Roxane
Je suis épuisée. Pourtant, mon esprit est en ébullition.
Depuis mon arrivée chez Grayson Corporation, chaque jour est une bataille. Une course contre la montre, contre les attentes, contre moi-même. Je dois être parfaite. Précise. Intouchable.
Et pourtant, il y a une faille.
Une faille qui porte un costume sur mesure et qui a le regard perçant d’un homme habitué à gagner.
Elias Grayson.
Il me teste, m’observe, m’attend au tournant. Et pire encore : il semble s’amuser.
Ce matin, en arrivant au bureau, je trouve une pile de dossiers sur mon bureau. Des demandes, des contrats, des modifications de dernière minute. Il ne m’a pas donné d’instructions, mais je sais ce que cela signifie.
Un défi.
Je m’installe et me mets au travail. Mes doigts courent sur le clavier, mes yeux analysent chaque détail. Je refuse de me laisser dépasser.
Deux heures plus tard, j’ai tout bouclé. Je rassemble les documents et frappe à la porte de son bureau.
— Entrez.
Je pousse la porte et m’avance, les dossiers sous le bras. Elias est assis derrière son bureau, une tasse de café à la main. Il lève à peine les yeux vers moi.
— Déjà fini ?
— Vous en doutiez ?
Un sourire effleure ses lèvres.
— Toujours.
Je pose les dossiers devant lui.
— Toutes les modifications sont intégrées. J’ai également ajouté une note sur le contrat avec Anderson & Co. Il y avait une clause ambiguë qui aurait pu poser problème.
Il attrape le document, le parcourt rapidement et hausse un sourcil.
— Bien vu.
Je croise les bras.
— Je sais.
Il lève les yeux vers moi, amusé.
— Vous aimez les défis, Roxane.
— Et vous aimez tester les gens.
Il ne répond rien, mais le regard qu’il me lance suffit à me faire comprendre qu’il n’a pas l’intention de s’arrêter là.
Je ressors de son bureau, le cœur battant plus fort que je ne le voudrais.
Elias
Elle est rapide. Trop rapide.
J’aurais dû être irrité par sa réactivité, par sa manière de tout anticiper. Mais au lieu de ça, je ressens une satisfaction étrange.
Elle ne se contente pas de suivre mes ordres. Elle prend les devants. Elle cherche à me surpasser.
Et ça, c’est nouveau.
Natalia entre sans frapper, comme à son habitude.
— Tu t’amuses bien ?
Je repose les documents et croise les doigts sous mon menton.
— Elle est brillante.
Natalia s’assoit face à moi et me fixe d’un regard perçant.
— Et dangereuse.
— Parce qu’elle est compétente ?
— Parce qu’elle est ambitieuse.
Je souris légèrement.
— Toi aussi.
— Oui, mais moi, tu me connais.
Je garde le silence.
C’est vrai. Natalia est un pilier de cette entreprise. Je sais comment elle pense, comment elle agit.
Roxane, en revanche…
Elle est encore une énigme.
Et c’est précisément ce qui me fascine.
Roxane
À midi, je sors prendre l’air.
Je n’ai même pas eu le temps de boire un café ce matin. Mon corps est en mode pilote automatique, mais ma tête ne s’arrête jamais.
Alors que je traverse le hall, une voix m’interpelle.
— Roxane !
Je me fige.
Je connais cette voix.
Je me retourne lentement et tombe sur Lena.
Mon estomac se serre.
Lena, l’ancienne assistante d’Elias Grayson.
Celle qui, selon les rumeurs, était plus qu’une simple employée.
Celle qui, selon d’autres rumeurs, a été évincée du jour au lendemain.
Elle s’approche de moi, un sourire froid sur les lèvres.
— Tu es celle qui m’a remplacée.
Je soutiens son regard.
— On dirait bien.
Elle me détaille de haut en bas, comme si elle évaluait ma valeur.
— Fais attention, Roxane.
Je croise les bras.
— À quoi ?
Elle sourit, mais ses yeux sont sombres.
— À ne pas te brûler les ailes.
Puis, sans un mot de plus, elle tourne les talons et disparaît dans la foule.
Je reste immobile, le cœur battant à tout rompre.
Est-ce un avertissement ? Une menace ?
Je n’en ai aucune idée.
Mais une chose est sûre : Lena n’est pas partie de son plein gré.
Et je ferais mieux de découvrir pourquoi.
Elias
Quand je reviens de ma réunion, Roxane est à son bureau, l’air plus concentré que d’habitude.
Je la fixe un instant avant de m’approcher.
— Quelque chose ne va pas ?
Elle relève la tête et me regarde droit dans les yeux.
— Lena est passée me voir.
Je me fige.
Un silence s’installe.
Puis, lentement, je demande :
— Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
Elle soutient mon regard sans ciller.
— Que je devais faire attention.
Je m’appuie contre son bureau, les bras croisés.
— Tu veux savoir pourquoi elle est partie.
— Évidemment.
Je souris légèrement.
— Alors trouve la réponse par toi-même.
Elle plisse les yeux.
— C’est un défi ?
— C’est une opportunité.
Elle réfléchit une seconde, puis se lève.
— Dans ce cas, je vais commencer tout de suite.
Elle attrape son téléphone et disparaît au bout du couloir.
Je la regarde s’éloigner, un sourire en coin.
Elle est piégée.
Plus elle creusera, plus elle se rapprochera de moi.
Et je doute qu’elle en sorte indemne.
ÉliasIl y a ce moment précis, suspendu, où tout paraît simple.Ses cheveux encore humides de la douche tombent en cascade sur mes draps, ses doigts s’attardent sur ma clavicule comme s’ils traçaient une prière muette. Alma ne parle pas, mais je sens que ça tourne dans sa tête. Elle pense trop. Comme moi.Je veux lui dire de rester là. De ne pas replonger dans les abîmes. Mais je sais que les ombres ne nous quittent jamais vraiment. Elles attendent, juste derrière la lumière.AlmaIl y a cette alerte sur son téléphone. Un son bref, mécanique. Un rappel que dehors, le monde existe encore.Il hésite, tend la main. Ses traits se figent à la lecture du message. Et dans ce silence tendu, je comprends : la paix est déjà menacée.— Quelque chose ne va pas ?— Élias ? Dis-moi.ÉliasJe fixe l’écran. Et je sens le sol s’ouvrir sous mes pieds. Un prénom. Un seul. Suffisant pour tout faire vaciller.Soren.Il m’a envoyé un message. Trois mots, sans ponctuation : On doit parler.Pas de menace. Pa
AlmaQuand j’ouvre les yeux, la lumière est douce. Un rideau danse lentement dans le souffle d’un vent léger. Les draps froissés gardent la chaleur de la nuit, et je sens sa main sur ma hanche. Ses doigts endormis, chauds, ancrés. Présents.Je ne bouge pas. Pas tout de suite. J’écoute son souffle contre ma nuque, régulier, paisible. Comme si le monde avait cessé de tourner pendant la nuit. Comme si cette chambre, ce lit, ses bras, étaient devenus mon centre de gravité.Je pourrais rester là. Des heures. Des jours. Une vie.Mais l’écho du monde s’infiltre déjà par les interstices des murs. Les souvenirs d’hier. La peur de demain. Et malgré tout, je veux que ce moment dure. Encore un peu.ÉliasJe la sens avant de vraiment émerger. Sa chaleur. Sa peau nue contre la mienne. Sa respiration lente, presque timide, comme si elle hésitait à déranger la paix fragile de l’instant.Je garde les yeux fermés. Parce que j’ai peur que ce ne soit qu’un rêve. Mais je sens son dos se soulever à chaque
AlmaJe devrais être loin déjà.Ailleurs.En train d’essayer d’oublier. De respirer.Mais mes jambes ne coopèrent pas.Je suis sortie. J’ai marché. Sans but. Sans direction.Et maintenant, je suis là.Devant cette maison que je n’aurais jamais pensé revoir.La voiture est garée. Moteur coupé.Il est là.Élias.Assis.Silencieux.Le regard perdu sur un horizon que je ne peux pas voir.Je reste à distance.Je devrais partir.Il ne m’a pas appelée. Il ne m’attend pas.Mais mon cœur cogne, plus fort que ma fierté.Plus fort que ma peur.Et je m’avance.ÉliasJe la sens avant de la voir.Une tension dans l’air. Un battement différent.Je tourne la tête.Elle est là.Alma.Je me fige.Je n’ai pas rêvé son visage depuis des semaines.Et pourtant, le voir en vrai me coupe le souffle.Je ne sais pas quoi dire. Je n’étais pas prêt.Mais elle, si.Alma— Tu pensais vraiment que tu pouvais partir comme ça ?— Laisser une phrase sur un écran et disparaître ?Ma voix tremble. Mais pas de colère.De
ÉliasJe reviens.Doucement.Vers cet endroit que j’ai fui si longtemps qu’il en est devenu presque irréel.Comme un mirage figé dans une autre vie.Je reconnais chaque pierre, chaque fissure dans le mur.Mais c’est moi qui suis différent.Les marches du passé grincent sous mes pas.Le bois craque, mais je n’ai plus peur de ce bruit.Je le connais. Il fait partie de moi.Je pose ma main sur la rampe.Elle est plus froide que dans mon souvenir. Ou c’est moi qui suis plus chaud. Plus vivant.Je tiens la poignée.Un souffle me traverse, comme si la maison elle-même retenait son souffle.Et j’entre.Tout est resté en l’état.Comme si le temps avait décidé d’attendre que je sois prêt.Le plaid sur le canapé, déployé à moitié, comme si quelqu’un venait juste de se lever.Les dessins punaisés au mur, aux coins écornés.Le bol de Roxane, encore posé sur l’étagère du bas. Je reconnais l’éclat de chocolat au fond.Combien de fois ai-je promis de le laver et oublié ?Un petit sourire m’échappe.
ÉliasJ’erre.Pas vraiment ici, pas encore ailleurs.Je marche sans but, mais chaque pas m’écarte un peu plus de la maison. De ses murs trop pleins de fantômes.Les volets claquaient encore quand je suis parti. Il faisait déjà nuit. Le sac jeté sur mon épaule, je n’ai pas regardé en arrière. Même pas une seconde.J’ai pris un sac au hasard. Des vêtements. Un carnet. Une photo froissée. C’est tout.Roxane sur la balançoire, son rire figé dans le papier. Et Alma en arrière-plan, floue, presque absente. Je ne sais pas pourquoi j’ai pris cette photo. Peut-être pour me souvenir que, malgré tout, j’ai aimé.Je passe la nuit dans une chambre d’hôtel impersonnelle.Pas d’odeur. Pas de chaleur. Juste le silence, coupant comme une lame mal aiguisée.Je n’allume pas la télévision. Je regarde le plafond, encore et encore.Les fissures y dessinent des chemins que je ne prends pas.Et je repense à Alma.À Roxane.À ce que j’ai détruit sans m’en rendre compte.Élias— Est-ce qu’on peut encore aimer,
ÉliasLe soleil perce à peine les rideaux. La lumière s’étale sur le parquet comme une gifle lente, une vérité douce-amère : elle n’est plus là.Je me lève, lentement, comme on sort d’un rêve trop lourd. Chaque mouvement est un effort, comme si mon corps refusait de fonctionner sans elle.Pas Alma. Roxane.Roxane.Ses rires contre les murs.Ses élans sans retenue.Ses bras lancés autour de mon cou sans prévenir.Son insolence tendre. Son refus de plier.Je cherche son odeur dans les draps, sa voix dans l’écho des pièces vides.Mais ce qui m’étrangle, c’est qu’elle ne reviendra pas. Qu’elle ne pourra jamais me pardonner.Et que même Alma, elle, m’a quitté.Je passe la main sur la table, là où le carnet d’Alma traînait parfois, là où elle griffonnait des pensées qu’elle ne me lisait jamais.Tout est vide. Rangé. Froid.Son absence n’a pas laissé de désordre. Juste un vide net. Un vide précis.Et cette netteté me brise plus que n’importe quel cri.Élias— Tu m’as aimé dans le chaos, Alma