Chapitre V
17h23 - Appartement familial Je fais irruption dans l'appartement comme une tornade, la porte claquant derrière moi. Ma mère lève à peine les yeux du livre qu'elle lit dans le canapé. "Tu cours le marathon ?" me lance-t-elle sans même lever la tête. "Presque", je marmonne en me dirigeant droit vers ma chambre. Une fois à l'abri des regards, je m'effondre contre la porte fermée, le cœur battant à tout rompre. Mon téléphone affiche l'heure en gros chiffres rouges : 17 h 37 23 minutes ! Je dois me préparer pour ... Pourquoi, d'ailleurs ? Un rendez-vous ? Une sortie entre potes ? Une séance de torture psychologique ? Je secoue la tête et me précipite vers mon armoire. Les vêtements volent dans tous les sens alors que je cherche désespérément quelque chose à me mettre. Pas trop classe pour ne pas avoir l'air de faire des efforts, mais pas trop décontracté non plus pour ne pas ressembler à une loque. Finalement, je choisis : - Un jogging noir propre (enfin, propre selon mes standards) - Un débardeur blanc simple - Ma veste en jean préférée - Mes baskets propres (miracle) Je me précipite dans la salle de bain pour une douche express. L'eau est à peine tiède mais je m'en fiche. Shampooing, déo, un coup de brosse dans les cheveux que je laisse sécher à l'air libre. 17h57 Je jette un dernier regard dans le miroir. Pas mal. Enfin, pas catastrophique. Ma mère apparaît dans l'encadrement de la porte. "Tu sors ?" "Ouais, avec... des amis." Elle hausse un sourcil mais ne pose pas de questions. "Fais attention à toi." --- 18h07 - Quartier abandonné de Saint-Charles Je m'arrête net devant l'Audi noire garée en double file. Enzo est adossé contre le capot, les bras croisés, un sourire satisfait aux lèvres. Il porte un simple t-shirt blanc et un jean, mais évidemment, il a cette putain d'allure de star qui fait rager. "T'es en retard", il remarque en consultant sa montre. Je plisse les yeux. "T'es moche." Il éclate de rire, un rire franc qui résonne dans la rue déserte. "C'est comme ça que tu salues ton prince charmant ?" "Prince charmant ?" Je fais mine de vomir. "T'as pris trop deux balles dans la tête." Il ouvre la portière passager avec une courbette théâtrale. "Après toi, princesse." Je grimpe dans la voiture en roulant des yeux. L'intérieur sent le cuir neuf et un léger parfum boisé. Il s'installe au volant et démarre en douceur. Je jette un regard autour de nous. Des bâtiments abandonnés couverts de graffitis, des rues désertes... "C'est ici que tu m'emmènes ?" Je tourne vers lui un regard sceptique. "En plus d'être moche, t'es radin à ce point ?" Il sourit sans quitter la route. "Sérieux, tu me trouves moche ?" Je l'étudie avec exagération - ses traits réguliers, ses yeux verts trop clairs, ses lèvres bien dessinées... "Oui." Il rit encore, comme si mes insultes étaient les meilleures choses qu'il ait entendues de la journée. "J'aurais pu t'emmener dans un endroit plus... classe. Mais y'a une certaine Jordan qui a peur des paparazzi." Je croise les bras. "Ferme ta bouche et roule." La voiture glisse silencieusement sur la route. Après quelques minutes, il jette un regard de côté. "Ta tête, ça va maintenant ?" Je fronce les sourcils. "Quoi ?" "Le ballon. L'autre jour." Son expression est étrangement sérieuse. "Désolé pour ça." Je cligne des yeux, surprise par cette soudaine sincérité. "Ah, donc t'es capable de t'excuser ?" "Quand je merde, oui." Je soupire, sentant une partie de ma colère s'évaporer. "Voilà, il était temps. Merci de demander. Et oui, monsieur Lacroix, je vais mieux. Sinon je serais pas là à bavarder avec toi comme une débile." Il sourit, vraiment, sans moquerie cette fois. "Parfait. Alors on va où ?" Je lève un sourcil. "C'est TOI qui m'as forcée à venir !" "Ouais, mais c'est TOI qui décides où on mange." Il jette un coup d'œil rapide à ma réaction. "À moins que t'aies peur de choisir..." Je serre les dents. "T'es un malade." Il appuie sur l'accélérateur. "Et toi, t'es en train de sourire." Je claque ma main sur ma bouche. --- Contre toute attente, il m'a emmenée dans un petit resto italien discret, niché au fond d'une ruelle. Pas de photographes, pas de fans hurlantes - juste une ambiance chaleureuse et une terrasse tranquille. "Comment t'as trouvé cet endroit ?" je demande en m'asseyant. Il hausse les épaules. "Quand tu fais du foot pro, tu apprends vite où aller pour éviter les regards." Le serveur apporte une carafe d'eau et des menus. Il me regarde parcourir le mien avec intensité. "Tu sais", il commence, jouant avec son verre d'eau, "je voulais juste m'excuser pour cette conne qui t'a envoyé des messages racistes." Je lève les yeux. "T'as pas à t'excuser pour les connes du monde entier." "Non, mais..." Il hésite, ce qui est étrange pour quelqu'un d'habituellement si sûr de lui. "Je voulais te montrer que je suis pas comme ça. Que je suis pas juste le gars qui t'a mise dans la merde avec une balle dans la tête." Je repose mon menu. "Pourquoi ?" "Pourquoi quoi ?" "Pourquoi tu t'embêtes ?" Je plonge mon regard dans le sien. "T'as des millions de fans, de filles qui rêveraient d'être à ma place. Pourquoi tu t'accroches comme ça ?" Il soutient mon regard sans flancher. "Parce que t'es la première personne depuis longtemps à me traiter comme un mec normal. Pas comme une star, pas comme un ticket gagnant. Juste... comme Enzo." Je reste silencieuse, surprise par cette réponse. "Et aussi", il ajoute avec un sourire malicieux, "parce que t'es la seule à m'avoir appelé 'attardé scolaire'. Ça m'a fait rire." Je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour. "T'es vraiment bizarre." "Ouais, je sais." Le serveur revient pour prendre nos commandes. Il choisit des pâtes, moi une pizza. Quand le serveur s'éloigne, il me regarde sérieusement. "Alors, on est amis ?" Je prends une gorgée d'eau, réfléchissant à ma réponse. "On va dire... qu'on est deux personnes qui partagent un repas. On verra pour la suite." Il sourit, comme si c'était la meilleure réponse possible. "Ça me va." La lumière tamisée du restaurant italien joue sur les traits d'Enzo tandis qu'il repose sa fourchette après avoir englouti la moitié de ses pâtes carbonara. Son regard curieux se pose sur moi, et j'ai su immédiatement qu'une question embarrassante se prépare à franchir ses lèvres. "Alors, Jordan..." Il traîne volontairement sur les syllabes de mon prénom. "Je me demandais... Pourquoi ce prénom ?" Je plisse les yeux, suspicieuse. "Qu'est-ce qui te fait dire ça ?" "Allons, c'est un peu particulier comme prénom pour une fille, non ?" Un sourire malicieux étire ses lèvres. "Ça explique peut-être pourquoi tu t'habilles toujours en survêt' et baskets. Comme si tu voulais prouver quelque chose." Ma fourchette claque contre mon assiette de pizza. "Écoute-moi bien, Lacroix. D'abord, je m'habille comme ça parce que c'est pratique, confortable, et que je m'en fous du regard des autres. Ensuite..." Je fais une pause dramatique. "Si tu veux vraiment connaître l'histoire derrière mon prénom, prépare-toi à une leçon de culture foot et d'obstination paternelle." Je vide mon verre d'eau d'un trait, sentant son regard attentif peser sur moi. "Mon père - le plus grand fan d'Abedi Pelé que la terre ait porté - avait décidé que son premier enfant porterait le nom de son idole. Peu importe que ledit enfant soit une fille." Il écarquille les yeux, visiblement amusé. "Attends... Il voulait vraiment t'appeler Abedi ?" "Abedi Ayew Koné, oui." Je fis une moue théâtrale. "Imagine le carnage dans les cours de récré. Heureusement, ma mère a menacé de divorcer et de retourner en Côte d'Ivoire si mon père s'obstinait." Je vois les épaules d'Enzo trembler de rire silencieux. "Alors comment êtes-vous arrivés à Jordan ?" "Compromis familial." Je compte sur mes doigts. "Mon père voulait absolument un hommage à Abedi Pelé, ma mère refusait catégoriquement de m'appeler comme un joueur de foot ghanéen. Solution ? Jordan Ayew, le fils d'Abedi Pelé. Comme ça, on restait dans la lignée footballistique, comme dit mon père." Il se penche en avant, les coudes sur la table. "Et ta mère a accepté ?" "À condition que mon deuxième prénom soit Aïssatou, comme ma grand-mère maternelle." Je hausse les épaules. "Résultat : Jordan Aïssatou Koné. Un mélange de traditions ivoiriennes et de passion foot." Un silence s'installe tandis qu'Enzo digére cette information. Son expression change subtilement, passant de l'amusement à quelque chose de plus... respectueux ? "Donc en gros," il articule lentement, "toute ta vie, t'as dû te battre contre les préjugés. Un prénom de garçon, une passion typiquement masculine..." "Et une incapacité totale à porter des talons sans trébucher, oui." Je tente de détendre l'atmosphère, gênée par son regard trop perspicace. Mais il ne se laisse pas distraire. "C'est pour ça que tu es comme ça." "Comme quoi ?" "Têtue. Indépendante. Plus coriace que la moitié des gars de mon équipe." Un sourire joueur illumine son visage. "T'as passé ta vie à prouver que tu mérite ton prénom et ta place sur le terrain." Je sent une chaleur monter à mes joues. Cette façon qu'il a de voir à travers moi était à la fois exaspérante et... étrangement réconfortante. "Tu psychanalyses trop, Lacroix. Je suis juste moi." "Juste toi." Il répéte ces mots comme s'ils avaient un goût particulier. "Une fille qui porte le nom d'une légende du foot et qui pourrait probablement me surpasser au baby-foot." Je levai un sourcil. "Probablement ?" Il éclate de rire, ce rire franc et contagieux qui semblait remplir tout l'espace autour de nous. "Bon, d'accord, certainement. Mais ça reste à prouver." "Tu as un baby-foot ?" "Bien sûr." Ses yeux pétillent de défi. "Chez moi. Si t'as le courage de venir." Je le fusille du regard, mais un petit sourire trahit mes véritables sentiments. "T'es vraiment insupportable." "Je sais." Il prend une gorgée d'eau. "Mais au moins maintenant, je comprends mieux pourquoi t'es aussi... toi." Le reste du repas se déroule dans une atmosphère étrangement détendue. Nous parlons de foot, bien sûr, mais aussi de nos familles, de nos parcours si différents - lui élevé dans les centres de formation, moi dans les terrains vagues du quartier. Alors que le serveur apporte les desserts (une tiramisu pour lui, une glace vanille pour moi), Enzo me regarde sérieusement. "Tu sais, Jordan... Ton père a eu raison." "De vouloir m'appeler Abedi ?" Je fis une grimace. "Non." Il sourit. "D'avoir cru en toi. D'avoir su que tu serais une guerrière." Je détourne les yeux, soudain émue malgré moi. "Arrête de dire des conneries et mange ton dessert." Mais alors que je plonge ma cuillère dans ma glace, je ne peux m'empêcher de penser que, pour la première fois depuis longtemps, quelqu'un semble vraiment me comprendre. Et cette personne se trouvait être, contre toute attente, Enzo Lacroix, la star du foot français.Chapitres 32 Quelques semaines se sont écoulées depuis que mes parents sont allés régler les choses chez les parents de Mehdi. L'atmosphère à la maison est enfin apaisée, même si je garde en mémoire l'image surréaliste de Mehdi à genoux dans notre salon, poussé par sa mère marocaine à présenter des excuses solennelles. Une scène tellement typique des familles maghrébines - où l'honneur et le respect priment sur tout. Ce samedi après-midi, notre salon ressemble à une petite tribune de stade. Mes parents, Lucas, Michael et moi sommes regroupés devant notre écran plasma, des bols de chips et de cacahuètes posés sur la table basse. "Regardez ! Le voilà !" s'exclame Lucas en désignant l'écran où l'équipe s'échauffe. Mon cœur s'accélère instantanément. Je vois Enzo en maillot bleu et grenat du Barça, et cette vision me semble encore irréelle. Ses épaules paraissent plus larges sous ces couleurs, son regard plus déterminé que jamais. "Il commence sur le banc," remarque mon père en siro
Chapitre 31 Les heures qui ont suivi l'incident au centre d'entraînement ont été un véritable enfer. Mon téléphone n'a pas arrêté de vibrer - une avalanche de notifications, d'appels manqués, de messages de soutien mêlés à une curiosité malsaine. Les réseaux sociaux étaient en feu. La vidéo tournait sous tous les angles : "Lacroix s'embrouille avec un fan", "La star de l'OM dans une altercation violente", "Le nouveau scandale du prodige marseillais".J'ai fini par éteindre mon portable, incapable de supporter cette frénésie plus longtemps. Mes parents sont partis chez les parents de Mehdi pour "régler cette affaire une bonne fois pour toutes", comme l'a déclaré mon père avec une grimace sévère avant de partir. Je les imagine, assis dans le salon des parents de Mehdi, à siroter un café bien trop chaud en écoutant les excuses gênées de parents visiblement dépassés par leur fils.Je tourne en rond dans le salon, les bras serrés autour de moi comme pour me contenir. Clara n'est pas en vi
Chapitre 30 Le soleil tape dur sur le terrain synthétique, créant des miroirs de chaleur qui dansent à l'horizon. Je cours après le ballon, les cheveux collés à mon front par la sueur, mais impossible d'effacer le sourire idiot qui me tire les lèvres depuis ce matin."Koné ! T'as dormi sur ton ballon ou quoi ?" Lucas rigole en m’interceptant avec une facilité agaçante.Je lui renvoie le ballon un peu trop fort, le faisant grimacer en le réceptionnant. "Désolée ! J'suis... distraite aujourd'hui."Il s'approche, essoufflé, son t-shirt déjà trempé. "Distraite ? T'as souri bêtement quand t'as raté ta passe tout à l'heure. Et là, tu viens de dire 'pardon' au poteau que t'as percuté." Il plisse les yeux. "T'as fumé quelque chose ?"Je pouffe de rire en tapotant le ballon du pied. "Pire. Je suis complètement stone d'amour."Il s'arrête net, le ballon roulant loin de lui. "Sérieux ?" Son visage s'illumine d'une curiosité malicieuse. "Raconte ! C'est qui le chanceux ? Pas Mehdi, j'espère ? Pa
Chapitre 29 Mon souffle est encore court, ma peau brûlante là où les mains d'Enzo se sont posées. Je me blottis contre lui, le front appuyé contre son épaule, incapable de bouger. La voiture est remplie de notre odeur mêlée, de chaleur, de ce moment parfait qu'on vient de voler au monde. — Reste comme ça, murmure-t-il en déposant un baiser dans mes cheveux. Je ferme les yeux, savourant l'instant. Puis mon téléphone vibre. Je grogne. — Laisse, souffle Enzo, ses lèvres descendant le long de mon cou. Mais l'appel insiste. Je tends une main tremblante vers mon sac, fouillant sans regarder. Quand je vois "Maman" sur l'écran, mon estomac se retourne. — Oh non... Enzo lève un sourcil. Je lui lance un regard avant de répondre, m'efforçant de contrôler ma voix : — Allô maman ? Le chaos. — JORDAN KONÉ ! TU ES OÙ ? La voix de ma mère perce mes tympans. En arrière-plan, j'entends mon père : "Calme-toi, chérie !" et des bruits de vaisselle remuée. — Je... je suis avec C
Chapitre 28"Jordan... c'est quoi ça ?"Mon cerveau tourne à plein régime. "C'est... euh... une allergie !" Je touche la marque comme si ça me faisait mal. "Clara a changé de lessive, et apparemment, mon cou a pas aimé du tout." Ma mère plisse les yeux, l'air sceptique. "Une allergie. À la lessive. Qui fait exactement la forme d'une bouche." "Oui, c'est... euh... bizarre, je sais." Je détourne les yeux vers les courses encore posées sur le comptoir. "Tu veux que je range ça ?" Elle hésite une seconde, puis soupire. "Range les courses, oui. Et après, tu m'expliqueras cette allergie, si c'est grave on ira à l'hosto." Je m'empresse d'attraper les sacs, espérant que le sujet soit oublié d'ici là. "Je comptais me faire à manger, en fait..." Elle éclate de rire. "Faire à manger ou t'empoisonner, Jordan ? Non, range les affaires, je te prépare un petit truc."Je m'exécute en silence, rangeant les conserves et les légumes tout en sentant le regard inquisiteur de ma mère dans mon dos.
Chapitre 27 L'eau de la douche ruisselle sur ma peau encore sensible. Je ferme les yeux pour laisser les souvenirs me submerger - ses mains sur mon corps, ses lèvres parcourant chaque centimètre de ma peau, cette façon qu'il a de murmurer mon nom quand..."T'as l'intention de rester là toute la journée ?" La voix d'Enzo me fait sursauter. Il écarte le rideau de douche avec un sourire coquin aux lèvres. "Parce que si c'est le cas, je peux te tenir compagnie."Je rougis malgré moi en voyant son regard parcourir mon corps nu. "T'es insupportable." Mais je ne peux m'empêcher de sourire. "Et passe-moi une serviette, espèce de pervers."Il attrape une serviette me la tend en profitant pour déposer un baiser sur mon épaule encore mouillée. "T'as vu l'état de ta robe ?"Je jette un œil vers le vêtement en boule dans un coin. La fine robe en soie que j'avais enfilée hier soir est méconnaissable, la fermeture éclair arrachée, le tissu légèrement déchiré sur un côté. "Putain, Lacroix ! C'était