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Partie II

Author: Melly
last update Last Updated: 2025-12-23 00:32:52

Lina savait très exactement ce qu’elle ressentait.

Elle n’essayait pas de se convaincre du contraire.

Elle n’appelait pas ça une erreur, ni une illusion passagère.

C’était du désir.

Brut.

Inconfortable.

Impossible à ignorer.

Elle s’était réveillée avec cette certitude ancrée dans le corps, avant même que la raison ne tente d’intervenir. Son ventre s’était noué dès l’instant où elle avait ouvert les yeux. Pas de surprise. Pas de déni.

Seulement cette pensée claire : il m’attire.

Et cette autre, tout aussi nette : ça peut mal finir.

Elle se leva lentement, consciente de chaque sensation. Son corps semblait différent. Plus réactif. Plus tendu. Comme s’il attendait quelque chose.

Elle prit une douche brûlante, non pour se détendre, mais pour calmer cette agitation intérieure. L’eau glissait sur sa peau sans vraiment l’apaiser. Elle ferma les yeux, se remémora son regard, la retenue qu’il avait imposée à son propre geste.

Cette retenue-là l’avait marquée.

Les hommes qu’elle connaissait prenaient.

Lui s’était arrêté.

Et ce détail changeait tout.

Elle s’habilla avec plus d’attention que d’habitude. Pas pour séduire — elle n’en avait pas besoin — mais pour se sentir solide. Ancrée.

Un jean simple. Un pull sombre. Des bottines usées mais confortables.

Elle ne se racontait pas d’histoire : s’il revenait, ce serait parce qu’il le voulait. Pas parce qu’elle aurait provoqué quoi que ce soit.

Cette pensée la rassura à moitié.

Dans la rue, elle observa les visages autour d’elle. Tous semblaient pressés, préoccupés, enfermés dans leurs propres trajectoires. Elle se demanda comment on reconnaissait, chez les autres, le moment précis où quelque chose déraille.

Elle savait que ce qu’elle vivait là était un seuil.

Pas une chute.

Pas encore.

Un point de bascule.

Au café, la routine reprit ses droits. Les commandes s’enchaînaient, les conversations se superposaient. Lina travaillait efficacement, avec une précision presque trop rigide.

Elle était sur ses gardes.

Pas contre lui.

Contre elle-même.

Elle savait qu’elle serait capable d’aller loin. Plus loin qu’elle ne l’aurait cru quelques jours plus tôt.

Et cette conscience la rendait prudente.

À plusieurs reprises, elle leva les yeux vers la porte.

Pas par espoir naïf.

Par anticipation.

Il était possible qu’il ne revienne pas. Elle l’acceptait. Elle ne s’effondrerait pas. Sa vie continuerait, rude mais cohérente.

Mais s’il revenait…

Elle inspira profondément.

Elle ne voulait pas être passive.

Elle voulait choisir.

En fin d’après-midi, une fatigue lourde s’installa. Pas physique. Mentale.

Elle songea à ce que ça impliquait, d’ouvrir la porte à quelqu’un comme lui. À l’écart social. À la domination implicite. À la fascination dangereuse que pouvait exercer un homme qui maîtrisait tout.

Elle n’ignorait rien.

Et pourtant, l’idée de le revoir ne l’effrayait pas assez pour l’éteindre.

Cette lucidité-là lui appartenait.

Quand son service toucha à sa fin, Lina resta un moment immobile derrière le comptoir. Elle rangea les dernières tasses, le geste moins sûr.

Son esprit revenait sans cesse à son regard, à sa voix calme, à la façon dont il semblait voir au-delà de ce qu’elle montrait.

Elle n’était pas naïve.

Mais elle était prête à assumer ce qu’elle ressentait.

Même si ça devait lui coûter quelque chose.

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