—On la veut en vie! hurle une voix déformée par le choc.J’ai encore une chance de m’en sortir. Je ne sais pas qui ils sont ni ce qu’ils veulent. Je me relève, franchis le canapé alors que les débris crissent sous mes pas maladroits. Je dois en ressortir vivante et apporter ce que j’ai dans le crâne à la Rébellion. Je titube entre les souffles de nouvelles explosions pour atteindre la terrasse. Du sang noir poisse ma vision.Autre bonne nouvelle: je connais le terrain, moi. De la fumée obstrue leur vision et j’en profite. Je m’approche du bord, retiens un haut-le-cœur en avisant le sol cinq mètres plus bas.—Ne bougez plus! hurle l’un des policiers.Je lui jette un regard: il me tient en joue avec ce qui me semble être une arme électrifiée. Pas de balles. Je suis déjà de l’autre côté de la rambarde, les deux mains sur la barre de fer.—Revenez de notre côté sans faire de mouvements brusques!Trois
Mon père? Impossible.Il ne pouvait pas en faire partie. Je… Je l’aurais su. Ma mère l’aurait su… Non? Peut-on cacher ce genre de choses aux gens que l’on aime?Cette pensée me fait l’effet d’une claque.Ce ne sont pas mes mots, mais ceux de Jaspe, ceux que je peinais tant à comprendre quand il ne digérait pas mon mensonge. C’est bien plus facile quand on est de l’autre côté de la barrière, quand on ment. On s’enfonce dans la tromperie comme dans un plaid, c’est doux, agréable et rassurant. Mentir nous permet d’être autre chose, de trouver une autre voie, un autre chemin, une manière alternative de vivre. Mentir est devenue au fil des années mon armure.Et je la tiens de mon père.Sans le savoir, je suis devenue celle qu’il a toujours été, cet être complexe dont nous ne connaissions que les parts de lumière, car en accepter les parts d’ombre aurait été trop douloureux.Fracassée par cette révélation, je n’ose même plus croiser
—As?Je sursaute comme une gamine prise en flagrant délit et referme tout ce que j’ai ouvert dans mon esprit. Heureusement, personne ne peut voir ce que je visionne…—J’ai frappé deux fois, tu n’as pas entendu? s’étonne Ellis. Je peux entrer?—Oui, oui, vas-y.J’ai griffonné des mots incompréhensibles sur le bloc-notes devant moi alors que j’essayais de mettre en place le peu de neurones qui me restaient pour réfléchir à un plan.—Merci pour tout à l’heure, les sales bêtes dans mon esprit font vraiment n’importe quoi.—Je viens te voir, car j’ai besoin que tu me suives.—Quoi, pourquoi? Ce n’est vraiment pas recommandé pour mon cas…—Tu sais bien que si ce n’était pas important, je ne te ferais pas déplacer.Il me tend la main et je fronce les sourcils. Je ne me fais pourtant pas prier
Il prend mon visage en coupe et dépose un baiser sur mes lèvres, comme s’il avait peur de me briser. Mes mains maintiennent ses poignets alors que j’exerce une pression plus forte. Je titille sa lèvre inférieure, goûte son souffle pour perdre le mien. Notre baiser, à l’instar du monde, n’est pas parfait. Nos dents s’entrechoquent, mes cheveux chatouillent ses joues et je suis pantelante, quand finalement je me recule.<nostalgie>—Ça fait combien de temps que tu es toute seule? s’énerve Sarah.—Ça va, quelques mois, ce n’est rien…—Une bonne douzaine, alors, grommelle-t-elle.—Et alors?—Alors tu devrais te trouver quelqu’un.—Pourquoi? Pourquoi voulez-vous tous que je sois avec quelqu’un d’autre?—Tu gardes le souvenir de Jaspe et…—Non. Je chéris ma solitude, car je peux enfin me construire telle que je le souhaite. Je mène mes recherches, sors
—Mon père a laissé une porte dérobée dans le programme, expliqué-je à Ellis alors que nous nous sommes attablés.Même si mes tympans sifflent encore et que mon cœur bat trop vite de nos baisers, je ne dois pas perdre mon objectif de vue. Bientôt, Soulmates 2.0 sera implanté chez tout le monde, et je ne sais pas si ce cran de sûreté existe encore sur la nouvelle version. Il faudrait donc désactiver le programme chez tout le monde avant que le nouveau logiciel prenne sa place. Qu’ils réalisent et le fassent interdire, ou au moins qu’ils aient le choix face à la nouvelle version.Nous sommes assis dans ma chambre, face au bureau et je n’ai qu’une envie, me jeter sur lui, le dévorer de baisers, connaître la moindre parcelle de son corps. Je me retiens.—Si nous arrivons à avoir accès à l’ordinateur principal, nous pourrions désactiver tous les programmes chez tout le monde avec quelques lignes de code.—L’ordinateur central est situé dans les l
—As? crie Ellis de l’autre côté de la cloison.Ah tiens, il est revenu!—Tu es sous la douche? s’époumone-t-il pour que sa voix porte au-dessus des percussions de l’eau sur le zinc du bac.—J’arrive.Je me savonne rapidement, éteins l’eau, m’enroule dans une serviette devenue rêche d’avoir été trop lavée. Le mobilier est spartiate, mais c’est déjà mieux que la mort.—Dépêche-toi.Poussée par l’urgence dans sa voix j’ouvre la porte alors que je ne suis qu’en serviette de bain. Son regard ahuri est bien vite remplacé par le masque de rigueur qu’il déploie à chaque fois, sauf que je ne suis pas idiote et encore moins aveugle: je sais que ce qu’il voit lui plait.Je ne suis pas sûre d’avoir une âme de séductrice, mais savoir que je plais, toutefois… c’est agréable. C’est revigorant, comme si l’on méritait d’être vu. Malgré mes os taillés en pointe, ma peau devenue flasque et couturée de blessur
Les jours s’écoulent et se ressemblent. Tous les matins, je m’attable, allume un ordinateur et recopie tout ce que j’ai dans la tête. Parfois ça n’a aucun sens et parfois je suis saisie d’horreur. Il y a des procès, des attaques en justice pour Soulmates, des contrats, des informations sur les premiers prototypes, des croquis, des essais, sur des humains comme sur des animaux – comme quoi même les petites souris ont le droit de goûter au grand amour – des envies, des idées laissées à l’abandon… Les différentes formes de Soulmates, les réseaux de connectique, les nanorobots et la manière de créer ces petites bêtes intelligentes qui viendront se greffer dans notre cerveau sans l’abîmer. Je garde quelques informations pour moi: des leviers que je pourrai toujours actionner plus tard.Je découvre de nouveaux plans aussi, des innovations que mon père n’a jamais eu le temps de concrétiser. Il y a des photos, si nombreuses que je manque de pleurer à chaque fois que j’ouvre un dos
Dois-je le lire?Je me souviens de la tristesse que j’ai ressentie lorsque j’ai compris, en me réveillant entre les brumes de l’anesthésiant, que j’avais perdu toute l’explication. Pourquoi mon cerveau était-il différent, pourquoi avais-je tant de problèmes pour m’adapter au logiciel. J’avais envie de comprendre, de mettre des mots sur ce qui faisait de moi quelqu’un«d’inapte». Et puis j’avais oublié. La question était tombée en désuétude alors que je perdais Nora, ma mère, la conviction rassurante que la Terre continuerait toujours de tourner.Parce que ce n’est pas le cas.Ce n’est pas parce que le Soleil s’est toujours levé jusque-là que nous pouvons avoir la certitude qu’il continuera à le faire jour après jour.Depuis, mettre des mots sur ma«condition»n’est plus devenu si important. Alors quoi, parce que j’aurais le nom d’une maladie collée à la peau, tout irait mieux? Je me sentirais plus à même de