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Chapitre 5 — Là où les destins se croisent

Author: Eternel
last update Last Updated: 2025-07-18 23:19:04

Élise

Le tram est bondé une odeur d’humidité, de sueur et de plastique brûlé flotte dans l’air, mêlée au son strident des freins et aux grincements métalliques. Je m’accroche à la barre centrale, mon dossier serré contre moi, mes mains moites.

Mon cœur bat trop fort, trop vite. Comme si je marchais vers quelque chose d’irrémédiable.

L’entretien est aujourd’hui.

Le deuxième , le premier n'a pas eu lieu . J'espère que ce deuxième sera le bon .

Je ferme les yeux un instant. Je pense à Mamie qui m’a bénie avec du sel et du citron ce matin, à Maman qui a glissé dans ma poche les derniers billets qu’elle avait, « au cas où ». À leurs regards. Pleins d’attente. De peur. De foi.

Je respire profondément. Mais l’air ne rentre pas bien.

Quand j’arrive devant la tour, j’ai l’impression qu’elle me regarde.

Un colosse de verre et d’acier, froid, impénétrable.

Son reflet déforme la ville, avale le ciel.

Je reste figée quelques secondes sur le trottoir, minuscule face à cette verticalité arrogante.

Puis je pousse la porte.

À l’intérieur, tout est silence, marbre et contrôle. Chaque détail transpire le luxe discret, la perfection froide. Les gens glissent plus qu’ils ne marchent. Personne ne court. Personne ne sourit.

Je me sens étrangère.

Trop visible , trop vivante , je ne suis pas à ma place ici .

On me dirige vers l’ascenseur en silence.

Badge provisoire autour du cou. Nom mal imprimé. Costume emprunté à une cousine qui n’a plus l’âge de s’en servir. Je m’efface dans l’acier brossé de la cabine, retenant mon souffle.

L’ascenseur grimpe , cinquième , onzième , vingtième , trente-troisième . Mes oreilles se bouchent un instant. Le vertige me prend.

Quand les portes s’ouvrent, un couloir épuré se déploie devant moi : bois sombre , parquet silencieux. Tableaux modernes que je ne comprends pas.

Une secrétaire me reçoit avec un sourire d’apparat, figé comme un masque.

— Monsieur Gabriel De Rohan va vous recevoir , installez-vous un instant.

Le nom me glisse dessus sans accrocher. Je m’assois, droite, les mains crispées sur mes genoux. Je récite mentalement mes réponses. Mes années de lutte . Les nuits sans lumière pour réviser. L’angoisse permanente de ne pas suffire.

Je ferme les yeux une seconde. Inspire. Expire.

Puis… la porte s’ouvre et....mon univers se fissure : Je lève les yeux.

Et c’est lui.

L’homme du toit.

Celui que j’ai surpris dans sa nuit, avec son regard chargé de silence et de feu.

Celui qui ne m’a pas dit son nom.

Celui qui a vu en moi ce que personne n’avait jamais regardé.

Et lui aussi me reconnaît. Je le sens. Je le vois. Dans la tension subtile de ses épaules. Dans ce micro-soupir à peine audible. Dans ce silence qui claque comme une gifle douce.

Mais il ne laisse rien paraître.

Il est maître de lui. Parfaitement.

— Mademoiselle Élise Rivière , je présume ? dit-il, posé. Voix grave. Tranchante , inoubliable.

Je hoche la tête. Ma bouche est sèche. Mes doigts tremblent. Je sens mon cœur s’écraser contre ma poitrine comme un oiseau piégé.

Il m’observe longuement, sans détour. Pas comme un recruteur. Pas comme un homme. Comme un prédateur qui jauge ce qui se cache derrière les apparences.

— Vous êtes en avance, note-t-il, en consultant un dossier.

J’entends les feuilles tourner, mais c’est lui que je regarde.

Son costume noir, parfait. Sa montre discrète.

Son visage sculpté, dur et noble à la fois. Rien de doux chez lui. Mais tout attire. Tout retient.

— Vous avez un parcours intéressant, dit-il, le regard toujours fixé sur les lignes.

Il lève les yeux, croise les miens.

— Pas conventionnel, mais intéressant.

Il déroule des phrases neutres. Première de promo. Boursière. Expériences variées. Résilience.

Mais ce n’est pas ce qu’il dit qui me trouble.

C’est ce qu’il ne dit pas.

Le sous-entendu.

La mémoire partagée.

La nuit suspendue sur un toit.

Et ce regard qu’il m’a lancé comme une brûlure.

— … et une volonté de survivre qu’on ne peut pas inscrire sur un CV, mais qu’on reconnaît quand on la voit.

Ses mots me figent. Je sens mes yeux se brouiller. Il sait.

Il m’a reconnue.

Et il me teste.

Je reste droite. Je refuse de baisser les yeux. Pas maintenant. Pas devant lui.

Il referme le dossier.

Silence.

Puis il murmure, plus bas :

— Vous cherchez une place ici parce que vous voulez réussir. Mais ce n’est pas la seule raison, n’est-ce pas ?

Je m’humidifie les lèvres, la gorge nouée.

— Je veux… une vie différente. Pour ma famille et moi.

Il incline légèrement la tête.

— Une vie meilleure.

Je hoche la tête. Il ne sourit pas.

— Vous pensez que je peux vous l’offrir ? dit-il, presque comme une menace.

— Je ne sais pas, soufflé-je.

Je reprends.

— Mais je sais que je suis prête à tout donner pour la mériter.

Il reste immobile quelques secondes. Puis se lève. Grand. Solide. Inébranlable.

— L’entretien est terminé. On vous rappellera d’ici la fin de la semaine.

C’est tout ?

Je me lève, confuse, chancelante.

Mais avant que je n’atteigne la porte, sa voix m’arrête net.

— Et Élise…

Il m’appelle par mon prénom. Lentement. Comme s’il le goûtait.

Je me retourne.

— La prochaine fois, ce sera moi qui poserai les questions… mais aussi qui attendrai les réponses.

Nos regards se croisent. Je sens un frisson me remonter l’échine.

Un feu glacé. Un vertige doux. Un danger délicieux.

Je ne comprends pas ce qu’il veut dire. Mais je sens que ce n’est que le début.

Je sors de son bureau, tremblante.

Et je sais, sans aucun doute, que cet homme est un orage.

Et qu’il m’a déjà prise dans l’œil de sa tempête.

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