AlmaQuand j’ouvre les yeux, la lumière est douce. Un rideau danse lentement dans le souffle d’un vent léger. Les draps froissés gardent la chaleur de la nuit, et je sens sa main sur ma hanche. Ses doigts endormis, chauds, ancrés. Présents.Je ne bouge pas. Pas tout de suite. J’écoute son souffle contre ma nuque, régulier, paisible. Comme si le monde avait cessé de tourner pendant la nuit. Comme si cette chambre, ce lit, ses bras, étaient devenus mon centre de gravité.Je pourrais rester là. Des heures. Des jours. Une vie.Mais l’écho du monde s’infiltre déjà par les interstices des murs. Les souvenirs d’hier. La peur de demain. Et malgré tout, je veux que ce moment dure. Encore un peu.ÉliasJe la sens avant de vraiment émerger. Sa chaleur. Sa peau nue contre la mienne. Sa respiration lente, presque timide, comme si elle hésitait à déranger la paix fragile de l’instant.Je garde les yeux fermés. Parce que j’ai peur que ce ne soit qu’un rêve. Mais je sens son dos se soulever à chaque
AlmaJe devrais être loin déjà.Ailleurs.En train d’essayer d’oublier. De respirer.Mais mes jambes ne coopèrent pas.Je suis sortie. J’ai marché. Sans but. Sans direction.Et maintenant, je suis là.Devant cette maison que je n’aurais jamais pensé revoir.La voiture est garée. Moteur coupé.Il est là.Élias.Assis.Silencieux.Le regard perdu sur un horizon que je ne peux pas voir.Je reste à distance.Je devrais partir.Il ne m’a pas appelée. Il ne m’attend pas.Mais mon cœur cogne, plus fort que ma fierté.Plus fort que ma peur.Et je m’avance.ÉliasJe la sens avant de la voir.Une tension dans l’air. Un battement différent.Je tourne la tête.Elle est là.Alma.Je me fige.Je n’ai pas rêvé son visage depuis des semaines.Et pourtant, le voir en vrai me coupe le souffle.Je ne sais pas quoi dire. Je n’étais pas prêt.Mais elle, si.Alma— Tu pensais vraiment que tu pouvais partir comme ça ?— Laisser une phrase sur un écran et disparaître ?Ma voix tremble. Mais pas de colère.De
ÉliasJe reviens.Doucement.Vers cet endroit que j’ai fui si longtemps qu’il en est devenu presque irréel.Comme un mirage figé dans une autre vie.Je reconnais chaque pierre, chaque fissure dans le mur.Mais c’est moi qui suis différent.Les marches du passé grincent sous mes pas.Le bois craque, mais je n’ai plus peur de ce bruit.Je le connais. Il fait partie de moi.Je pose ma main sur la rampe.Elle est plus froide que dans mon souvenir. Ou c’est moi qui suis plus chaud. Plus vivant.Je tiens la poignée.Un souffle me traverse, comme si la maison elle-même retenait son souffle.Et j’entre.Tout est resté en l’état.Comme si le temps avait décidé d’attendre que je sois prêt.Le plaid sur le canapé, déployé à moitié, comme si quelqu’un venait juste de se lever.Les dessins punaisés au mur, aux coins écornés.Le bol de Roxane, encore posé sur l’étagère du bas. Je reconnais l’éclat de chocolat au fond.Combien de fois ai-je promis de le laver et oublié ?Un petit sourire m’échappe.
ÉliasJ’erre.Pas vraiment ici, pas encore ailleurs.Je marche sans but, mais chaque pas m’écarte un peu plus de la maison. De ses murs trop pleins de fantômes.Les volets claquaient encore quand je suis parti. Il faisait déjà nuit. Le sac jeté sur mon épaule, je n’ai pas regardé en arrière. Même pas une seconde.J’ai pris un sac au hasard. Des vêtements. Un carnet. Une photo froissée. C’est tout.Roxane sur la balançoire, son rire figé dans le papier. Et Alma en arrière-plan, floue, presque absente. Je ne sais pas pourquoi j’ai pris cette photo. Peut-être pour me souvenir que, malgré tout, j’ai aimé.Je passe la nuit dans une chambre d’hôtel impersonnelle.Pas d’odeur. Pas de chaleur. Juste le silence, coupant comme une lame mal aiguisée.Je n’allume pas la télévision. Je regarde le plafond, encore et encore.Les fissures y dessinent des chemins que je ne prends pas.Et je repense à Alma.À Roxane.À ce que j’ai détruit sans m’en rendre compte.Élias— Est-ce qu’on peut encore aimer,
ÉliasLe soleil perce à peine les rideaux. La lumière s’étale sur le parquet comme une gifle lente, une vérité douce-amère : elle n’est plus là.Je me lève, lentement, comme on sort d’un rêve trop lourd. Chaque mouvement est un effort, comme si mon corps refusait de fonctionner sans elle.Pas Alma. Roxane.Roxane.Ses rires contre les murs.Ses élans sans retenue.Ses bras lancés autour de mon cou sans prévenir.Son insolence tendre. Son refus de plier.Je cherche son odeur dans les draps, sa voix dans l’écho des pièces vides.Mais ce qui m’étrangle, c’est qu’elle ne reviendra pas. Qu’elle ne pourra jamais me pardonner.Et que même Alma, elle, m’a quitté.Je passe la main sur la table, là où le carnet d’Alma traînait parfois, là où elle griffonnait des pensées qu’elle ne me lisait jamais.Tout est vide. Rangé. Froid.Son absence n’a pas laissé de désordre. Juste un vide net. Un vide précis.Et cette netteté me brise plus que n’importe quel cri.Élias— Tu m’as aimé dans le chaos, Alma
SorenLa nuit est froide, mais elle ne tremble pas. Elle marche à mes côtés, le dos droit, le regard figé sur un point invisible à l’horizon. Elle s’est brisée tout à l’heure, et pourtant, elle avance. J’admire cette force autant que je la redoute. Parce qu’elle pourrait se relever même si je n’étais plus là. Et je ne suis pas sûr d’être prêt à ça.Je l’observe à la dérobée. Sa mâchoire est contractée, ses mains enfoncées dans les poches de son manteau. Aucun mot ne franchit ses lèvres, mais tout hurle à l’intérieur. Je le sens. Je le connais, ce silence-là. Il ne protège pas : il consume.Soren— Tu veux vraiment voir ce que je voulais te montrer ? On peut juste marcher. Ou rester là.Elle tourne lentement la tête vers moi. Ses yeux brillent, mais aucune larme ne tombe. Il y a quelque chose de neuf dans son regard. Une rupture. Une clarté nouvelle. Ça me glace plus que ça ne me rassure.Alma— Si je m’arrête, je m’écroule. Alors montre-moi.Je hoche la tête. Je ne pose pas de questio