EmilyJe cours.Je cours sans regarder derrière.Mes jambes cognent le sol avec la violence d’un instinct, celui qui ne cherche plus à comprendre mais juste à fuir.Je sens encore ses mains sur moi. Son souffle. Son odeur.Mes pieds nus s’enfoncent dans la boue. Des cailloux déchirent ma plante, mais je ne ralentis pas. Je n’ai pas le luxe de la douleur.Le manoir s’éloigne. Ce palais de marbre et de cendres. Ce tombeau.Je ne sais pas si je pleure ou si c’est la pluie.Le ciel s’est ouvert, presque en colère. Il crache son deuil sur moi.Je me rappelle ses yeux.Pas ceux qu’il avait avant.Ceux d’après.Ce regard sans tremblement.Ce regard qui n’attendait plus rien.Ce regard de roi qui sacrifie pour que l’empire survive, même si l’empire, c’est une ruine vide.Il m’a prise.Il m’a crucifiée contre ce mur, comme s’il voulait faire de mon corps un drapeau planté au sommet de sa victoire funèbre.Et moi, j’ai résisté.J’ai griffé. Mordu. Hurlé en silence.Mais il m’a gravée.Et mainte
LorenzoLe silence après la détonation a une couleur.Un goût.Une odeur.Il ne ressemble pas à ce que j’avais imaginé.Il ne ressemble pas à la paix, ni même à la fin.Il est poisseux, dense, presque physique. Il suinte des murs comme une malédiction, s'insinue dans les pores, s'accroche aux cils, à la gorge, à chaque fragment de ce qu’il me reste d’humain.Je me tiens là, figé.Droit dans mes bottes.Et pourtant, chaque cellule en moi hurle.Lucia gît au sol.Une tache rouge, d’abord modeste, s’étend sous sa tempe comme une offrande sacrificielle.C’est lent, c’est presque gracieux, cette façon qu’a le sang de se répandre comme si même la mort avait voulu la respecter une dernière fois.Elle ne crie pas.Elle ne tremble plus.Et pourtant, c’est moi qui vacille.Je l’ai regardée tomber.Je l’ai vue s’effondrer comme on ferme un livre trop longtemps ouvert sur une page douloureuse.Elle n’a pas résisté.Elle n’a pas fui.Elle m’a regardé. Jusqu’au bout.Et dans son dernier regard, il
EmilyJe l’ai vu dans ses yeux, ce regard impitoyable, glacé, où l’homme et le roi se confondent en une seule décision absolue irrévocable, immuable, lourde du poids de toutes les nuits sans sommeil, de toutes les batailles silencieuses. Ce regard n’avait plus rien d’humain. C’était le point de non-retour. Celui où la moindre hésitation disparaît, où la vie et la mort se confondent dans un instant suspendu.Lucia, elle aussi, avait senti ce changement. Lentement, presque avec une grâce douloureuse, elle avait tourné la tête vers moi. Son regard n’était ni suppliant ni effrayé, mais chargé d’une intensité déchirante qui m’a traversée comme un couperet. Elle ne fuyait pas ; elle me regardait une dernière fois, comme pour me dire que cette histoire, aussi sanglante soit-elle, ne s’éteindrait pas avec elle. Que la flamme continuait de brûler, quelque part entre nous, malgré tout.— Lorenzo... murmura-t-elle d’une voix basse, presque fragile, une tentative désespérée de ramener un peu de r
EmilyJe savais qu’il nous convoquerait.Lorenzo n’aime pas le désordre qu’il n’a pas orchestré.Il sent. Il pressent.Et quand le vent tourne, il appelle les tempêtes à table.Lucia est arrivée avant moi.Elle ne m’a pas regardée. Pas tout de suite.Mais ses épaules étaient droites.Trop droites pour une femme qui recule.Et dans ses yeux, il n’y avait ni défi, ni peur.Il y avait une position.Je suis entrée sans frapper.La pièce était vide d’autres présences.Mais pleine de lui.Lorenzo.Debout.Face à la cheminée éteinte.Le dos tendu.Les poings ouverts mais crispés.Pas un mot.Pas un geste.Pas encore.J’ai fermé la porte derrière moi. Lentement.Et alors seulement, il s’est retourné.Son regard.Pas de colère.Pas de tendresse.Autre chose.Un mélange de lucidité et d’orgueil blessé.Comme s’il voyait pour la première fois la scène qu’il n’avait pas écrite.Il nous a regardées toutes les deux.Pas comme un homme regarde deux femmes.Mais comme un souverain jauge un putsch sil
LorenzoJe suis le roi.Pas par héritage.Par construction.Je n’ai pas hérité d’un trône.Je l’ai forgé.À coups de pactes, de regards, de sang versé dans le silence.Chaque homme que j’ai fait plier, je l’ai regardé dans les yeux.Je n’ai jamais tremblé.Jamais attendu que l’histoire m’accueille.Je l’ai forcée à m’écrire.Et pourtant ce soir…tout semble me glisser entre les doigts.Pas d’un coup.Mais grain après grain,comme un sablier que plus rien ne retient.Je suis debout dans mon bureau.Le feu dans la cheminée s’éteint lentement.Même lui semble me juger.Mourir lentement, sans flamme, comme si ma volonté ne suffisait plus à l’alimenter.Je n’ai pas bougé depuis des heures.Je ne sais plus très bien si je veille…ou si je veille ma propre fin.Il y a des silences plus bruyants que les balles.Et c’est ça que j’entends maintenant.Ce qui gronde, ce n’est pas la haine.C’est l’indépendance.C’est la tentation du pouvoir.Emily.Lucia.Elles ne m’ont pas quitté en fuyant.Elle
LuciaJe n’ai rien dit en sortant.Ni au garde. Ni au silence.Je suis descendue sans un bruit, comme on descend d’un rêve trop dense pour survivre à l’aube.Emily ne m’a pas poursuivie.Elle n’avait pas besoin.Ce qu’elle m’a laissé n’avait pas besoin de mots supplémentaires.C’était là, sous ma peau.Un verdict sans gavel.Un adieu sans départ.J’ai marché longtemps.Les rues étaient désertes.La nuit pesait comme une fièvre qu’on ne peut pas briser.Je sentais mes pas me porter, mécaniques.Mais c’est mon esprit qui saignait.Pas de colère. Pas encore.Plutôt ce vertige ancien, celui qu’on ressent quand le sol commence à refuser de nous appartenir.Je suis rentrée chez moi à pied.Le vent était froid.Pas autant que l’idée que quelque chose venait de basculer et que ce n’était plus moi qui tirais les ficelles.Peut-être ne l’avais-je jamais fait.Peut-être avais-je juste été la ficelle.Je suis restée longtemps dans l’ombre du couloir, la main sur la poignée.Mon front contre le b