LOGINCHAPITRE 23 : LA VIGILANCE DES CICATRICES 2LéoUne pensée glacée, qui n’est pas la mienne, effleure la surface de mon esprit.…solitude… inutile… collectionner… préserver… dans le froid… rien ne se perd… rien ne souffre…C’est la voix du Collecteur. Ou l’écho de son essence. Une logique de musée glacial. Pourquoi se battre ? Pourquoi ressentir ? Pourquoi risquer la douleur, la perte ? Tout peut être saisi, figé, classé. Dans le néant organisé, il n’y a plus de chaos. Plus de mal. Plus de bien non plus. Juste… l’ordre.La tentation est insidieuse. Après la peur, après la lutte, elle offre un repos éternel. Une abdication.Mais au fond de moi, les braises que Cassia a ravivées crépitent. Elles brûlent face à ce froid. La douleur de la perte ? Oui. Mais aussi la fulgurance de la joie. La chaleur du partage. La complexité désordonnée, merveilleuse, de la vie.— Non, je dis à voix haute. Le son est étranglé dans l’air épais. Tu n’auras pas ça. Tu n’auras pas nous.Je marche vers le vase.
CHAPITRE 22 : LA VIGILANCE DES CICATRICES 1LéoLes jours qui suivent sont des jours de veille.Chaque matin, je pousse la porte de la boutique avec une appréhension qui se niche au creux de mon estomac. L’air est-il trop calme ? Trop froid ? L’odeur de terre humide et de vie végétale a-t-elle laissé place à une senteur de cave, de poussière ancienne ? Je vérifie le vase en premier. Toujours à sa place. Ses cicatrices noires ne se sont pas étendues. La lumière qui palpite derrière l’argile est faible, constante, comme un patient sous sédatif. Je pose les doigts à quelques millimètres de sa surface. Je ne sens plus la brûlure du désir frénétique, ni le vide absolu du Collecteur. Je sens une tiédeur résignée, une fatigue immense. C’est presque pire.Le Gardien est toujours sur son socle, enveloppé de lierres plus épais, presque un cocon. Parfois, une lueur verte traverse les interstices des feuilles, un signe de vie lointaine. Il se restaure. Lentement. Il ne parle pas, ne bouge pas. Il
CHAPITRE 21 : L'ARMISTICE DE TERRE CUITELéoLa boutique a un goût de cendres et de peur refroidie.Nous restons un long moment à genoux sur le sol de pierre, Eloise et moi, à regarder le vase. Il ne bouge plus. La lumière qui filtre à travers ses cicatrises a la pulsation lente et régulière d’un cœur en convalescence. Un cœur empoisonné, mais qui bat. Le Gardien gît à quelques pas, sa forme de racine et de pierre immobile, la faible lueur verte de sa propre blessure clignotant par intermittence, comme un indicateur de veille.La fatigue qui m’envahit est totale. Elle n’est pas seulement dans les muscles, elle est dans l’âme. J’ai été vidé, puis rempli à nouveau d’une façon si violente, si lumineuse, que chaque souvenir, chaque sensation, brûle comme une braise sous ma peau. Le froid du Collecteur a disparu, mais il a laissé une ombre fantôme, une méfiance glaciale envers le silence, envers la paix apparente.Eloise est la première à bouger. Ses mains, qui tenaient les miennes, se dég
CHAPITRE 20 : LA GRAINE DANS LA FISSURE 2LéoLe Gardien tourne la tête vers moi. Même dans son agonie, je sens son désespoir, sa désapprobation. C’est une folie.Le vase hésite. La pulsation devient erratique. Puis, une des fissures noires, la plus large, sur la panse, se met à… suinter. Non pas de la lumière, mais de l’ombre. Une ombre liquide, épaisse comme du goudron, qui coule le long de la courbe de l’argile et goutte sur le sol de pierre. Chaque goutte s’étale en une flaque qui absorbe la lumière, créant des taches de non-existence sur le sol.Et de cette ombre, une conscience se tourne vers moi.Ce n’est pas une pensée. C’est un froid. Un froid qui va au-delà de la température, qui gèle l’âme. C’est le regard du Collecteur. Réveillé. Intéressé. Une âme qui s’offre volontairement ? Une curiosité. Un ajout possible à sa collection.Le froid m’enveloppe. Il commence à mes pieds, remonte le long de mes jambes. Ce n’est pas une possession comme celle du Désirant. C’est une annihila
CHAPITRE 19 : LA GRAINE DANS LA FISSURE 1LéoL’équilibre est ténu, une feuille posée sur la lame d’un couteau.Eloise revient, comme promis, tous les jeudis soir. Ses visites sont devenues le seul point d’ancrage dans ma chronologie intérieure. Elle n’entre jamais complètement. Elle reste près de la porte, debout ou assise sur le tabouret que je place pour elle, comme une suppliante devant un autel qu’elle respecte mais ne vénère pas. Nous parlons. De choses simples. Du temps, de la ville qui change, d’un livre qu’elle a lu. Elle me parle de sa vie, de ses petits pas vers la lumière depuis qu’elle a emporté le miroir. Elle a trouvé un travail. Elle regarde les gens dans les yeux. C’est une épopée discrète, racontée à voix basse dans la cathédrale silencieuse du sanctuaire.Je parle peu. Je l’écoute. Sa voix humaine, avec ses hésitations, ses rires étouffés, ses silences pensifs, est une musique que j’avais oubliée. Elle ne pose pas de questions sur la nuit de la vente, sur les vêteme
CHAPITRE 18 : LE SILENCE QUI PRÉCÈDE L’HYMNE 2LéoCe n’est pas l’amour fou de Cassia. C’est quelque chose d’autre. De plus calme. De plus durable peut-être.La fleur ne se fane pas. Je la pose délicatement devant le vase. Elle semble appartenir à ce décor.Ce geste minuscule brise quelque chose en moi. Le désespoir ne disparaît pas, mais il cède un peu de terrain. Je ne suis pas seul. Le temple a ses habitants. Le Gardien. Les échos des Masques d’Ombre, peut-être dissous mais pas oubliés, leur essence faisant partie du lieu. Et l’entité. Cassia sublimée. Elle n’est plus mon amante, mais elle est le cœur battant de tout cela. Et moi, je suis le pont. Le pont a une fonction. Il n’a pas besoin de comprendre la rivière qu’il enjambe.Les jours suivants, une routine nouvelle, étrange, s’installe. Je nettoie. Pas par besoin, mais par rite. Je dépoussière les objets qui ne tromperont plus personne. Je range les vêtements vides dans un coffre en bois que je scelle avec de la cire. Je parle p







