Chapitre Huit :

Je remonte dans ma chambre, le souffle encore court, le cœur battant trop vite, je claque doucement la porte derrière moi, encore secouée par ce que je viens de vivre dehors, et clairement , mon cœur met du temps à redescendre, et mes jambes tremblent encore violemment pendant un petit moment.

Je repense à cette chose… à ces bruits… à cette course insensée en pleine nuit, j’essaie de me convaincre que ce n’était rien, que j’ai pris peur sans raison, mais mon instinct me pousse à me dire le contraire…. Le problème c’est que je suis incapable de dire ce que j’ai réellement entendu ou ressenti dans ces bois, mais ce que je sais, c’est que ce n’était pas normal.

Je me faufile sous la couette sans même me changer, et je me couche sans vraiment m’endormir, la nuit est lourde, l’atmosphère pesante, mon corps est glacé et pourtant je transpire encore, des frissons me parcourent, des images floues s’imposent dans ma tête :

— Des yeux dans l’obscurité.

— Une respiration animale.

— Une peur sourde, et primitive.

Et malgré l’épuisement, je lutte pour ne pas fermer les yeux., mais la fatigue est plus forte , le sommeil m’emporte finalement et m’arrache à nouveau à la réalité, je cauchemarde presque immédiatement : Une silhouette sombre s’approche et me traque entre les troncs, je cours, je tente de me faufiler…Puis des hurlements au loin, le rouge sang de la lune qui éclaire le sol… Et ce loup…Celui-là, encore lui, toujours le même, celui qui a de grands yeux rouges, le pelage noir ébène, et une carrure gigantesque.

Celui qui a des crocs qui brillent a travers la pénombre.

Je me réveille en sursaut, en sueur encore ! Trempée, inondée même dans ma propre transpiration, je me redresse instinctivement sur mon lit, le souffle court, la bouche sèche, mon cœur cogne dans ma poitrine comme d’un avertissement, et par réflexe , je regarde ma montre , et il est 7h23.

Je tends l’oreille, presque immédiatement, j’écoute, et j’entends qu’il y a du bruit en bas, des pas, il me semble, alors , je me précipite hors de mon lit, et me presse pour enfiler des vêtements, sort de ma chambre et descends les escaliers en trombe, mais quand j’arrive en bas, la maison est vide, tout est parfaitement rangé, mais silencieux… Bien trop silencieux, et je constate presque immédiatement qu’une note est posée sur le comptoir de la cuisine, alors, j’attrape le morceau de papier et le lis.

** “ Rdv au port… On revient en début d’après-midi… Profite du soleil , mais ne fais pas de bêtises ma puce. Mamie.” **

Je souris, et au fond de moi, une espèce d’impatience monte rapidement, j’ai cette matinée devant moi, et je ne vais sûrement pas la gâcher, je vais même l’utiliser pour tenter de répondre à toutes ces nouvelles questions que je me pose maintenant.

Alors je remonte rapidement dans la chambre, je m’habille d’un short en jean et d’un petit débardeur , j’enfile ensuite une paire de baskets, et récupère mon sac à dos et à l’intérieur : j’y glisse mon carnet, une bouteille d’eau, une lampe torche, un couteau suisse, et quelques barres de céréales( petit reflex de citadine qui se prépare à une rando), je décide immédiatement d’aller voir cette fameuse réserve, et plus précisément ces fameux loups venus d’un autre temps

Il est clair que je veux comprendre ce qui est la cause de ma fuite d’hier, je veux voir ces loups de mes propres yeux, et je veux aussi me rendre compte par moi-même qu’il n’y a pas de réel danger venant d’eux, alors , je sors de la maison complètement emballée et motivée par la nouvelle aventure qui m’attend.

Je passe par le sentier derrière le jardin, et enclenche-le pas sur un petit chemin de terre, clairement , je ne sais pas trop où se trouve cette réserve, mais je sais que je finirai bien par tomber dessus, je regarde un peu partout autour de moi, et très rapidement, j’aperçois une vieille pancarte rouillée qui indique une direction :

“Réserve - Accès restreint”.

Je suis contente, je suis sur la bonne voie, je continue, j’avance droit devant moi, et puis…D’autres panneaux suivent.

“Danger : Loups sauvages”

Une centaine de mètres plus loin, une autre.

“ Danger !! Ne pas dépasser cette limite.”

Je me stoppe, relève les yeux sur le panneau et le fixe, mon cœur commence à battre un peu plus fort qu’il ne devrait, car celui là est carrément un avertissement , je détourne le regard droit devant moi , et j’analyse le terrain.

Il n’y a pas de grillages , pas de barrières , pas même quoi que ce soit d’autre qui interdirait l’accès à ce chemin, j’hésite une toute petite seconde , et je décide de continuer… Je n’ai pas fait toute cette marche pour rien, je reprend ma route et à peu près 300 mètres plus loin , une pancarte est plantée en plein milieu du chemin.

“Entrée interdite sans autorisation.”

Mais bizarrement… Je continue, car la vérité est que je ne me rappelais même pas que cette réserve existait , c’est un peu comme si mon esprit l’avait occultée, je ne me souviens pas non plus m’en être approché, pas même quand j’étais enfant, et ça aussi c’est comme un gros vide dans ma mémoire, alors je continue, par curiosité, par envie de savoir ce qui se cache derrière toutes ces pancartes.

Le chemin devient plus étroit, bordé d’arbres immenses, je lève les yeux et remarque que leurs feuillages cachent le soleil, que l’air est plus humide ici, que le silence est plus profond.

Mais soudain, au loin, j’entends un grondement de moteur, ce qui me surprend, je tends immédiatement l’oreille, approche dans sa direction , et c’est là que j’aperçois un 4x4 vert militaire.

Il arrive dans ma direction à travers un autre sentier, à l’intérieur je distincte un homme d’une cinquantaine d’années à peu près, a ses côtés il y a une fille d’une quinzaine d’années je dirais, elle a les cheveux blonds , comme lui, la peau couleur caramel , et elle porte une queue-de-cheval.

Ils ralentissent immédiatement à ma hauteur.

— Tu t’es perdue ?

L’homme me demande ça en baissant sa vitre, je secoue la tête et lui sourit.

— Non… enfin, un peu, je cherche l’entrée de la réserve.

— Je suis la petite-fille de Barthy.

Le nom de mon grand-père fait son effet, il relève les sourcils, et me fixe.

— Tu es la petite fille de Barthy ? Ah bah ça alors. Monte, je vais te déposer.

Je grimpe à l’arrière sans hésiter une seule seconde.

— Moi c’est Thomas, je suis le garde forestier ici, et voici Sasha, ma fille.

Bonne pioche, je tombe sur le garde de la réserve, je m’installe en restant silencieuse quelques secondes.

— Qu’est-ce qui t’amène par ici ?

L’homme redémarre , mais me regarde avec une certaine insistance à travers son rétroviseur, je le fixe, nos regards se fixent, il attend une réponse de ma part, et à son sourcil relevé, il se demande ce que je fou ici.

— Je… j’ai entendu parler des loups… Et de la lune rouge aussi.

— Je voulais voir par moi-même…

Il détourne le regard sur la route , et accélère , mais ne répond rien.

— Et puis aussi… je voulais savoir… si , est-ce qu’il y en aurait pas un , qui se serait échappé récemment ? Par exemple la nuit dernière?

Il jette à nouveau un coup d’œil dans le rétro, et sa fille Sasha détourne carrément la tête vers moi , un silence s’installe, mais je le casse immédiatement en ajoutant :

— Je sais que ça paraît fou, mais…

— Je crois que l’un d’eux est sorti de votre réserve.

Ce n’est plus du silence qu’il reste, non , non… Je crois bien que c’est plutôt un long et gros malaise qui s’installe dans l’habitacle du véhicule, et ils me laissent la drôle d’impression , qu’avec mes quelques questions , j’ai réussi à toucher un point sensible, un point ultra sensible, je dirais même.