Je suis partie sans rien d'autre que moi-même

Au moment où j'atteignais la porte de la villa, j'ai entendu derrière moi la voix basse et autoritaire habituelle de Rémy :

« Véronique, laisse le collier d'obsidienne autour de ton cou. »

Je me suis figée.

Ce collier était une relique que m'avait laissée ma grand-mère.

La pierre volcanique brute, forgée par le feu et la douleur, avait été expédiée d'Islande.

Il n'avait jamais quitté mon cou, pas même la nuit de notre mariage où Rémy m'avait serrée contre lui en me murmurant pour la première fois qu'il m'aimait.

Il s'est approché, le ton décontracté et inquiétant.

« Lise a vécu une grossesse difficile, et ce collier pourrait l'aider à se sentir mieux. »

Pendant un instant, j'ai cru qu'il plaisantait.

Mais ses yeux étaient inhabituellement sérieux.

J'ai serré l'obsidienne contre moi, ses bords dentelés s'enfonçant profondément dans ma paume, la douleur n'étant pas aussi forte que celle que je ressentais à l'intérieur de moi.

Rencontrant mes yeux rougis, il a détourné le regard et a soupiré :

« Bon, Véronique, donne-moi un prix et je te le rembourserai du mieux que je pourrai. »

Combien pouvait valoir notre humble mariage de neuf ans ?

Je ne voulais pas calculer.

J'ai repensé à ce qui m'était arrivé la dernière fois que j'avais refusé de céder mes genouillères à Lise sur les pistes de ski.

Rémy avait demandé à ses hommes de m'enlever ma veste et de me laisser à l'extérieur du chalet par une température inférieure à zéro pendant que Lise sirotait du cacao près du feu.

Aujourd'hui, sous le regard de toute la maison, je me suis approchée de Lise et j'ai mis le collier autour de son cou gracile.

J'ai murmuré : « Bonne chance à toi et à l'enfant que tu portes ».

En entendant ma bénédiction, Rémy a enfin souri et m'a regardée doucement :

« Véronique, si tu es assez obéissante, mon enfant sera ton enfant, et personne d'autre ne pourra ébranler ta place. »

A peine avait-il fini de parler que, comme si le destin avait entendu quelque chose, le collier autour du cou de Lise s'est soudain brisé et l'obsidienne est tombée en morceaux sur le sol.

Un éclat tranchant a coupé la cheville de Lise.

Elle a crié.

Rémy s'est précipité et l'a prise dans ses bras comme si elle était en verre.

« Appelle un médecin ! » a-t-il crié au majordome.

Et puis Rémy m'a jeté un coup d'œil comme pour me réprimander.

L'homme qui avait veillé trois nuits de suite en me tenant la main et en me fredonnant des berceuses quand j'étais enrhumée me regardait maintenant comme une criminelle.

Et puis il y avait les autres, ceux des classes supérieures, ceux qui portaient des vêtements de marque, ceux que j'appelais mes amis.

Ils me regardaient tous avec un sourire sarcastique dans les yeux.

Ils voyaient ce que j'étais devenue : une femme qui s'était assise à la droite du chef de la mafia en était réduite à s'agenouiller à ses pieds.

Je n'avais pas besoin d'entendre leurs moqueries, je me sentais moi-même ridicule.

J'ai serré le tige de poignée de ma valise et me suis retournée pour partir, mais Rémy m'a serré le poignet si fort que j'ai senti la douleur comme si mes os étaient sur le point d'être écrasés.

« Excuse-toi pour ton erreur. »

Ignorant mes paroles et mes luttes, il m'a jetée aux pieds de Lise, déjà assise.

Mon genou s'est pris une pierraille vive et le sang qui a suinté a taché le sol de marbre.

Voyant les taches de sang et mes yeux douloureux, Rémy m'a lâchée.

« Tu as fait exprès de casser le collier et de blesser Lise, tu ne devrais pas lui dire que tu es désolée ? »

J'ai dit « je suis désolée » plus de fois en un an que dans toute ma vie antérieure.

Je suis désolée que ma cuisine n'ait pas été à ton goût.

Je suis désolée de t'avoir dérangé en t'envoyant un message alors que je craignais que tu sois ivre.

Je suis désolée d'avoir vu le SMS de Lise te demandant d'aller à l'hôtel et d'avoir violé ton intimité...

Je me suis redressée, les lèvres ensanglantées par les morsures et j'avais peur de pleurer.

Je me suis inclinée profondément devant Lise.

Une fois, deux fois, trois fois.

J'ai regardé Rémy avec indifférence et lui a demandé doucement :

« Excuse-moi, est-ce que ça suffit ? »

Fixant le sang sur mes lèvres, la poitrine de Rémy s'est visiblement soulevée.

Il a essuyé violemment le sang de ma bouche, m'a pincé le menton et m'a dit : « Véronique, ton parrain, sur qui tu comptes le plus, n'est pas là, et pour qui te fais-tu passer pour cette pathétique maintenant ! »

Avant que je ne réponde, le médecin de famille est arrivé en vitesse avec une trousse de premiers soins.

Rémy ne m'a plus jamais regardée.

Il a conduit le médecin vers Lise, en enjambant le sang que j'avais laissé derrière moi comme si cela n'avait pas d'importance.

Rémy ne quittait pas Lise des yeux, et à ce moment-là, je me suis lentement redressée et j'ai séché le sang sur mon corps à l'aide d'un mouchoir.

En sortant, j'ai jeté le mouchoir taché de sang dans la poubelle, comme si j'avais jeté quelque chose d'autre.

Oui, Rémy, tu n'as plus d'importance pour moi non plus.