaxonnent, les passants s’agitent, les talons claquent sur le bitume… New York est fidèle à elle-même : rapide, bruyante, impitoyable. Et pourtant, je me sens étrangement calme.
Trois ans. Cela fait trois ans que j’ai quitté William Sinclair. Trois ans que j’ai divorcé de l’homme que j’aimais plus que tout… et qui m’a brisée sans un mot. J’ai reconstruit ma vie brique par brique, comme on reconstruit un immeuble détruit par une explosion. Lentement. Patiemment. En évitant les ruines. En ignorant les souvenirs.
Je marche vers l’entrée du gratte-ciel avec un dossier sous le bras, les talons assurés, le regard droit. Aujourd’hui, je commence le projet le plus important de ma carrière. La rénovation complète du **Sinclair Royal**, l’hôtel le plus luxueux de Manhattan. C’est une opportunité en or, une chance unique de prouver que mon cabinet peut rivaliser avec les plus grands.
— Bonjour, je suis Angela Smith. J’ai rendez-vous avec le directeur des opérations, dis-je à la réceptionniste, un sourire professionnel accroché aux lèvres.
Elle hoche la tête et compose un numéro. Mon cœur bat légèrement plus vite. Excitation. Pression. Ambition.
Rien d’autre.
Je monte au 42e étage. L’ascenseur est rapide, silencieux, luxueux. Les parois sont couvertes de miroirs fumés, et je me regarde un instant. Tailleur noir, chemise crème, cheveux tirés en un chignon bas. Mon reflet me renvoie l’image d’une femme forte. Indépendante. Imperméable.
Et pourtant, quelque part en moi, un frisson me traverse la colonne vertébrale.
La porte s’ouvre.
Un homme m’accueille avec un sourire chaleureux.
— Angela Smith ? Je suis Jonathan Reed, directeur des opérations. Enchanté. Suivez-moi, je vais vous présenter les lieux.
Je le suis à travers un couloir aux murs tapissés de bois sombre et de dorures discrètes. Le style est opulent, classique, presque royal. Chaque détail respire le luxe et le pouvoir. Et pourtant, quelque chose me dérange. Comme si cette atmosphère m’était trop… familière.
— Vous avez fait du très bon travail sur l’hôtel Harrington, reprend-il. C’est pour ça que le propriétaire vous a choisie personnellement. Il voulait quelqu’un avec une vision, du caractère…
Je m’arrête.
— Attendez. Le propriétaire m’a choisie ? Il connaissait mon nom ?
Jonathan me regarde, surpris.
— Bien sûr. C’est lui qui vous a imposée, d’ailleurs. Il a dit : *Elle, ou personne d’autre.*
Je sens mes mains devenir moites.
Non. Ce n’est pas possible.
Je rassemble mon courage, ravale la panique qui monte, et demande, la voix presque neutre :
— Qui est le propriétaire, exactement ?
Jonathan sourit.
— William Sinclair.
Le monde s’arrête de tourner.
Je reste figée au milieu du couloir, incapable de bouger. Mon cœur cogne contre ma poitrine comme un tambour de guerre. Mes oreilles bourdonnent. Un goût amer remonte dans ma gorge.
William.
William Sinclair.
Je pensais ne plus jamais entendre ce nom.
— Tout va bien ? demande Jonathan.
Je reprends mes esprits en une fraction de seconde.
— Oui. Très bien.
Mensonge.
Tout en moi hurle de faire demi-tour. De fuir. De ne pas affronter ce fantôme revenu d’entre les cendres. Mais je ne peux pas. Pas maintenant. Pas après tout ce que j’ai sacrifié pour en arriver là.
Je serre les dents.
— Montrez-moi les plans, dis-je d’une voix calme. Commençons.
Nous passons la matinée à parcourir les étages, les suites, les salons à rénover. J’écoute. Je prends des notes. Je pose des questions. Mon esprit fonctionne comme une machine bien huilée, mais mon cœur, lui, bat à toute vitesse.
À chaque pas, je m’attends à le voir apparaître. À chaque porte que l’on ouvre, je retiens mon souffle. Et quand, enfin, nous retournons dans la salle de réunion principale, il est là.
William.
Assis à l’extrémité de la table, parfaitement à l’aise dans son costume sur mesure, comme s’il régnait sur le monde.
Son regard croise le mien.
Et le sol se dérobe sous mes pieds.
Son regard est le même.
Froid. Calculateur. Magnétique.
Et je le déteste pour ça. Pour le pouvoir qu’il a encore sur moi, même après tout ce qu’il m’a fait.
Je me tiens droite, le menton légèrement relevé, refusant de flancher. Il ne verra rien. Pas une faille. Pas une émotion.
« Monsieur Sinclair, je ne savais pas que vous seriez présent », dis-je d’une voix posée, presque indifférente.
Un sourire naît au coin de ses lèvres. Ce sourire que je connais trop bien. Celui qu’il utilisait pour me désarmer quand nous étions encore… nous.
« Je n’avais pas prévu de l’être. Mais je tenais à rencontrer l’architecte que tout le monde encense. »
Son ton est léger. Trop léger.
Je ne réponds rien. Je m’assois à la table, ouvre mon dossier, tente de me concentrer.
« C’est un plaisir de vous revoir, Angela. »
Il prononce mon prénom avec cette intonation particulière, celle qui me ramenait jadis à la maison. Je le sens s’insinuer sous ma peau, comme une vieille habitude qu’on croyait oubliée.
Je lève les yeux vers lui, glaciale.
« J’espère que vous êtes conscient que notre relation passée ne changera rien à mon travail ici. »
Il incline la tête, faussement respectueux.
« Je n’en doute pas. Vous avez toujours été… remarquablement professionnelle. »
Il marque une pause, laisse flotter le silence, puis ajoute :
« Même quand vous m’avez quitté sans un mot. »
Une décharge électrique me parcourt la colonne vertébrale. Ce n’est pas vrai. Il sait que ce n’est pas vrai. J’ai parlé. Hurlé. Supplié qu’il m’écoute, qu’il me voie, qu’il me croie. Mais il avait fermé les yeux. Froid, distant, absent.
Je serre les poings sous la table.
« Je vous demande de rester concentré sur le projet, Monsieur Sinclair. »
Il sourit encore, mais cette fois son regard devient plus sérieux. Presque doux.
« Très bien. Parlons du projet. »
La réunion dure une heure. Une heure où je lutte pour rester impassible. Pour ne pas me noyer dans les souvenirs qui remontent malgré moi. Les dîners en tête-à-tête. Les nuits passionnées. Les disputes. Les silences. Et ce jour où tout s’est effondré.
Quand la réunion se termine, Jonathan sort le premier. Mais William reste en arrière.
Je rassemble mes documents en silence, sans un mot. J’entends ses pas s’approcher. Je ne lève pas les yeux.
« Pourquoi es-tu venue, Angela ? » murmure-t-il derrière moi.
Je me fige.
Il emploie le tutoiement comme s’il était encore légitime. Comme si ces trois années n’avaient jamais existé.
Je me tourne lentement vers lui.
« Je suis venue parce que j’ai été engagée. Parce que je suis la meilleure dans mon domaine. Et parce que je n’ai pas besoin de fuir qui que ce soit. »
Il s’approche d’un pas encore.
« Tu n’as jamais fui. C’est moi qui t’ai poussée à partir. »
Je le fixe, troublée. Est-ce une forme d’aveu ? Ou une stratégie de plus dans son jeu tordu ?
« Tu regrettes ? » demandé-je, la voix basse, tranchante.
Un silence. Son regard ne quitte pas le mien.
« Tous les jours. »
Un frisson me traverse. Mais je refuse de le laisser voir l’effet que ses mots ont sur moi. Je prends mon sac, redresse les épaules.
« Alors tu comprendras que je ne suis pas ici pour ressasser le passé. »
Je tourne les talons et quitte la pièce sans me retourner.
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Dehors, l’air frais de Manhattan me gifle le visage. Je marche vite, trop vite. Chaque pas martèle le trottoir comme une tentative désespérée de fuir ce que je viens de ressentir.
Il est toujours aussi dangereux.
Pas physiquement. Non. William n’a jamais levé la main sur moi. Son pouvoir est ailleurs. Dans ses silences. Dans ses absences. Dans sa capacité à séduire, manipuler, contrôler.
Et le pire ? Je le sens encore dans mes veines.
Trois ans n’ont rien effacé.
Je m’arrête au coin d’une rue et inspire profondément.
Je ne peux pas me permettre de flancher. Pas maintenant. Pas alors que ce projet peut tout changer pour ma carrière. Il ne me reprendra pas ce que j’ai construit seule, loin de lui.
Je sors mon téléphone et compose un numéro familier.
« Sophie, j’ai besoin d’un verre. Ce soir. »
Sa voix enjouée résonne immédiatement.
« Angela ! Je me demandais quand tu allais m’appeler. J’ai une bouteille de vin blanc et une playlist de rupture déjà prêtes. »
Je ris malgré moi.
« Ce n’est pas une rupture… mais presque. Je t’expliquerai. »
Le soir tombe sur la ville. Je suis chez Sophie, ma meilleure amie, mon roc depuis le divorce. Elle m’accueille avec un plaid, deux verres et un regard assassin.
« Dis-moi juste que ce n’est pas ce que je pense. »
Je grimace.
« C’est exactement ce que tu penses. »
Elle soupire bruyamment.
« William. »
Je hoche la tête.
Elle s’effondre sur le canapé, lève les yeux au ciel.
« Il t’a retrouvée. Je te l’avais dit qu’il ne lâcherait pas. Les types comme lui détestent perdre. »
Je bois une gorgée de vin, le cœur encore agité.
« Il m’a regardée comme si j’étais toujours sienne. Comme s’il pouvait tout recommencer. »
Sophie me fixe.
« Et toi ? Tu veux recommencer ? »
Je ferme les yeux.
« Je ne sais pas. »
Parce que c’est la vérité.
Je ne sais pas si je veux le haïr ou l’embrasser. Le fuir ou rester. L’oublier ou me souvenir.
Mais une chose est sûre : ce projet ne sera pas qu’une simple mission professionnelle.
Ce sera une guerre. Une épreuve.
Un test cruel de ma volonté face à un amour qui refuse de mourir.
Chapitre 15 : Quelque chose clocheJe me réveille en sursaut.Le cœur battant. La gorge sèche. Un rêve ? Une impression ? Je ne sais pas.Mais j’ai cette sensation étrange que quelque chose… m’observe.Je reste quelques secondes immobile, le regard fixé sur le plafond. Il fait encore nuit.Je tends l’oreille.Rien. Juste le silence habituel de mon appartement.Et pourtant, mon instinct ne me trompe jamais.Je me lève, enfile rapidement un peignoir, et vais vérifier que la porte d’entrée est bien verrouillée.Elle l’est.Je vérifie les fenêtres. Fermées. Verrouillées aussi.Je regarde mon téléphone. 4h12.Un message non lu. Mon cœur rate un battement.Mais non, ce n’est pas William. Juste une notification automatique de ma banque. Rien d’anormal.Et pourtant, je n’arrive pas à me rendormir.Je fais chauffer de l’eau pour une tisane, puis je vais m’asseoir sur le rebord de la fenêtre.Je regarde la ville endormie.Et je pense à lui.À la façon dont il m’a regardée hier. À ses si
Chapitre 14 : Rien n’a changé, sauf moiJe claque la portière de la voiture plus fort que prévu.Mon chauffeur ne dit rien, mais je sens son regard dans le rétroviseur. Il a l’habitude de mon humeur instable, mais ce soir… c’est différent.Je ne donne aucun ordre. Il sait déjà où aller.Mon penthouse, vide comme moi.Le trajet se fait dans un silence pesant, brisé seulement par le grondement discret du moteur.Je regarde la ville défiler.Les lumières floues.Les visages inconnus.Tout continue de tourner autour de moi, alors que j’ai l’impression de m’écrouler à l’intérieur.Je revois ses yeux quand je lui ai tout dit.Elle n’a pas pleuré. Elle n’a pas crié.Elle m’a écouté. Jusqu’au bout. Comme si elle avait besoin de chaque détail pour se convaincre qu’elle ne pouvait pas me pardonner.Et pourtant… il y avait quelque chose. Une faille. Un frisson.J’ai reconnu ce regard. Celui qu’elle avait les premières semaines de notre mariage. Avant que tout parte en vrille.Et ça me tue.P
Chapitre 13 : Ce qu’on ressent quand il n’est plus làJe referme la porte.Et je reste là.Dos contre le bois, le cœur en feu, les jambes molles.Je croyais être prête à tout entendre. Mais je n’étais pas prête à le voir partir. Pas comme ça.Il est venu, il a tout déballé, il a déposé son cœur à mes pieds… Et moi, je l’ai laissé sortir.Parce que c’est ce que j’étais censée faire, non ? Être forte. Ne pas céder.Mais maintenant qu’il est parti, il ne reste plus que le vide.Un vide que je croyais avoir comblé depuis longtemps.Je m’assois sur le canapé, la tête entre les mains. Il a parlé pendant plus d’une heure, et pourtant… j’ai l’impression que ce n’est que la surface.Ce n’est pas seulement ce qu’il m’a dit qui me hante. C’est tout ce qu’il n’a pas eu besoin de dire.Sa voix quand il m’a dit: Je suis prêt à souffrir. Ses yeux quand il a chuchoté : Je serai là.Et surtout, cette façon qu’il a eue de partir. Lentement. Sans colère. Comme s’il savait que la douleur était
Chapitre 12 : Ce qu’il reste quand tout a été ditJe ne sais pas depuis combien de temps on se regarde sans parler.Le silence est lourd. Trop. Il dit tout ce que nos mots n’osent pas encore dire.Il est là, à un souffle de moi. Et je sens que s’il fait un seul pas de plus, tout va basculer.Mais il ne bouge pas. Et moi non plus.Alors je parle. Lentement. Avec chaque morceau de moi que j’ai mis des années à recoller.« Tu sais ce que j’ai le plus détesté, William ? Ce n’est pas que tu sois parti. Ni que tu n’aies rien dit. Ce que j’ai le plus détesté, c’est d’avoir continué à t’attendre. Comme une idiote. »Ses mâchoires se crispent, mais il ne détourne pas les yeux.« Chaque matin, pendant des mois, j’ai cru que tu franchirais cette porte. Que tu me prendrais dans tes bras. Que tu m’expliquerais. Même si c’était horrible. Même si ça faisait mal. Je voulais juste… comprendre. »Ma voix se brise, mais je continue.« Et puis un jour, j’ai arrêté d’espérer. Et j’ai commencé à te haïr.
Chapitre 11 : Dire les choses qu’on n’a jamais ditesJe ne dors pas de la nuit.Le dossier me hante, encore plus que les souvenirs. J’ai passé des heures à relire chaque ligne, chaque preuve. Et plus je relis, plus quelque chose en moi se fissure. Mon monde, que je croyais reconstruit, vacille de nouveau.Je pensais que la colère suffirait à tout effacer.Mais elle ne tient plus face à la vérité.Alors au petit matin, j’attrape mon téléphone et je lui envoie un message simple.Moi : On doit parler. Aujourd’hui. Face à face.Il répond dans la minute.William : Quand tu veux. Dis-moi l’endroit.Moi : Chez moi. 11h. Et ne sois pas en retard.Quand il arrive, pile à l’heure, il a cette allure que je déteste encore adorer. Costume noir parfaitement taillé, mais sans cravate. Le genre de détail qui dit : je suis là pour me livrer, pas pour négocier.Je le laisse entrer sans un mot.Il dépose sa veste sur le dossier du canapé, me suit jusqu’à la cuisine où j’ai préparé deux cafés. L’un pour
Je tape nerveusement du pied contre le carrelage du bar pendant que la machine à café bourdonne derrière moi.Angela n’a pas répondu à mon message depuis hier soir.Je sais qu’elle est allée à ce dîner. Et même si elle a prétendu que c’était “juste pour mettre les choses à plat”, je connais ce regard qu’elle avait avant de partir. Celui qu’elle avait aussi, il y a trois ans, quand elle s’est accrochée à l’espoir que William Sinclair finirait par choisir leur couple au lieu de son empire.Elle ne le dira jamais à voix haute, mais au fond, elle n’a jamais cessé de l’aimer.Et c’est justement ça qui me terrifie.Je n’ai jamais eu confiance en lui. Trop beau, trop froid, trop calculateur. Ce genre d’homme ne tombe pas amoureux — il achète, il conquiert, il possède.Et quand il a brisé Angela, il ne s’est même pas retourné.Mon téléphone vibre.Message d’Angela : On peut se voir ce soir ?Je réponds immédiatement.Moi : Chez moi ou chez toi ?Angela : Chez toi. 20h ?Je soupire. Enfin.Mai