Chapitre 4 : La vérité tue parfois plus lentement que le mensonge
Je referme la porte de son appartement avec une lenteur calculée.
Je ne veux pas partir.
Mais je n’ai pas le choix.
Je descends les escaliers plutôt que de prendre l’ascenseur, comme pour retarder l’inévitable. Chaque marche résonne comme un rappel brutal : je n’ai plus de place dans sa vie. Pas encore.
Et pourtant, ce que j’ai vu ce soir me prouve une chose essentielle.
Elle m’aime encore.
Angela peut bien me jeter des regards glacés et cracher des vérités douloureuses, je connais ce feu dans ses yeux. C’est celui qu’elle essaye d’éteindre. Celui qu’elle pense avoir dompté. Mais il est là. Vivant. Brûlant.
Comme moi.
Je monte dans la voiture qui m’attend devant son immeuble. Mon chauffeur ne dit rien, comme toujours. Il sait que quand je suis dans cet état, mieux vaut garder le silence.
Je m’enfonce dans le siège, les yeux fermés.
Et je revois son visage.
Sa colère.
Sa douleur.
Et ce fichu moment où elle m’a demandé : Quelle vérité ?
Je n’aurais jamais dû me taire.
Mais comment lui expliquer ce que j’ai dû faire ? Comment lui dire que ce n’était pas simplement une trahison d’homme… mais une guerre de pouvoir, une tempête dans laquelle je n’ai eu d’autre choix que de la sacrifier ?
Elle croit que je suis parti sans un mot. Que j’ai fermé la porte pour de bon. Mais elle ne sait pas qu’en quittant notre maison ce jour-là, j’ai brisé bien plus que notre mariage.
J’ai brisé une promesse que je m’étais faite à moi-même : ne jamais devenir comme mon père.
Et pourtant…
J’arrive chez moi à minuit passé. Je n’allume pas la lumière. Je connais chaque recoin de cet appartement comme les lignes de ma main. Mais ce soir, tout semble vide. Froid. Comme moi.
Je me dirige vers le coffre dissimulé derrière le faux panneau de ma bibliothèque. J’entre le code. Le déclic métallique retentit. À l’intérieur, quelques dossiers. Et une boîte.
Je l’ouvre.
Elle contient une photo froissée de nous deux, prise lors d’un voyage en Italie. Angela rit, un verre de vin à la main, les cheveux emmêlés par le vent. J’ai encore cette image gravée dans la rétine. Ce soir-là, elle m’avait dit : Promets-moi qu’on ne sera jamais comme ces couples qui s’aiment mal.
Et moi, imbécile, j’avais promis.
Je repose la photo.
Sous elle, des documents. Un contrat. Une lettre jamais envoyée. Et surtout… un dossier qui porte un nom. David Sinclair.
Mon père.
C’est là que tout a commencé. Et c’est là que tout doit finir.
Je me souviens encore de cette nuit, trois ans plus tôt. La veille de notre séparation.
Je venais d’apprendre que mon père avait fait mettre Angela sous surveillance. Il la soupçonnait de fouiller trop profondément dans les finances de la fondation familiale. Il m’avait convoqué dans son bureau, un cigare entre les doigts, son regard de serpent rivé au mien.
« Tu crois qu’elle t’aime vraiment, William ? Tu crois qu’elle est là pour toi ? »
J’avais failli lui sauter à la gorge.
Mais au lieu de ça, j’avais encaissé. J’avais cherché des preuves. J’avais tenté de calmer le jeu. J’ai même cru pouvoir négocier sa paix.
Puis j’ai découvert ce que mon père préparait vraiment.
Une enquête montée de toutes pièces. Un piège fiscal. Un scandale prêt à éclater.
Et au milieu, son nom à elle. Mis en cause. Salie.
Alors j’ai pris une décision.
Je suis allé la voir. J’ai dit des choses que je ne pensais pas. J’ai créé un vide. Un mur. Je l’ai laissée croire que je ne l’aimais plus.
Parce que je préférais qu’elle me haïsse plutôt qu’elle soit détruite.
Et elle m’a cru.
Elle m’a détesté. Et c’était le but.
Mais aujourd’hui, mon père est mort.
Et avec lui, une partie de cette ombre. Une partie, seulement.
Il reste ceux qui ont suivi ses ordres. Ceux qui m’ont menti. Ceux qui savent.
Et tant qu’ils seront là, Angela ne sera jamais vraiment en sécurité.
Je referme le coffre, le cœur lourd.
Je pensais pouvoir revenir vers elle avec des excuses. Avec des mots. Mais ça ne suffira pas.
Si je veux Angela de nouveau, il va falloir que je nettoie le passé. Que je fasse tomber les masques. Que je détruise tout ce que mon père a bâti sur la peur et le contrôle.
Même si ça signifie briser des alliances.
Même si je dois redevenir l’homme que j’ai juré d’oublier.
Le lendemain matin, je suis déjà debout avant le lever du soleil.
Je passe une chemise noire, sobre. Je me regarde dans le miroir. Je ne suis plus le même homme. Mais je ne suis pas encore prêt à lui montrer ce que je suis devenu.
Je passe un appel.
« Jonathan ? Organise une réunion. Je veux revoir tous les plans du projet. Mais surtout… je veux savoir qui a parlé à mon père d’Angela, à l’époque. Et je veux des noms. »
« Tu veux rouvrir cette affaire ? »
Ma voix est tranchante.
« Je ne veux pas. Je vais. »
Le bureau est encore plongé dans la pénombre quand j’arrive. J’ai demandé à ne pas être dérangé, mais bien sûr, Jonathan est déjà là, fidèle au poste. Mon bras droit depuis huit ans. Le seul à connaître toute l’histoire.
Il entre sans frapper, les dossiers en main.
« J’ai rassemblé tout ce que j’ai pu. Sur la surveillance. Les transferts suspects. Et… le rôle de ton père. »
Je le regarde sans un mot, puis je tends la main pour prendre les documents. Les feuilles tremblent légèrement entre mes doigts. C’est rare. Je ne laisse jamais mes émotions prendre le dessus. Mais là, il s’agit d’elle.
Angela.
Je feuillette rapidement les pages. Des rapports. Des relevés. Des messages cryptés entre les avocats de mon père et ses associés.
« Il voulait la faire tomber », murmure Jonathan.
Je hoche la tête.
« Je sais. Il la voyait comme une menace. Il pensait qu’elle m’affaiblissait. »
Jonathan m’observe.
« Tu comptes lui dire ? Toute la vérité ? »
Je referme le dossier d’un geste sec.
« Pas encore. »
Il fronce les sourcils.
« Pourquoi ? Elle mérite de savoir. »
Je me lève, vais jusqu’à la baie vitrée. New York s’éveille lentement sous mes yeux. Les lumières pâles de l’aube dessinent des silhouettes dorées sur les vitres.
« Parce que pour l’instant, elle ne me croit même pas capable de regrets. Elle pense que je suis venu troubler sa paix. »
Je serre les poings.
« Elle croit que je veux la reconquérir pour l’avoir, pas pour l’aimer. »
Jonathan croise les bras.
« Et ce n’est pas le cas ? »
Je me retourne, mon regard dur.
« Je veux qu’elle soit libre. Avec moi ou sans moi. Mais pour ça, je dois régler ce que mon père a laissé derrière lui. »
Il acquiesce, lentement.
« Et tu comptes commencer par qui ? »
Je souris. Un sourire sans chaleur.
« Par celui qui a transmis les informations à mon père. Celui qui l’a fait espionner. »
Je désigne un nom sur le dossier.
Patrick Lowenstein.
Ancien conseiller juridique de la fondation. Licencié quelques mois avant la mort de mon père. Discret. Efficace. Et vendu jusqu’à la moelle.
Je compose son numéro. Une sonnerie. Deux. Trois.
« Monsieur Sinclair. Je… je ne m’attendais pas à votre appel. »
« On ne s’attend jamais à la vérité, Patrick. Et pourtant, elle finit toujours par frapper. »
Un silence.
Je le sens hésiter.
Je poursuis.
« J’ai des questions. Sur ce que vous faisiez à l’époque. Sur ce que vous avez fait à Angela. »
Il se racle la gorge.
« Je… je ne peux pas parler au téléphone. »
« Alors rendez-vous ce soir. 21h. Lieu habituel. Et priez pour que vous ayez de bonnes réponses, Patrick. Très bonnes réponses. »
Je raccroche avant qu’il ne puisse négocier.
Le reste de la journée passe à une vitesse étrange. Entre deux réunions de chantier et un appel avec des investisseurs à Londres, je pense à elle. À son regard quand elle m’a repoussé. À sa voix tremblante quand elle a parlé de notre passé.
Je sais que je n’ai pas le droit de revenir dans sa vie comme une tornade.
Mais je ne peux pas faire semblant d’avoir tourné la page.
Je suis encore amoureux d’elle.
Peut-être plus qu’avant.
Parce que cette fois, je n’idéalise plus Angela. Je la vois telle qu’elle est aujourd’hui : forte, indépendante, blessée, mais debout. Et je l’admire. Autant que je la désire.
Ce n’est plus une passion aveugle.
C’est une évidence douloureuse.
À 21h, j’entre dans le vieux bar discret de Midtown. Le genre d’endroit que personne ne soupçonne. Pas de musique forte. Pas de luxe. Juste des murs sombres et des coins d’ombre.
Patrick est déjà là. Il transpire. Agité. Les mains moites autour d’un verre vide.
Je m’assois en face de lui. L’observe en silence pendant quelques secondes.
Il craque le premier.
« Écoutez, William… je n’ai jamais voulu lui faire de mal. C’était votre père. Il… il exigeait des rapports. Il voulait savoir où elle allait, qui elle voyait. »
Je l’interromps.
« Et quand vous avez vu qu’il préparait un montage pour l’accuser de fraude, qu’avez-vous fait ? »
Il baisse les yeux.
« Je n’ai rien dit. »
Je serre la mâchoire.
« Exactement. Et ça, Patrick, ça va te coûter cher. »
« Je… je peux vous donner des noms. D’autres personnes impliquées. Même des preuves. J’ai tout gardé. Pour me protéger. »
Je le fixe.
« Alors tu vas me remettre tout ça. Et tu vas disparaître de la circulation. »
Il hoche la tête, fébrile.
« Ce soir. Je vous envoie un lien sécurisé. Mais… vous me promettez de ne pas me mêler à ça ? »
Je me lève.
« Tu n’as déjà plus le choix. »
En sortant dans la rue, je respire l’air froid de la nuit. Mes pensées s’embrouillent. Mais une chose est claire :
La guerre commence.
Et cette fois, je ne la perdrai pas.
Pas si elle est le prix à gagner.
Je marche sans vraiment savoir où je vais.Les rues de New York défilent autour de moi comme un film en accéléré. Les klaxons, les passants, les néons… tout est flou.Je n’ai pas pris de taxi en quittant l’hôtel.J’avais besoin de sentir le vent contre mon visage.De respirer.J’ai passé les dernières années à tenter d’oublier cet homme.Et en l’espace d’une heure, il a tout bouleversé à nouveau.Je m’arrête au coin d’un café, les mains tremblantes.Dans mon sac, l’enveloppe avec les parts de l’hôtel pèse une tonne.Est-ce qu’il croit que me donner du pouvoir effacera les douleurs ?Est-ce qu’il croit qu’en me plaçant au sommet, il rachètera les années où il m’a laissée m’effondrer ?Je ferme les yeux.Et pourtant… ce n’est pas de l’arrogance que j’ai vu ce soir dans son regard.C’est de la sincérité. Une faille. Une détresse.Et ça me fait peur.Parce que malgré tout ce qu’il m’a fait, une partie de moi veut encore le croire.Je rentre chez moi tard dans la nuit.L’appartement est si
Je suis arrivée la première.Le petit salon privé du Madison Hotel est silencieux, baigné d'une lumière tamisée. J’ai choisi cet endroit exprès. Neutre. Loin de nos souvenirs. Loin des fantômes.Assise au fond de la pièce, je garde mes mains jointes sur mes genoux pour les empêcher de trembler.La clé USB repose dans ma poche. Lourd souvenir de la nuit passée.Je l’ai écoutée. Tout.Et maintenant, je veux l’entendre, lui.La porte s’ouvre.Je relève les yeux.William.Costume sombre, regard fermé, mâchoire tendue. Il referme la porte doucement derrière lui, sans un mot.Il me voit. Il s’approche. Lentement.Mais cette fois, il n’y a pas cette assurance arrogante dans ses gestes.Il s’arrête à quelques pas.— Merci d’être venue.Je soutiens son regard.— Tu m’as laissée sans le choix, William.Un silence.Il acquiesce.— Je sais.Je lui montre le siège face à moi.— Assieds-toi.Il s’exécute.Le silence est épais. Il pèse entre nous comme un couvercle sur une plaie mal refermée.— J’ai
Je n’ai pas quitté mon bureau depuis qu’elle est partie.La lumière de la ville filtre à peine à travers les vitres fumées.New York continue de vivre, de respirer. Moi, je suffoque.Angela.Son regard me hante. Cette douleur dans ses yeux. Cette blessure que j’ai ravivée alors que je n’ai jamais cessé de vouloir la guérir.Je serre les poings sur mon bureau.La colère est là, sous-jacente, prête à exploser. Mais ce n’est pas elle qui domine ce soir. C’est l’impuissance.Je pensais que lui donner cette clé USB la ferait revenir vers moi. Qu’en lui montrant la vérité, elle comprendrait enfin que je l’ai toujours protégée. Que je l’ai toujours aimée, même quand j’étais incapable de le montrer.Mais je suis peut-être arrivé trop tard.— Monsieur Sinclair ? Votre frère vous attend à l'étage privé.La voix de Nora perce le silence, glaciale comme toujours.— Qu’il attende.— Il insiste, monsieur. Il dit que c’est urgent.Je n’ai pas la patience.— Je vous ai dit d’attendre, Nora ! Et arran
Je quitte le restaurant avec la sensation de porter un poids invisible sur mes épaules.Il fait nuit, mais je n’ai pas froid.C’est mon cœur qui brûle. Ma tête qui tourne.J’ai marché deux rues avant de réaliser que je n’avais aucune idée d’où j’allais. J’ai besoin d’air, mais aussi de réponses.Et cette clé USB dans mon sac me brûle la peau.Je finis par héler un taxi.— 11ème Rue Est, s’il vous plaît.Je donne l’adresse d’une amie, pas la mienne. Par sécurité. J’ai beau être en colère contre William, je ne suis pas idiote. Son oncle pourrait très bien me surveiller.Et si ce qu’il m’a dit est vrai, je suis peut-être déjà en danger.Le taxi roule doucement dans les rues de New York.Tout semble si normal.Et pourtant, rien ne l’est plus.Je repense à tout ce qu’il m’a dit.À Clara.Mon cœur refuse d’y croire.Pas elle. Pas celle qui m’a aidée à me relever après le divorce, qui a veillé sur moi pendant mes nuits d’insomnie, qui a tenu ma main quand je pleurais encore son absence.Mais
AngelaJ’arrive au restaurant dix minutes en avance.Ce n’est pas mon genre d’être aussi ponctuelle, mais depuis son message hier soir, je n’ai pas fermé l’œil.J’ai retourné ses mots dans ma tête mille fois.Non. Mais je suis prêt à tout te dire. Demain. En face.Ce non résonne encore dans mon esprit.Alors je suis venue. Parce que j’ai besoin de savoir. De comprendre.Et surtout, parce que j’ai peur.Pas de lui.Mais de ce que je ressens encore pour lui.Le restaurant est élégant. Classique. William, quoi.Les nappes sont blanches, les lumières tamisées, l’ambiance feutrée.Il a réservé une table dans un coin isolé, à l’abri des regards.Évidemment.Je suis assise depuis à peine deux minutes quand je le vois entrer.Costume sombre, chemise blanche légèrement ouverte, sans cravate.Il est en avance aussi.Et mon cœur rate un battement.Il a toujours cette aura. Ce mélange troublant d’arrogance et de douleur.Il me repère immédiatement, puis vient vers moi, son regard planté dans le m
Chapitre 15 : Quelque chose clocheJe me réveille en sursaut.Le cœur battant. La gorge sèche. Un rêve ? Une impression ? Je ne sais pas.Mais j’ai cette sensation étrange que quelque chose… m’observe.Je reste quelques secondes immobile, le regard fixé sur le plafond. Il fait encore nuit.Je tends l’oreille.Rien. Juste le silence habituel de mon appartement.Et pourtant, mon instinct ne me trompe jamais.Je me lève, enfile rapidement un peignoir, et vais vérifier que la porte d’entrée est bien verrouillée.Elle l’est.Je vérifie les fenêtres. Fermées. Verrouillées aussi.Je regarde mon téléphone. 4h12.Un message non lu. Mon cœur rate un battement.Mais non, ce n’est pas William. Juste une notification automatique de ma banque. Rien d’anormal.Et pourtant, je n’arrive pas à me rendormir.Je fais chauffer de l’eau pour une tisane, puis je vais m’asseoir sur le rebord de la fenêtre.Je regarde la ville endormie.Et je pense à lui.À la façon dont il m’a regardée hier. À ses si