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Chapitre 3

Author: Perrine Béliveau
Dans une chambre VIP luxueuse, Thaïs, adossée à ses oreillers, sirotait lentement l'eau tiède que Florian lui avait servie.

« Florian, j'ai entendu dire que la voiture qui a ramené Séverine ce matin était une Rolls-Royce… Après avoir passé la nuit dehors, tu ne crois pas qu'elle aurait fait une crise et trouvé n'importe qui pour… »

« Impossible », l'a-t-il interrompue sans même lever les yeux, ses doigts longs mais maladroits épluchant une pomme, « Séverine ne me trahirait jamais. D'ailleurs, ce matin encore, elle voulait que nous officialisions notre union à la mairie. »

« Officialiser ?! » La stupeur de Thaïs a dissimulé mal une jalousie vorace. Son mari était mort, Florian était désormais le père de son enfant à naître. Pourquoi cette femme s'acharnait-elle à lui voler ce qui lui revenait ? Pourquoi refusait-elle de lui céder sa place ?

Une sonnerie stridente a interrompu ses ruminations venimeuses.

Pauline, à l'autre bout du fil, a explosé dès que Florian a décroché : « Mais qu'est-ce qui prend à cette Séverine ? Elle est partie avec ses valises ! Et qui va s'occuper du ménage, des tisanes pour Thaïs ?! »

« Elle est partie ? » Le couteau de Florian s'est immobilisé net. Son regard, incrédule, s'est voilé de confusion.

Que se passait-il ? Cette femme qui réclamait tout à l'heure leur enregistrement à la mairie le quittait soudain ? Que voulait-elle ?

« Elle exagère ! Tu acceptes de l'épouser officiellement, que veut-elle de plus ? » Thaïs a baissé les yeux, des larmes calculées tombant sur le drap, « Quelle chance elle a d'être tant chérie… Moi, sans mon mari… Enfin, va la rattraper. Si je ne vais pas bien, j'appellerai des infirmières… Peut-être sont-elles très occupées... Mais ne t'inquiète pas, je me débrouillerai... »

Face à sa fragilité résignée, contrastant avec les caprices de Séverine, une colère sourde a embrasé Florian.

Sa mère avait raison : il l'avait trop gâtée. Thaïs, enceinte, réclamait de l'attention, et Séverine choisissait ce moment pour jouer les divas offensées ? Inadmissible.

Le visage sombre, il a composé le numéro de son assistant : « Lucas, bloque immédiatement toutes les cartes bancaires de Séverine. Sans argent, elle sera bien obligée de rentrer ce soir. »

...

À la fin de la cinquième perfusion, Séverine a émergé enfin, comme revenue des portes de la mort.

L'aide-soignante qu'elle avait engagée s'est approchée, son visage empreint d'embarras, une carte bancaire à la main : « Madame, je viens de tenter de régler les frais… La carte a été rejetée. Il semble que votre compte soit bloqué. »

Quoi ? Bloqué ?

Une vague de glace a semblé submerger Séverine, la douleur dissipant les derniers brouillards de sa fièvre.

Après s'être mise avec Florian, elle avait décliné des offres prestigieuses pour se consacrer à son groupe, FS, gérant ses projets et son entreprise sans jamais exiger de salaire. En retour, il lui avait confié la gestion financière de la société et une carte noire illimitée. Des gestes qu'elle avait interprétés comme des preuves d'amour.

Aujourd'hui, ils étaient devenus des armes.

Quelle ironie ! L'homme qui l'avait tant chérie n'hésitait pas à recourir aux méthodes les plus basses dès que leurs cœurs s'éloignaient...

« Vous ne pouvez quitter l'hôpital sans solder les frais, sans parler de mon salaire… » a repris la soignante, « Mme Jaubert, peut-être pourriez-vous contacter vos parents ? »

Ses parents, loin à Norville, étaient déjà fragiles. S'ils apprenaient qu'elle ne pouvait même pas payer ses soins… Florian comptait-il sur cette honte pour la faire plier ?

Mais il se trompait. Cette fois, il ne s'agissait ni de colère ni d'un appel à l'attention. Elle le rejetait, vraiment. Même la mort dans la rue lui semblait préférable à un retour.

« J'ai besoin d'un service », a annoncé Séverine avec un calme étrange, tout en retirant la bague de fiançailles étincelante de son annulaire, « vendez cela chez un joaillier. »

En faisant sa valise, elle avait nettoyé la chambre de leurs souvenirs, mais avait oublié ce symbole d'un amour désormais souillé. Le vendre serait lui offrir une dernière « utilité ».

Puis, elle a composé un numéro, sa voix ferme et déterminée : « Maître Quint, je souhaite engager une procédure aux prud'hommes. Je porte plainte contre Florian Battier. Aucun contrat de travail n'a jamais été signé, et trois années de salaire restent impayées. »

...

En quittant l'hôpital, Séverine s'est faite conduire au Domaine de la Crête Nuageuse.

À sa descente du taxi, son regard a embrassé la somptueuse propriété accrochée au flanc de la montagne. Dans la pénombre du crépuscule, elle semblait telle une bête tapie dans l'ombre, dégageant une aura à la fois familière et écrasante. Les souvenirs qu'elle avait si soigneusement refoulés ont resurgi en vagues amères. À vrai dire, sans cette impasse absolue, elle n'aurait jamais revu Maxime...

Mais Florian, puissant et obstiné, userait de tous les moyens pour la briser, quitte à s'en prendre à ses parents. Pour trancher leurs liens et s'en sortir indemne, elle devait trouver une force supérieure à la sienne, une puissance qui le fasse hésiter.

Le successeur le plus probable des Battier était son cousin, Maxime. Assoiffé de pouvoir et impitoyable, il surpassait Florian dans leur rivalité silencieuse. Même l'orgueilleux Florian devait s'incliner devant lui.

En somme, à Sudville, nul n'osait rivaliser avec Florian. Sauf Maxime.

Après de longues minutes à apaiser les battements affolés de son cœur, Séverine a serré les poings. Avec la résolution farouche de qui brisait ses propres chaînes, elle a franchi les portes de la demeure, prête à affronter l'homme qu'elle aurait préféré ne jamais revoir.

« Vous voilà revenue », l'a accueillie André, le majordome, une cinquantaine élégante et la courtoisie impeccable, « M. Battier a dû partir à l'étranger pour une affaire urgente. Son retour n'est pas attendu avant plusieurs jours. »

Maxime était absent ? Très bien !

Séverine a senti la tension qui l'étreignait se dissiper d'un coup.

André a perçu son soulagement immédiat, un éclair complice traversant son regard. Il l'a invitée alors respectueusement à le suivre vers le bâtiment principal.

« Voici votre chambre. Les articles de toilette, les tenues de rechange et les bijoux sont tous préparés. Si rien ne vous plaît, nous les remplacerons immédiatement. »

« Ceci est une carte noire sans plafond, accompagnée de cinq millions d'euros en liquide et d'un chèque de cent millions. Vous en disposez librement. »

« Voici le personnel à votre service, cent huit personnes réparties sur trois équipes. Elles veilleront à ce que vos moindres désirs soient satisfaits avec la plus grande célérité. »

Séverine a contemplé, stupéfaite, la foule de domestiques alignés. Un déploiement de luxe dépassant dix fois celui de la maison de Florian.

« … N'est-ce pas excessif ? » a-t-elle dit avec hésitation.

André a affiché une humilité teintée de certitude : « Madame, votre époux est l'héritier direct des Battier. Les façons de Florian… Passons. Ce qu'il n'a pu ou su vous offrir est ici la norme. Désormais, tout ce qui vous entoure sera d'un standing absolu. M. Battier a insisté : votre bien-être seul importe. »

Sous le choc de ce faste insensé, Séverine est restée sans voix. L'image de Maxime lui est revenue, son souffle rauque dans l'étreinte, ce grain de beauté perlé de sueur sous sa clavicule… Un vertige dont elle gardait la mémoire vive.

Mais non. Elle a écarté ces pensées intempestives et a repris contenance : « André, veillez à m'informer du retour de Maxime, je vous prie. »

Elle aurait besoin de temps pour se préparer à revoir cet homme.

André s'est incliné avec déférence : « Très bien. Par ailleurs, votre mariage est fixé au 28 de ce mois. Une équipe prestigieuse s'occupe des préparatifs, mais le style de la cérémonie, le lieu, la robe... nécessitent votre avis. Quand seriez-vous disponible ? »

« Vous pouvez décider de tout cela. »

« Oh, cela ne se fait pas ! Vous êtes la seule maîtresse en la matière. Avant son départ, M. Battier a expressément exigé que chaque détail reflète vos goûts et vos désirs. »

Ses goûts et ses désirs...

Une émotion subtile a effleuré le cœur de Séverine.

Des années plus tôt, son mariage avec Florian avait été modeste, entièrement orchestré par Pauline. Personne n'avait sollicité son opinion sur les préparatifs. Florian lui avait bien promis de lui offrir plus tard une cérémonie fastueuse, mais en trois ans, cette promesse était restée vaine. C'était finalement Maxime qui la concrétisait.

L'ironie de la réalité dépassait parfois la fiction.

« Que ressentira Florian, le jour venu, en me voyant échanger mes vœux avec son cousin dans une église ? » s'est-elle dit.

Un sourire froid aux lèvres, elle a déclaré : « Je suis disponible dès maintenant. »

« Parfait. Reposez-vous d'abord. Appuyez sur le bouton d'appel relié à ma chambre pour toute demande, je suis à votre entière disposition. »

André s'est retiré en saluant, refermant doucement la porte.

Derrière le battant clos, un regard intense et insistant était interrompu. Dans les ombres du couloir, une silhouette masculine se fondait dans la pénombre, dégageant une présence écrasante. Ses yeux restaient fixés sur la porte close, comme s'il cherchait à percer le bois massif pour lire l'âme de la femme à l'intérieur...
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