Chapitre 5 : Les fantômes ne frappent pas avant d’entrer
Je n’ai pratiquement pas dormi.
Je me suis retournée dans mon lit toute la nuit, le cœur battant trop fort, la gorge nouée, comme si mon propre corps refusait de me laisser oublier ce qui s’était passé.
Ce qu’il avait dit.
Ce qu’il n’avait pas dit.
Et surtout… ce qu’il avait osé réveiller.
William.
Il a suffi d’une seule soirée pour que tout ce que j’avais mis trois ans à reconstruire vacille sur ses fondations. C’est injuste. Cruel. Pire encore, c’est terriblement familier.
Je me lève enfin, le soleil déjà haut. Mon téléphone clignote de messages et de mails en attente, mais je les ignore. Pas encore. Je n’ai pas l’énergie. Ni l’envie.
Je me dirige vers la salle de bain, les gestes mécaniques. L’eau chaude coule sur mon dos, mais ne parvient pas à effacer cette sensation poisseuse, ce frisson qui refuse de me quitter depuis qu’il a franchi le seuil de ma porte.
Quand je sors, je croise mon reflet.
Et ce que je vois me surprend.
Ce ne sont pas mes cernes ni mes cheveux humides qui me frappent. C’est mon regard.
Il brille.
De colère. De trouble. De… manque ?
Non. Non, non, non.
Je frappe du poing contre le lavabo, brutalement.
Tu ne vas pas retomber là-dedans, Angela. Pas encore. Pas après ce qu’il t’a fait.
Je m’habille, enfile un tailleur sobre, noir, élégant. Celui que je porte quand j’ai besoin de me sentir invincible. Aujourd’hui, je dois aller sur le chantier du Majestic, rencontrer l’équipe de rénovation, lancer les travaux. Professionnalisme. Contrôle. Maîtrise.
Tout ce que je suis devenue sans lui.
Et s’il ose encore me provoquer, je saurai lui prouver que je ne suis plus la même.
Quand j’arrive à l’hôtel, les ouvriers s’activent déjà. L’entrée est encore en travaux, mais on devine déjà l’ampleur du projet. Colonnes marbrées, moulures restaurées, verrière centenaire… Un joyau endormi qu’on s’apprête à réveiller.
Je salue brièvement mon équipe, puis me dirige vers la salle de réunion du rez-de-chaussée, là où on doit m’attendre pour un premier brief technique.
Je pousse la porte.
Et il est là.
Bien sûr qu’il est là.
Assis en bout de table, en chemise noire, les manches retroussées, un café à la main. Il parle avec deux architectes, son ton calme mais autoritaire. Quand il me voit, il se fige une seconde, comme si ma simple présence lui faisait perdre le fil.
Puis il sourit.
Ce sourire.
Celui qui dit je savais que tu viendrais.
Je me redresse, les talons bien ancrés dans le sol. Mon masque professionnel parfaitement en place.
« Bonjour à tous. »
Les autres se lèvent pour me saluer, mais lui, non. Il reste assis, le regard rivé au mien.
« Miss Smith. Ravie de vous voir aussi ponctuelle. »
Je le fusille du regard.
« Contrairement à certains, j’ai un agenda à respecter. »
Un léger murmure gêné traverse la pièce. Il sourit de nouveau, mais son regard devient plus sérieux.
Il n’insiste pas. Pas encore.
Je prends la parole, expose les grandes lignes du chantier. J’enchaîne les directives, distribue les rôles, réponds aux questions. J’ignore sa présence. Ou du moins, j’essaie.
Mais je sens ses yeux sur moi. À chaque mot, chaque mouvement.
Et le pire ?
Ça me trouble.
Ça me déconcentre.
Et je déteste ça.
Quand la réunion se termine, tout le monde commence à sortir, sauf lui. Évidemment. Je fais mine de ranger mes affaires plus lentement, espérant qu’il parte.
Mais non.
Il attend que la salle se vide.
Puis, quand il n’y a plus que nous deux, il s’approche doucement.
« Tu étais brillante, ce matin. »
Je me retourne brusquement.
« Ne me flatte pas. Ça ne marchera pas. »
Il incline légèrement la tête.
« Ce n’est pas de la flatterie. C’est un constat. »
Je serre les dents.
« Pourquoi tu fais ça, William ? Pourquoi tu viens à cette réunion ? Tu n’as pas besoin d’être ici. »
Il s’approche encore. Trop près.
« Peut-être que j’en avais besoin. »
Je recule.
« Tu joues à quoi ? »
Il s’arrête enfin.
Et sa voix change. Plus grave. Plus posée.
« Je ne joue pas, Angela. Je veux comprendre… si ce qu’on a vécu mérite une vraie fin. Ou un nouveau départ. »
Je ris. Un rire sec, sans joie.
« Et tu crois qu’une réunion de chantier va nous apporter cette réponse ? »
Il soutient mon regard.
« Non. Mais peut-être que quelques vérités, oui. »
Je le fixe. Mon cœur bat vite. Trop vite.
« Alors parle. Crache ce que tu gardes depuis trois ans. »
Il ouvre la bouche. Hésite.
Et au moment où je crois qu’il va enfin tout lâcher…
Quelqu’un frappe à la porte.
Une assistante passe la tête, visiblement embarrassée.
« Angela, désolée, on a un problème avec le plan des verrières. Tu peux venir ? »
Je hoche la tête, toujours sans quitter William des yeux.
« J’arrive. »
Je le dépasse sans un mot.
Mais en sortant de la salle, je sais une chose : la guerre du silence est terminée.
Ce qui arrive maintenant… c’est la guerre des vérités.
Je marche sans vraiment savoir où je vais.Les rues de New York défilent autour de moi comme un film en accéléré. Les klaxons, les passants, les néons… tout est flou.Je n’ai pas pris de taxi en quittant l’hôtel.J’avais besoin de sentir le vent contre mon visage.De respirer.J’ai passé les dernières années à tenter d’oublier cet homme.Et en l’espace d’une heure, il a tout bouleversé à nouveau.Je m’arrête au coin d’un café, les mains tremblantes.Dans mon sac, l’enveloppe avec les parts de l’hôtel pèse une tonne.Est-ce qu’il croit que me donner du pouvoir effacera les douleurs ?Est-ce qu’il croit qu’en me plaçant au sommet, il rachètera les années où il m’a laissée m’effondrer ?Je ferme les yeux.Et pourtant… ce n’est pas de l’arrogance que j’ai vu ce soir dans son regard.C’est de la sincérité. Une faille. Une détresse.Et ça me fait peur.Parce que malgré tout ce qu’il m’a fait, une partie de moi veut encore le croire.Je rentre chez moi tard dans la nuit.L’appartement est si
Je suis arrivée la première.Le petit salon privé du Madison Hotel est silencieux, baigné d'une lumière tamisée. J’ai choisi cet endroit exprès. Neutre. Loin de nos souvenirs. Loin des fantômes.Assise au fond de la pièce, je garde mes mains jointes sur mes genoux pour les empêcher de trembler.La clé USB repose dans ma poche. Lourd souvenir de la nuit passée.Je l’ai écoutée. Tout.Et maintenant, je veux l’entendre, lui.La porte s’ouvre.Je relève les yeux.William.Costume sombre, regard fermé, mâchoire tendue. Il referme la porte doucement derrière lui, sans un mot.Il me voit. Il s’approche. Lentement.Mais cette fois, il n’y a pas cette assurance arrogante dans ses gestes.Il s’arrête à quelques pas.— Merci d’être venue.Je soutiens son regard.— Tu m’as laissée sans le choix, William.Un silence.Il acquiesce.— Je sais.Je lui montre le siège face à moi.— Assieds-toi.Il s’exécute.Le silence est épais. Il pèse entre nous comme un couvercle sur une plaie mal refermée.— J’ai
Je n’ai pas quitté mon bureau depuis qu’elle est partie.La lumière de la ville filtre à peine à travers les vitres fumées.New York continue de vivre, de respirer. Moi, je suffoque.Angela.Son regard me hante. Cette douleur dans ses yeux. Cette blessure que j’ai ravivée alors que je n’ai jamais cessé de vouloir la guérir.Je serre les poings sur mon bureau.La colère est là, sous-jacente, prête à exploser. Mais ce n’est pas elle qui domine ce soir. C’est l’impuissance.Je pensais que lui donner cette clé USB la ferait revenir vers moi. Qu’en lui montrant la vérité, elle comprendrait enfin que je l’ai toujours protégée. Que je l’ai toujours aimée, même quand j’étais incapable de le montrer.Mais je suis peut-être arrivé trop tard.— Monsieur Sinclair ? Votre frère vous attend à l'étage privé.La voix de Nora perce le silence, glaciale comme toujours.— Qu’il attende.— Il insiste, monsieur. Il dit que c’est urgent.Je n’ai pas la patience.— Je vous ai dit d’attendre, Nora ! Et arran
Je quitte le restaurant avec la sensation de porter un poids invisible sur mes épaules.Il fait nuit, mais je n’ai pas froid.C’est mon cœur qui brûle. Ma tête qui tourne.J’ai marché deux rues avant de réaliser que je n’avais aucune idée d’où j’allais. J’ai besoin d’air, mais aussi de réponses.Et cette clé USB dans mon sac me brûle la peau.Je finis par héler un taxi.— 11ème Rue Est, s’il vous plaît.Je donne l’adresse d’une amie, pas la mienne. Par sécurité. J’ai beau être en colère contre William, je ne suis pas idiote. Son oncle pourrait très bien me surveiller.Et si ce qu’il m’a dit est vrai, je suis peut-être déjà en danger.Le taxi roule doucement dans les rues de New York.Tout semble si normal.Et pourtant, rien ne l’est plus.Je repense à tout ce qu’il m’a dit.À Clara.Mon cœur refuse d’y croire.Pas elle. Pas celle qui m’a aidée à me relever après le divorce, qui a veillé sur moi pendant mes nuits d’insomnie, qui a tenu ma main quand je pleurais encore son absence.Mais
AngelaJ’arrive au restaurant dix minutes en avance.Ce n’est pas mon genre d’être aussi ponctuelle, mais depuis son message hier soir, je n’ai pas fermé l’œil.J’ai retourné ses mots dans ma tête mille fois.Non. Mais je suis prêt à tout te dire. Demain. En face.Ce non résonne encore dans mon esprit.Alors je suis venue. Parce que j’ai besoin de savoir. De comprendre.Et surtout, parce que j’ai peur.Pas de lui.Mais de ce que je ressens encore pour lui.Le restaurant est élégant. Classique. William, quoi.Les nappes sont blanches, les lumières tamisées, l’ambiance feutrée.Il a réservé une table dans un coin isolé, à l’abri des regards.Évidemment.Je suis assise depuis à peine deux minutes quand je le vois entrer.Costume sombre, chemise blanche légèrement ouverte, sans cravate.Il est en avance aussi.Et mon cœur rate un battement.Il a toujours cette aura. Ce mélange troublant d’arrogance et de douleur.Il me repère immédiatement, puis vient vers moi, son regard planté dans le m
Chapitre 15 : Quelque chose clocheJe me réveille en sursaut.Le cœur battant. La gorge sèche. Un rêve ? Une impression ? Je ne sais pas.Mais j’ai cette sensation étrange que quelque chose… m’observe.Je reste quelques secondes immobile, le regard fixé sur le plafond. Il fait encore nuit.Je tends l’oreille.Rien. Juste le silence habituel de mon appartement.Et pourtant, mon instinct ne me trompe jamais.Je me lève, enfile rapidement un peignoir, et vais vérifier que la porte d’entrée est bien verrouillée.Elle l’est.Je vérifie les fenêtres. Fermées. Verrouillées aussi.Je regarde mon téléphone. 4h12.Un message non lu. Mon cœur rate un battement.Mais non, ce n’est pas William. Juste une notification automatique de ma banque. Rien d’anormal.Et pourtant, je n’arrive pas à me rendormir.Je fais chauffer de l’eau pour une tisane, puis je vais m’asseoir sur le rebord de la fenêtre.Je regarde la ville endormie.Et je pense à lui.À la façon dont il m’a regardée hier. À ses si