Chapitre 2

Point de vue d'Élise

Sur le chemin du retour de l'hôpital, un message s'est affiché sur l'écran de mon téléphone.

« Viens à l'Heure de Velours. On va se rattraper pour notre anniversaire de mariage. »

Il s'en souvenait encore ?

Est-ce que je l'avais mal compris ?

J'ai posé une main sur mon ventre et j'ai murmuré : « Bébé, est-ce qu'on devrait donner une autre chance à ton père ? »

Il n'y avait pas de réponse, bien sûr. Le bébé était encore bien trop petit.

Après un moment d'hésitation, je me suis ravisée et j'ai demandé au chauffeur de faire demi-tour.

L'Heure de Velours était faiblement éclairée, l'air était chargé d'un mélange d'écorces d'agrumes et d'alcools forts.

Dès que j'ai poussé la porte, je me suis figée.

Albert était assis avec Roxane.

Elle inclinait légèrement la tête vers lui, et il lui rendait son sourire facile, si chaleureux et insouciant qu'on avait l'impression que c'était eux qui devaient faire la fête ce soir.

Mes pas se sont arrêtés. Une douleur aiguë m'a serré la poitrine et, pendant une seconde, j'ai failli me retourner pour partir.

Mais Albert me faisait déjà signe, alors je me suis forcée à avancer et à me placer sur le siège en face d'eux.

Albert m'a tendu la main. Sa paume était chaude, le geste était si naturel que mon cœur s'est mis à battre la chamade.

« Roxane veut s'excuser pour ce qui s'est passé avec l'arche de fleurs », a-t-il dit doucement.

Roxane s'est empressée d'intervenir.

« Je suis vraiment désolée, Élise. Je n'ai pas bien planifié les choses et j'ai gâché ta fête d'anniversaire. »

Sa voix était douce comme du miel, mais le regard et le sourire d'excuse qu'elle arborait s'adressaient entièrement à Albert, pas à moi.

J'ai acquiescé et fait un petit sourire poli, ne voulant pas provoquer d'autres problèmes.

« Qu'est-ce que tu veux boire ? Le propriétaire est un de mes amis. Laisse-moi te préparer un cocktail. »

Avant que je puisse répondre, Roxane était déjà debout, se dirigeant à grands pas vers le bar.

Tandis que ses mains passaient d'une bouteille à l'autre, le regard d'Albert suivait chacun de ses mouvements, avec une expression de fierté et d'admiration.

« Même si sa blessure n'est pas complètement guérie, elle a voulu se rattraper elle-même. » a dit Albert. « Tu devrais essayer d'être plus compréhensive. Ne la traite pas comme une ennemie en permanence. »

Il a ouvert une petite boîte en velours et a glissé une bague à mon doigt avec une tendresse toute particulière.

La pierre de lune surdimensionnée a capté la faible lumière, projetant une délicate lueur bleu-blanc qui m'a fait sursauter d'admiration.

Albert a soulevé ma main et a déposé un doux baiser au dos de celle-ci.

« J'allais annoncer notre cérémonie de marquage à la fête. » a-t-il dit doucement. « Ne t'inquiète pas, je me rattraperai. »

Son regard était chaud et tendre, douloureusement familier, le regard dont j'étais tombée amoureuse.

À ce moment-là, tous mes soucis et ma douleur ont semblé s'évanouir.

J'étais perdue dans son regard, prête à lui faire confiance une fois de plus.

« Voilà ! » Roxane est reparue, faisant glisser un cocktail vers moi. « Essaie ça. Je viens d'apprendre la recette. »

Sans réfléchir, j'ai soulevé le verre et j'ai bu une gorgée.

Le bord était saupoudré d'une fine poudre, ce qui lui donnait une texture étrange...

J'ai bu à nouveau, puis je me suis soudain figée.

« Roxane... qu'y a-t-il sur le bord ? » ai-je demandé.

Elle a souri. « De la poudre d'amande ! Juste un peu, ça donne un goût incroyable, non ? »

Mes doigts se sont raidis et le verre a failli me glisser des mains.

« Albert », je me suis étranglée, « je suis allergique aux amandes. Tu le sais. »

Le sourire de Roxane s'est instantanément effacé, et elle m'a jeté un regard acéré.

« Allez, c'est presque rien. Admets que tu ne m'aimes pas et arrête de te cacher derrière tes allergies. »

Albert a cligné des yeux, pris au dépourvu, puis s'est empressé de tenter de m'apaiser.

« Ce n'est qu'une toute petite quantité, il ne se passera probablement rien... Roxane n'était pas au courant de ton allergie alimentaire, tu ne peux pas lui en vouloir. »

Bientôt, ma peau a commencé à me démanger et ma respiration est devenue superficielle.

J'ai attrapé la main d'Albert en haletant.

« Je ne me sens pas bien... Emmène-moi à l'hôpital. »

Roxane a ricané, pris une petite boîte sur le bar et l'a posée devant moi.

« Prends juste deux pilules. Tu fais des histoires pour rien. C'est tellement dramatique. »

J'ai pris la boîte et mes yeux se sont immédiatement posés sur l'avertissement :

Ne pas utiliser pendant la grossesse.

J'ai eu froid dans le dos et j'ai mis les pilules de côté.

« Non, Albert. Je ne prendrai pas ça. Emmène-moi à l'hôpital, s'il te plaît. »

Il n'a pas semblé m'entendre.

Il a ouvert la boîte et a poussé les pilules et un verre d'eau vers moi.

« Je te gâte vraiment. Un si petit problème et tu dois faire une scène ? Dis-moi, pourquoi tu ne les prends pas ? »

Ma vision s'est brouillée. Je ne pouvais pas expliquer.

Je ne pouvais pas risquer qu'il découvre l'existence du bébé.

Les yeux de Roxane sont devenus rouges.

« Tout est de ma faute, Albert. Tout ce que je fais est faux, l'organisation du lieu, l'arche florale, même la préparation du cocktail... »

Elle a regardé Albert, la douleur se lisant sur son visage.

« Je sais qu'Élise ne m'a jamais aimée. J'ai tellement essayé de lui faire plaisir... et c'est comme ça que ça se termine. »

La chaleur des yeux d'Albert a disparu, remplacée par de la glace.

« Élise, prends les pilules. » a-t-il dit. Son ton n'était plus une demande.

Tout en serrant ma gorge gonflée, j'ai secoué violemment la tête.

« Je ne peux pas... À l'hôpital, s'il te plaît... »

« Albert... Je n'aurais pas dû revenir. Je n'aurais pas dû me présenter devant toi. » Roxane s'est soudain enfuie en pleurant.

Albert s'est levé d'un bond, prêt à la suivre.

J'ai attrapé le pan de sa veste en le suppliant : « S'il te plaît... emmène-moi d'abord à l'hôpital... Je t'en supplie... »

Sa voix était glaciale, sans aucune chaleur. « Élise... bravo. Tu mérites un Oscar pour cette performance. »

Il a repoussé mes doigts du tissu d'une pichenette et s'est lancé à la poursuite de Roxane.

J'avais l'impression d'avoir la gorge en feu et je respirais à petits coups, paniquée.

En désespoir de cause, j'ai balayé le verre de la table.

Il a heurté le sol, se brisant en mille morceaux.

Et mon cœur s'est brisé en même temps que lui.