Léna
Je suis partie.
Mes jambes m’ont portée hors de cet appartement, loin de lui, loin du piège qui se refermait autour de moi.
Mais la liberté a un goût amer.
Car je sais que ce n’est qu’une illusion.
Alexios a imprimé sa marque dans mon esprit, dans ma peau, dans mon souffle. Partir ne change rien.
Je le sens encore.
Son regard sur moi.
Son murmure contre ma peau.
Ses doigts effleurant mon cou, frôlant mon pouls avec une précision troublante.
Comme s’il écoutait battre mon sang.
Je frissonne en marchant dans les rues désertes, le cœur au bord des lèvres.
Il n’a rien fait.
Rien d’irréparable. Rien d’inacceptable.
Et pourtant, il m’a volé quelque chose.
Je ne sais pas quoi.
Je ne sais pas si je veux le récupérer.
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L’appartement me semble fade en comparaison du sien.
La lumière crue du plafonnier, les murs vides, les meubles impersonnels.
Un lieu de passage.
Un abri sans âme.
Je referme la porte derrière moi et m’appuie contre le bois, tentant de calmer le chaos en moi.
Respirer.
Oublier.
Je ferme les yeux.
Mauvaise idée.
Son visage me revient aussitôt.
Ses prunelles trop noires, trop intenses.
Sa voix, grave, caressante.
Ses mains, glaciales, brûlantes.
Un gémissement de frustration m’échappe, et je me redresse brusquement.
Je ne vais pas le laisser me hanter.
Pas lui.
Pas un homme que je ne connais même pas vraiment.
Je file sous la douche, laissant l’eau brûlante me laver de cette sensation, de cette nuit.
Mais l’eau ne suffit pas.
Elle ne peut pas effacer ce qu’il a laissé en moi.
Je suis marquée.
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Trois jours passent.
Trois jours à l’éviter, à prétendre que je peux l’effacer.
Je sors, je travaille, je parle à des gens.
Je redeviens la Léna d’avant.
En apparence.
Mais la nuit, c’est une autre histoire.
Je me retourne dans mon lit, incapable de trouver le sommeil.
Quelque chose me ronge.
Un manque.
Une absence.
Je serre les poings sous les draps, furieuse contre moi-même.
Il ne m’a rien fait.
Pourquoi est-ce que je ressens ça ?
Pourquoi ai-je l’impression qu’un fil invisible me relie à lui ?
Pourquoi ai-je envie de…
Non.
Non.
Je ne suis pas ce genre de femme.
Je ne suis pas de celles qui se laissent posséder.
Je refuse.
Je me lève d’un bond, enfilant un sweat et des baskets.
Je vais marcher. Respirer. L’oublier.
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La ville est calme à cette heure.
Les rues sont désertes, les lumières des réverbères créent des ombres mouvantes sur le bitume.
Je marche vite, espérant que l’air frais chassera cette sensation dans ma poitrine.
Mais je ne suis pas seule.
Je le sens avant même de le voir.
Un frisson me traverse, instinctif.
Mes pas ralentissent.
L’air est plus lourd.
Lui.
Je me retourne lentement.
Alexios est là.
Détendu, appuyé contre un lampadaire, comme s’il m’attendait.
— Tu ne devrais pas être ici.
Sa voix est calme.
Je croise les bras, masquant le tumulte en moi.
— C’est une ville libre, non ?
Un sourire effleure ses lèvres.
— Libre… Il répète le mot comme s’il le trouvait amusant.
Il s’avance.
Je ne recule pas.
Mais mon cœur, lui, bat trop vite.
— Tu me suis ? demandé-je, accusatrice.
— Non.
Son regard me transperce.
— C’est toi qui es venue à moi.
Je fronce les sourcils.
— Tu es fou.
Il penche la tête, comme un prédateur qui analyse sa proie.
— Alors dis-moi, Léna… Pourquoi es-tu ici ?
Je cherche une réponse.
Je n’en trouve aucune.
Ou plutôt… je refuse de l’admettre.
Alexios s’approche encore, son ombre m’engloutissant.
— Trois jours.
Sa main frôle mon poignet, un contact infime, et pourtant je me fige.
— Trois jours que tu essaies de m’oublier.
Ma respiration se bloque.
— Trois nuits que tu rêves de moi.
Son murmure me cloue sur place.
— Comment tu…
Il sourit.
— Je le sais.
Un vertige me prend.
C’est impossible.
Il ne peut pas savoir.
Il ne peut pas sentir ce feu en moi, ce besoin que je combats chaque seconde.
— Laisse-moi tranquille.
Ma voix tremble, minuscule.
Son sourire s’efface.
Il s’arrête.
Puis, contre toute attente, il recule d’un pas.
L’espace entre nous devient insupportable.
— Dis-le, Léna.
Sa voix est plus grave, plus rauque.
— Dis-moi que tu ne veux pas de moi.
C’est
un défi.
Un piège.
Il me fixe, patient. Attendant ma réponse.
Je serre les poings.
Je pourrais mentir.
Je devrais mentir.
Mais aucun mot ne franchit mes lèvres.
Parce que la vérité est là, brute, indéniable.
Et Alexios le sait.
LénaLa nuit est tombée depuis longtemps.Mais dans la maison, la lumière reste allumée.Il ne fait pas particulièrement froid, mais une couverture est posée sur le canapé. Le feu crépite doucement dans la cheminée, dégageant une chaleur douce et rassurante. Le tic-tac régulier de l’horloge rythme le silence.Kaël lit, allongé sur le canapé, les jambes croisées, les cheveux en bataille, concentré. Ses sourcils sont froncés, sa main joue distraitement avec la couverture. Il ne me voit pas, plongé dans son roman. Le monde pourrait s’effondrer qu’il ne lèverait pas les yeux.Alexio est à la table, penché sur son ordinateur. Il porte ses lunettes, celles qu’il ne met qu’à la maison, celles qui glissent toujours un peu sur son nez et qu’il refuse de changer. Une tasse de thé fume doucement à côté de lui. Il tape, s’arrête, relit. Son regard est plus serein qu’avant. Moins hanté.Et moi… je les observe.Pas comme une étrangère. Pas comme une rêveuse.Comme une femme qui sait ce qu’elle a tr
LénaIl y a un goût de lumière dans la brume du matin.Comme une promesse trop fragile.Une clarté timide, qui hésite encore à se poser sur nos peaux marquées.Mais il y a aussi cette tension, fine, presque imperceptible.Comme une corde trop tendue, prête à se rompre au moindre faux pas.Le retour est silencieux.Pas hostile. Pas triste. Mais suspendu.Le chemin jusqu’à la maison est ponctué du bruit mou de nos pas sur la terre sèche, craquelée, mêlée de feuilles mortes.Nos corps sont encore lourds de fatigue, de plaisir, de ce trop-plein d’intensité qu’aucun mot ne saurait décrire.Et pourtant, déjà, je sens l’inévitable se frayer un chemin.Le quotidien.Ses habitudes, ses horaires, ses attentes.La normalité comme une pluie tiède après la tempête.Et avec lui, cette peur.Qu’il broie ce qu’on vient de créer.Qu’il efface, sans pitié, les traces brûlantes de la forêt.Dans la cuisine, Kaël prépare du café.Ses gestes sont lents, précis. Il mesure, il verse, il attend.Alexio fouil
LénaLe sentier est glissant sous mes pieds mouillés. Kaël tient ma main.Alexio marche derrière moi, sa paume dans le creux de mon dos, ancrée, chaude, rassurante.Nous ne disons rien. Pas encore. Pas tout de suite.Il y a ce silence qui n’est pas vide, mais plein de tout ce que nous venons de vivre.Mon corps flotte encore, engourdi d’eux.Gorgé de leurs caresses, de leur souffle contre ma peau, de leur tendresse comme un feu qui ne consume pas, mais éclaire.Ils m’ont prise, oui. Ensemble.Mais sans jamais me déposséder.Je ne suis pas un terrain conquis.Je suis un territoire qu’ils apprennent à aimer, à comprendre, à explorer avec soin et respect.Et dans leurs gestes, dans leurs murmures, il n’y avait ni avidité, ni prise, seulement une offrande réciproque.Lorsque nous atteignons la clairière, les premiers oiseaux chantent.Tout est encore humide, lavé de la nuit.Les feuilles gouttent doucement, comme des larmes légères, et l’air sent la terre, la sève, la promesse.Je m’arrêt
LénaLe soleil grimpe lentement, mais son feu n’a rien à voir avec celui qui coule en moi.Chaque pas que je fais entre eux est un vertige.Leur peau frôle la mienne, leurs mains se croisent dans mon dos, sur mes hanches, sur mes épaules.Il n’y a pas de mot. Il n’y en a plus besoin.Le silence est devenu langage, le souffle est promesse.Leurs regards me suivent comme une caresse. Alexio, d’un brun tempétueux. Kaël, d’un or calme et profond.Deux flammes contraires, et je suis l’étincelle au centre.Ils s’approchent comme on s’approche d’un secret, d’une offrande, d’un serment ancien.J’ai la gorge nouée d’envie. D’attente.D’amour.Nous atteignons un petit recoin caché, là où la rivière s’élargit en une vasque claire, cerclée de rochers tièdes.Les arbres penchent leurs branches au-dessus de nous, comme s’ils voulaient nous protéger, ou simplement nous voir.Le vent est léger. L’ombre danse sur nos peaux.Alexio me pousse doucement, sans brusquerie, mais avec cette tension sous-jace
LénaQuand j’ouvre les yeux, la première chose que je sens, c’est la chaleur.Pas celle du soleil il dort encore derrière les collines, enveloppé dans sa couverture de brume mais celle de deux corps qui m’entourent.Alexio dans mon dos. Kaël face à moi.Deux présences. Deux rythmes. Deux cœurs battants.Et moi, au centre, comme l’épicentre d’un monde qui ne s’effondre plus.Je ne bouge pas tout de suite.Je savoure.Le silence est encore là, mais il n’est plus un refuge. Il est un écrin.Tout est calme, doux, suspendu.Une parenthèse après la guerre, une île après le naufrage.Je ferme les yeux à nouveau, un instant.Juste pour sentir.Le souffle d’Alexio sur ma nuque, lent, régulier, comme une berceuse ancienne.Ses bras m’enserrent comme une promesse faite dans une langue oubliée.Et Kaël, tout près, les paupières encore closes, tient toujours ma main dans la sienne.Il ne l’a pas lâchée. Pas une seconde. Même dans le sommeil, il s’accroche à moi comme à une vérité.Sa peau est chau
LénaLa journée a passé comme un souffle tiède, une respiration lente après une apnée interminable.Kaël s’est levé. Pas vite. Pas sans douleur. Mais il s’est levé.Et dans ce geste simple, il y avait un monde entier qui renaissait.Alexio l’a soutenu sans un mot. Moi, je l’ai regardé comme on regarde un miracle qu’on n’ose pas toucher.Nous avons marché un peu. Trois ombres entre les arbres calcinés, la terre encore tiède de magie, de guerre, de peur.Mais la Brèche est refermée. Le ciel ne saigne plus.Le monde panse ses plaies, et dans ce silence nouveau, on entend à nouveau la vie. Un oiseau. Une brise. Une rivière qui coule quelque part.Des choses simples. Des choses qu’on croyait perdues.Nous n’avons presque rien dit.Le silence n’était plus pesant. Il était doux. Comme un murmure ancien que seuls les cœurs battants savent entendre.La nuit est tombée lentement, sans brutalité, comme une couverture sur nos épaules fatiguées.Nous avons installé les couvertures côte à côte, sur