LOGINLéon
Un seul mot, tout aussi rauque.
Le 5ème étage. Le temps presse.
Je prends une inspiration, un semblant de courage absurde dans cette situation. Je fais un demi-tour complet pour lui faire face.
— On a oublié les présentations, hier. Dans la confusion, dis-je, essayant un ton détaché qui sonne faux. Je m’appelle Léon.
Son regard se décroche du miroir et se plante dans le mien, choc frontal. Elle est surprise. Une lueur d’amusement, noir et féroce, traverse ses prunelles. Elle dépose son cartable au sol, comme pour un rituel.
— Emma, répond-elle.
Elle tend sa main, droite, poignet ferme, ongles rouges impeccables. Un geste d’affaires, parfaitement incongru. Une étincelle d’humour absurde fend la tension, si vive qu’elle en est presque douloureuse. Je saisis sa main. Sa peau est douce, froide. Mais le contact électrise l’air. Nos paumes se touchent, nos doigts s’enlacent un bref instant – une poignée de main normale, sauf qu’elle n’a rien de normal. C’est une reconnaissance, un pacte, un souvenir charnel qui fait vibrer tout mon bras.
— Enchanté, Emma, je murmure, sans lâcher sa main.
— Enchantée, Léon.
Nous restons ainsi, mains liées par ce geste civilisé, pendant que le reste de nos corps se souvient de choses infiniment moins civiles. Le ruban rouge des chiffres passe du 4 au 3. Je relâche enfin sa main. Elle la laisse retomber, mais ses doigts se recroquevillent comme pour garder la sensation.
— Je ne fais jamais ce genre de choses, lâche-t-elle soudain, comme si la poignée de main avait ouvert une vanne. Jamais.
— Les présentations ? Je plaisante, la voix basse.
Elle souffle, presque un rire étouffé, nerveux.
— Non. Le reste.
— Moi non plus. Surtout pas avec quelqu’un dont je ne connais pas le nom. C’est très mal élevé.
Cette fois, un vrai sourire, fugace, déforme ses lèvres. Il est magnifique et dévastateur.
— Effectivement. Un manque évident de savoir-vivre.
Le 2ème étage. Le hall approche. La panique, familière, revient me serrer la gorge. Les présentations sont faites. Le prochain pas logique, c’est « Au revoir, ça a été un plaisir » et la porte qui s’ouvre sur le monde réel.
Ses yeux brillent d’une lueur qui dit qu’elle pense exactement la même chose. Le sourire a disparu. Il ne reste que la tension brute, le besoin. La main qu’elle m’a tendue tremble légèrement.
— Je ne peux pas, je murmure, percuté par l’évidence. Je ne peux pas en rester là. Pas maintenant que je sais comment tu t’appelles.
Sa respiration s’accélère.
— Qui te dit que je veux en rester là ?
Avant que je ne puisse répondre, elle fait un pas décisif, tend le bras par-dessus mon épaule et appuie, d’un coup sec, sur le bouton d’arrêt d’urgence.
CLIC.
Le son est à la fois minuscule et monumental. L’ascenseur décélère en douceur et s’immobilise. Un léger bourdonnement s’installe. Les lumières restent allumées. Nous sommes de nouveau en panne. Mais cette fois, c’est un choix délibéré.
Le silence qui tombe est différent. Il n’est plus subi. Il est chargé, électrique, consentant.
EMMA
J’ai agi. J’ai arrêté le monde. Je l’ai fait. Et maintenant, je suis face aux conséquences, qui se tient devant moi, les yeux écarquillés d’une surprise admirative.
— Tu as arrêté l’ascenseur, constate-t-il, un sourire lent, dangereux, retroussant ses lèvres.
— Tu as commencé avec la poignée de main, je contre, le cœur battant à tout rompre. C’était un geste audacieux. J’ai suivi.
— C’était très formel.
— Après la nuit dernière, on avait besoin d’un peu de formalité.
Il éclate de rire, un vrai rire cette fois, grave et chaud, qui résonne dans la cabine et me fait fondre les genoux. C’est un son que je ne lui connaissais pas. Je l’aime immédiatement.
— D’accord, Emma. Très bien. Maintenant qu’on est formellement présentés… on fait quoi ?
Il fait un pas vers moi. La distance déjà mince se réduit à néant. Je peux voir les fines stries d’or dans ses yeux gris, l’ombre de sa barbe naissante sur sa mâchoire serrée.
— Je ne sais pas, je chuchote. Je n’ai jamais séquestré quelqu’un dans un ascenseur après une poignée de main.
— Moi non plus. C’est une première.
Il lève une main, hésite, puis effleure ma joue du dos des doigts. Un frisson violent me parcourt.
— La dernière fois… c’était la survie. Une question sans réponse.
— Et maintenant ? Ma voix n’est qu’un souffle.
— Maintenant, j’ai ton nom. Et j’ai une autre question.
— Laquelle ?
— Est-ce que « enchantée, Léon » voulait dire « enchantée, et maintenant j’aimerais que tu me redéfasses mon tailleur, ici, contre ce miroir, malgré la lumière du jour et le fait qu’on sache enfin qui on est » ?
Le rouge me monte aux joues. Ses mots, directs, crus, mais enrobés de cette ironie sombre, me coupent le souffle. C’est exactement ce que ça voulait dire. Et il le sait.
— Ça serait… très mal élevé, je réussis à articuler.
— On a déjà établi que notre savoir-vivre laissait à désirer.
Il baisse la tête. Son front touche le mien. Sa chaleur, son odeur – le savon, le tissu neuf, et dessous, cette note plus foncière, masculine, la sienne – m’envahissent.
— Réponds, Emma.
Je ferme les yeux. L’humour s’évapore, laissant place à la vérité nue, brûlante.
— Oui. C’est exactement ce que ça voulait dire.
C’est tout ce dont il a besoin. Ses mains se posent sur mes hanches, à travers la laine fine du tailleur. Son emprise est ferme, familière, terriblement rassurante. Il me tire contre lui et je me plaque à lui, mes mains s’agrippant aux épaules parfaites de son costume. Le contraste entre le vêtement de sérieux et ce qui va suivre est vertigineux. Délicieux.
— Le bouton d’arrêt d’urgence, c’était une bonne idée, il murmure contre mes lèvres. Mais s’ils nous retrouvent comme ça, la présentation sera un peu gênante à expliquer.
— On leur dira qu’on finalisait un partenariat très… serré.
Il rit encore, et ce rire se transforme en grognement quand nos bouches se rencontrent enfin.
Léon Un seul mot, tout aussi rauque.Le 5ème étage. Le temps presse.Je prends une inspiration, un semblant de courage absurde dans cette situation. Je fais un demi-tour complet pour lui faire face.— On a oublié les présentations, hier. Dans la confusion, dis-je, essayant un ton détaché qui sonne faux. Je m’appelle Léon.Son regard se décroche du miroir et se plante dans le mien, choc frontal. Elle est surprise. Une lueur d’amusement, noir et féroce, traverse ses prunelles. Elle dépose son cartable au sol, comme pour un rituel.— Emma, répond-elle.Elle tend sa main, droite, poignet ferme, ongles rouges impeccables. Un geste d’affaires, parfaitement incongru. Une étincelle d’humour absurde fend la tension, si vive qu’elle en est presque douloureuse. Je saisis sa main. Sa peau est douce, froide. Mais le contact électrise l’air. Nos paumes se touchent, nos doigts s’enlacent un bref instant – une poignée de main normale, sauf qu’elle n’a rien de normal. C’est une reconnaissance, un pac
LEONL’hôtel semble avoir changé d’atmosphère pendant la nuit. L’air conditionné a un goût de poussière, les tapis roses dégagent une odeur de renfermé. Mes bagages sont faits, posés près de la porte. Un vol dans trois heures. Une vie à reprendre, comme si de rien n’était.Je n’ai pas dormi. Mon corps est un champ de bataille sourd. Les cicatrices de l’accident palpitent d’une douleur familière, mais c’est une autre marque, plus récente, qui m’obsède. L’empreinte de ses ongles sur mes épaules, la sensation fantôme de ses cuisses autour de ma taille, le goût de sa peau salée encore sur ma langue. J’ai pris une douche brûlante, je me suis frotté jusqu’au rouge, mais son odeur , un mélange de son parfum, de ma sueur et de nous , semble imprégnée dans mes propres pores.Je descends. Mes doigts hésitent sur le bouton de l’ascenseur. Le métal est froid. La panne est réparée, évidemment. La vie est une machine bien huilée qui efface les incidents. Je pousse un son rauque, un rire sans humour
EmmaNous ne nous embrassons plus. Nous haletons bouche à bouche, échangeant l’air vicié, le goût de l’autre. La sueur coule en ruisseaux, mélange nos odeurs en un parfum unique, animal, indécent. Je vois défiler dans ses yeux gris chaque pensée interdite, chaque fêlure, chaque dévoration. Il voit les miennes. Il n’y a plus de masque. Nous sommes deux âmes nues, accrochées l’une à l’autre dans la chute.La pression en moi devient un bloc de lave, un point de non-retour. C’est trop. C’est insoutenable. Je veux fuir cette intensité, je veux m’y dissoudre.— Je… je ne vais pas tenir… — Lâche-toi… lâche tout pour moi Sa voix est brisée, un ordre, une supplique. Il accélère, devient frénétique, désespéré. Comme si le monde allait finir dans le prochain grondement de l’ascenseur.C’est cette pensée qui fait céder la dernière digue. La fin du monde partagée avec un inconnu. Mon corps explose en une série de contractions violentes, silencieuses, qui arrachent tout de moi, âme comprise. Un c
LEONLe goût de sa bouche est une addiction instantanée. Un mélange de baume fruité et de sel, d’urgence et de consentement muet. Mes mains sur ses hanches la soulèvent comme si elle ne pesait rien, et le choc de son corps contre le miroir fait vibrer toute la cage. Le reflet dans la lumière rougeâtre nous montre enlacés, deux animaux pris au piège, les yeux injectés de désir pur.Ses jambes se referment autour de ma taille, un étau de chair et de soie qui me coupe le souffle. Je la presse plus fort contre la surface froide, cherchant à m’enfoncer en elle par la seule force de mon bassin contre le sien. Le frottement est insupportable. Délicieux.— Attends Sa voix est un filet rauque, mais ses yeux disent le contraire. Ils me dévorent. Ils exigent. Attendre ? Impossible. L’attraction était un aimant, maintenant c’est une réaction en chaîne. J’engloutis son murmure avec un baiser plus sauvage, mes dens heurtant les siennes. Ma main arrache le bas de sa robe, trouve la fine bande de so
EMMALe rouge à lèvres. C’est ma seule pensée quand la cage s’arrête. J’ai passé mon doigt sur mes lèvres dans un geste nerveux, effaçant la couleur, laissant une trace baveuse, indécente. Je suis en retard. Encore. Et maintenant, je suis prisonnière. Avec un homme.Je le vois dans le miroir, avant même de le regarder vraiment. Grand, les épaules larges, le visage fermé. Puis je vois ses mains. Des mains abîmées. Marquées par la violence de quelque chose , un accident, une chute, un combat. Les cicatrices sont récentes, la peau encore en reconstruction. Elles me fascinent. Elles racontent une histoire de douleur et de survie.Il jure. Sa voix est grave, raclée par l’agacement ou la peur. L’air devient irrespirable. Je m’adosse au miroir froid, cherchant un peu de fraîcheur, mais mon dos brûle. L’électricité statique fait crépiter son pull. Le son fuse dans le silence comme une étincelle.Et puis… cela bascule.Ce n’est pas un regard. C’est une prise. Quand nos yeux se rencontrent enfi
LEONLe déclic sourd du mécanisme qui s’arrête est le premier son. Puis le silence. Un silence épais, étouffant, qui s’abat d’un coup dans cette boîte métallique suspendue. La lumière vacille, pâlit, et se stabilise dans une lueur jaunâtre et malade. Je relève la tête du sol où je fixais mes mains. Mes mains, justement. Les cicatrices encore roses, tendues sur les articulations, me rappellent à chaque mouvement que mon corps n’est plus tout à fait le mien. Un accident, disent-ils. Une seconde d’inattention. Maintenant, il y a un avant et un après, tracé à vif sur ma peau.Je ne suis pas seul.L’odeur arrive en premier. Un mélange de fleur coupée, sucrée, et de quelque chose de plus acide, de l’adrénaline peut-être. Je tourne lentement la tête. Elle est dans l’angle opposé, adossée au miroir, comme pour s’y fondre. Une femme. Robe noire, épaules nues. Elle a les mains plaquées contre la paroi derrière elle, les doigts écartés. Et sa bouche. Elle a les lèvres rouges. D’un rouge violent,




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