Élodie
La journée suivante est un tourbillon, un enchevêtrement d’images et de pensées qui se bousculent dans mon esprit. J’essaie de revenir à ma routine, de me concentrer sur mes articles, mais tout semble dérivé de ma main. Les mots dansent sur l'écran de mon ordinateur sans vraiment avoir de sens. Damien occupe mes pensées comme un poison discret, une substance indétectable qui se glisse dans chaque recoin de mon esprit.
Je le vois partout. Dans le reflet du verre de mon café, dans l’ombre d’un passant dans la rue, dans chaque conversation banale. C’est comme s’il avait imprégné mon environnement de son énergie glaciale et insidieuse. Je suis plus agacée qu’autre chose. Pourquoi suis-je troublée par un homme que je connais à peine ? Un homme que je ne devrais même pas penser une seule seconde.
Mais la vérité me rattrape, aussi dure et évidente qu’une gifle : je ne peux pas m’en détacher. Et plus je lutte contre cette réalité, plus elle semble m’engloutir. Il m’attire, il me hante, il m’invite dans un monde que je n’ai jamais voulu explorer.
Je décide que ce n’est pas moi qui vais céder à ce désir inexplicable. Je suis une femme forte, une journaliste accomplie, je n’ai pas de place pour de telles distractions dans ma vie. Pourtant, lorsque l’invitation de Damien arrive dans ma boîte mail, je me retrouve figée devant l’écran.
Il ne s’agit pas d’un message ordinaire. Pas de banalités, pas de petites phrases enrobées de gentillesse. Juste une date, une heure, et un lieu. Et une phrase, simple et cruelle dans sa clarté : Tu viendras, Élodie. Je sais que tu viendras.
Le défi. Il n’a pas cherché à séduire ou à flatter. Non. Il m’a poussée dans une cage invisible, et il sait que je suis déjà piégée, même si je refuse encore de le reconnaître.
Je ferme les yeux un instant, respirant profondément, cherchant un moyen de reculer. Mais en moi, quelque chose s’agite, une curiosité insatiable, un désir qui brûle lentement sous ma peau. J’aurais pu ignorer son message, ne pas répondre. J’aurais pu l’oublier, comme un mauvais rêve. Mais je sais que je ne le ferai pas. Parce que, au fond, une partie de moi veut répondre à cet appel.
Je me rends. Je m’habille avec soin, plus pour moi-même que pour lui. Ce n’est pas un rendez-vous. Ce n’est pas une soirée ordinaire. C’est une rencontre. Une rencontre avec l’inconnu.
Je m’arrête un instant devant le miroir, analysant mon reflet. Mes cheveux sont soigneusement coiffés, ma robe noire me va comme un gant. Mais je me sens fragile, comme si toute cette apparence n’était qu’une façade. La vraie question n’est pas de savoir si je serai belle ou non pour lui. La vraie question, c’est si je serai capable de faire face à ce qui m’attend.
Le lieu qu’il m’a indiqué est un appartement privé, un endroit discret au cœur de la ville. C’est un monde à part, un monde où la lumière semble plus douce, où l’air est plus lourd. Je sonne à la porte, et elle s’ouvre presque instantanément, comme si Damien savait exactement quand je serais là.
Il m’attend derrière la porte, dans l’ombre. Il ne sourit pas, il ne bouge pas. Il se contente de me regarder, une sorte de défi silencieux dans son regard. Mais ce n’est pas de l’arrogance. Non. C’est autre chose. C’est un calme profond, presque inquiétant, comme s’il savait tout de moi avant même que je ne le sache.
Je me tiens là, dans l’entrée, l’air étrangement froid malgré la chaleur de l’appartement. Je n’ai plus de mots. J’ai l’impression que chaque mouvement, chaque respiration, me trahit. Il me dévisage un instant, sans hâte, comme s’il prenait le temps de lire chaque détail de mon visage. Puis il se détourne sans dire un mot et s’avance dans la pièce, m’invitant silencieusement à le suivre.
Je le suis. Je n’hésite pas, mais je suis consciente de chaque pas que je fais. C’est comme si l’air autour de moi s’alourdissait à chaque mouvement. J’entre dans une grande pièce au décor minimaliste, une décoration qui me frappe par sa simplicité glacée. Les murs sont d’un gris presque blanc, et la lumière tamisée semble s’éteindre dès que mes yeux se posent sur elle. Il y a quelque chose de clinique dans cet endroit, quelque chose qui fait battre mon cœur plus fort.
Damien se tourne enfin vers moi, et dans ses yeux, il y a une lueur d’amusement. Il semble presque lire mes pensées. Il attend que je parle, mais je suis figée, incapable de sortir le moindre mot.
« Tu es venue, » dit-il finalement, sa voix basse mais ferme. « Ce n’était pas une question, Élodie. C’était une certitude. » Il s’approche de moi lentement, et chaque pas qu’il fait vers moi me donne l’impression d’être emportée dans un tourbillon que je ne peux arrêter. « Maintenant, il est temps que tu comprennes pourquoi. »
J’ai envie de reculer, de fuir. Mais une partie de moi, celle que je n’ose avouer même à moi-même, me pousse à rester. Je suis piégée, et je le sais. Et plus je lutte contre cet appel, plus je réalise qu'il n'y a plus de retour en arrière possible.
« Tu n’as pas à avoir peur de moi, » dit-il doucement, sa voix devenant plus chaude, plus intime. « Tu es déjà là. Et tout ce que je vais faire, c’est t’ouvrir les yeux. »
Je veux lui dire quelque chose, protester, m’échapper. Mais aucun mot ne sort. Tout ce que je ressens, c’est cette chaleur qui monte en moi, ce désir que je ne contrôle plus. Et au fond de moi, je sais que tout cela n’est que le début.
Le début de ce qui sera sans retour.
ÉLODIEIl est tôt , très tôt.Le genre d’heure suspendue entre la nuit et le jour, où même le vent semble hésiter à se lever.La chambre est tiède, paisible.Il y a une lumière laiteuse qui filtre entre les rideaux, douce comme une caresse sur la peau nue.Je suis réveillée, mais je ne bouge pas.Pas encore.Son bras m’enlace.Son torse nu, chaud, contre mon dos.Je sens son souffle sur ma nuque, lent, régulier, profondément ancré dans le sommeil.Et moi, pour la première fois depuis que je suis tombée amoureuse vraiment amoureuse je n’ai pas peur.Je ne me pose pas de questions.Je ne cherche pas à fuir avant qu’il ne se réveille.Je ne me prépare pas à l’effondrement.Je suis là : vivante , calme , entière et aimée .Et ce n’est pas un rêve.Je ferme les yeux, mais pas pour m’endormir.Pour m’imprégner.De la chaleur de son corps.De la sensation d’être là où je devais toujours être.De cette vérité que je n’osais pas imaginer : parfois, l’amour ne détruit pas. Il reconstruit.Je me
ÉLODIELa nuit est tombée sans bruit.Pas comme une fin, mais comme un voile doux qu’on tire sur le monde pour en préserver l’intime.La lumière des bougies résiste, crépite, éclaire nos silences sans les interrompre. Elle danse sur les murs, sur les verres vides, sur sa chemise déboutonnée à peine et sur cette bague à mon doigt, irréelle, trop réelle.Le oui flotte encore entre nous.Il est là, dans chaque souffle, dans chaque battement ralenti.Un mot simple.Mais qui a déplacé des montagnes.Je n’ai plus peur.Plus des silences, plus de ses absences passées, plus de moi-même.Il est là.Il n’a pas bougé.Et c’est cette immobilité-là, cette certitude calme, cette promesse muette, qui me donne le vertige.Je me lève.Lentement.Comme si j’avais peur de briser le moment, comme si chaque mouvement devait être un remerciement.J’enlève mes chaussures.J’ai presque envie de pleurer devant la simplicité de ce geste.Parce qu’il n’y a plus rien à cacher.Ni la fatigue, ni les cicatrices, n
DAMIENJ’ai cuisiné toute la journée.Pas pour impressionner, pas pour montrer quelque chose que je ne suis pas, pas pour camoufler les failles ou occuper mes mains non, pas cette fois.J’ai cuisiné comme on écrit une lettre, comme on sculpte une offrande, comme on tremble à l’idée de se montrer tel qu’on est, sans artifice, sans défense, sans fuite.C’était lent.Concentré.Et silencieux.J’ai sorti les bougies, pas les petites pour les coupures de courant, mais celles qu’on n’ose jamais allumer, celles qui prennent la poussière sur l’étagère parce qu’elles brillent trop pour les soirs ordinaires.J’ai repassé la nappe blanche, celle qui n’a jamais servi, que ma mère m’avait donnée en me disant : « Pour une grande occasion », et que je n’avais jamais crue utile avant aujourd’hui.J’ai essuyé les verres en cristal, un par un, les doigts tremblants, comme si j’avais peur de les briser rien qu’en les touchant.J’ai même mis une chemise.Bleue nuit.Pas parce que je voulais être beau.Pa
ÉLODIEJe me réveille la première.Le jour n’est encore qu’une promesse pâle derrière les rideaux clos.Une lumière hésitante, comme si même lui n’osait pas déranger ce qui repose ici.Je reste immobile, respirant à peine, prisonnière volontaire d’un silence plus vaste que la pièce.Un silence qui ne demande rien, qui n’attend rien sauf peut-être d’être habité.Il est toujours là.Et ce simple fait me bouleverse.Sa main repose sur ma hanche, chaude et lourde, comme une ancre.Son souffle est lent, paisible, contre ma nuque.Et son corps, ce corps que j’ai appris à désirer, à toucher, à comprendre dans ses tensions et ses retraits, est encore contre le mien, mêlé au mien, comme s’il n’avait jamais eu l’intention de partir.Comme si, pour une fois, quelqu’un avait décidé de rester.Je ne bouge pas. Je n’en ressens ni le besoin, ni l’envie.Je me contente d’être là.D’écouter le rythme lent de sa respiration.D’accueillir cette étrange sensation de calme un calme qui ne vient pas de l’o
ÉLODIEIl ne m’a pas demandé si je voulais.Il ne m’a pas ordonné non plus.Il m’a regardée.Et dans ce regard, il n’y avait pas de pardon, pas de promesse.Juste une tension brute, une vérité nue, le genre de silence qui vous traverse jusqu’à l’os.Il était là , nu. Vraiment nu.Pas dans son corps dans sa faille.Dans ce qu’il ne pouvait plus contenir.Dans ce qu’il n’avait jamais donné à personne.Et moi, j’ai tendu la main.Pas pour le consoler.Pas pour le réparer.Pour le réclamer.Pas ce qu’il m’offre.Ce qu’il est.Je soulève la couverture, lentement.J’ouvre un espace. Un souffle.Je ne dis rien.Mais il comprend.Il s’approche.Ses doigts ne tremblent pas.Mais son souffle… si.DAMIENJe la regarde.Allongée dans mes draps. Le regard calme. Le cœur à vif.Et je sais.Je sais que si je fais un pas de plus, il n’y aura plus de retour.Plus de barrières.Plus de boucliers.Juste nous.Nus de tout , bruts , blessés.Alors je m’avance.Je me penche.Et je l’embrasse.Pas doucement
DAMIENElle dort.Enfin.Pas un sommeil léger. Pas un refuge.C’est une chute. Un abandon. Un effondrement complet.Elle s’est laissée tomber sur mon lit comme on se laisse mourir un peu sans bruit, sans protestation.Et moi, je n’ai pas bougé.Je l’ai laissée prendre sa place.Pas dans notre lit. Dans le lieu où elle venait de se briser.Je suis resté là, debout, adossé au mur.À la regarder respirer.À la regarder exister.Comme si je ne savais plus comment faire partie du tableau sans l’abîmer davantage.Parce que ce qu’elle m’a donné ce matin… je ne peux pas l’ignorer.Elle a déposé devant moi une vérité sale, nue, sanglante.Elle a osé dire ce que des années de survie l’avaient obligée à taire.Alors ce soir, je n’ai plus le droit de me taire.Je m’assois.À distance d’abord.Comme si j’avais peur de contaminer le silence avec mes souvenirs.Et je parle.— Je ne t’ai jamais parlé de la première.Ma voix est basse. Brûlée.— Elle s’appelait Clara.Je prononce son nom comme on ouv