Élodie
Les secondes s’étirent, s’allongeant jusqu’à en devenir des minutes lourdes. Le silence, tout autour de nous, est presque assourdissant. Je pourrais entendre mon propre cœur battre, son bruit sourd et précipité, martelant mes tympans comme un avertissement. Mais je suis figée. Par quoi ? Par la peur ? L’excitation ? L’angoisse ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que mon corps, mon esprit, tout en moi, crie à l’unisson de ne pas aller plus loin. Mais je suis déjà là. J’ai déjà franchi cette frontière invisible.
Damien se tient devant moi, impassible, tel un prédateur qui connaît sa proie avant même qu’elle ne s’en aperçoive. Son regard ne quitte pas le mien, et chaque mouvement qu’il fait semble calculé, mesuré, comme un geste déjà préordonné par quelque chose de bien plus ancien que nous deux. Il n’est pas pressé, il n’a aucune urgence. Il prend son temps. Et il sait que je le sens.
Je veux dire quelque chose. Crier, peut-être. Ou même m’éloigner. Mais je reste là, totalement absorbée par sa présence, comme un insecte attiré par la lumière. Une lumière glacée, pourtant, que je ne peux ignorer. Chaque fibre de mon être semble attirée par lui, poussée vers lui par une force invisible, une force contre laquelle je n’ai aucune défense.
Il s’avance vers moi, d’un pas lent, mesuré, mais chaque mouvement de son corps est implacable, inéluctable. Il ne demande rien, il n’attend rien. Il sait ce que je ressens avant même que je ne le comprenne. Et il m’invite à le suivre, comme si tout cela n’était qu’une évidence.
Quand il est à quelques centimètres de moi, il s’arrête. Il n’a pas besoin de mots. Ses yeux plongent dans les miens avec une telle intensité que j’ai l’impression de me noyer sous son regard. Tout devient flou autour de moi. La pièce, le décor, même l’air que je respire. Il n’y a que lui. Lui et ses yeux. Ses yeux qui semblent pénétrer chaque recoin de mon âme, chaque parcelle de mon être. Comme s’il y déchiffrait tout, sans laisser une ombre dans l’ombre.
« Tu as peur, » murmure-t-il, une phrase simple, évidente, mais tellement chargée de sens. Il n’a pas tort. La peur est bien là, tapie au fond de moi, mais elle n’est pas seule. À côté d’elle, il y a aussi ce désir que je n’ose avouer, ce désir qui brûle lentement, m’envahit, me consume.
Je me tiens droite, mes mains tremblantes serrées contre mon corps. Il doit voir la lutte dans mes yeux, le combat interne, l’hésitation qui fait trembler chaque muscle de mon corps. Mais il ne dit rien. Il se contente de me regarder, de me sonder, de m’apprivoiser d’une manière que je n’avais jamais vécue.
Je veux répondre, mais ma voix se brise avant de pouvoir se former. Il n’y a pas de retour en arrière. Pas maintenant. Pas avec lui. Et plus j’essaie de m’échapper, plus il m’attire. Comme un aimant. Mais ce n’est pas de la douceur. C’est un pouvoir. Un pouvoir qu’il détient sur moi, un pouvoir auquel je ne peux, ni ne veux, résister.
Il s’approche encore. Maintenant, il est si près de moi que je sens la chaleur de son corps, même à travers la distance de notre peau. Un frisson me parcourt, de ma nuque jusqu’à mes orteils. Il m’effleure à peine, mais l’intensité de son toucher me fait frissonner de la tête aux pieds. « Tu veux savoir ce que je ressens pour toi, Élodie ? » Sa voix est basse, presque un murmure, mais elle résonne dans mon corps comme une déflagration.
Je hoche légèrement la tête, incapable de trouver ma voix. Je sais ce qu’il veut dire. Il ne parle pas seulement de ce qu’il ressent pour moi. Il parle de la façon dont il me contrôle. De la façon dont il me possède, même sans un geste. Il parle du lien invisible entre nous, un lien que je n’ai pas encore pleinement compris, mais qui se tisse lentement, comme une toile dont je deviens l’insecte pris au piège.
Il sourit, un sourire froid, calculé, presque sadique. « Ce que je ressens pour toi, Élodie, c’est... » Il s’interrompt, me scrutant une fois de plus, comme pour mesurer ma réaction. « Ce que je ressens, c’est un besoin. Un besoin de te comprendre. Un besoin de t'explorer, de t'atteindre là où tu te caches, là où tu as peur. »
J’ai envie de fuir. Mais je ne le fais pas. Je reste là, ancrée dans le sol, comme une marionnette suspendue à ses fils invisibles. La tension entre nous est palpable, elle se tisse dans l’air comme une toile d’araignée, serrant lentement tout autour de moi. Et tout en moi sait que, dans cette toile, je suis déjà prise. Peut-être l’ai-je toujours été.
« Tu veux savoir ce que je ressens pour toi ? » Il répète presque la même question, mais cette fois, il s’approche de mon oreille, son souffle chaud se mêlant au frisson qui me secoue. « Ce que je ressens, c’est la certitude que tu m’appartiens déjà. »
Mon corps se tend sous ses mots. Une partie de moi veut le repousser, l’insulter peut-être, lui faire comprendre que ce qu’il dit n’est rien d’autre qu’un jeu, une tentative de me dominer. Mais une autre partie de moi, plus sombre, plus sauvage, me murmure que peut-être il a raison. Peut-être que je suis déjà à lui, que je suis déjà captive de ce regard, de cette aura, de cette attirance indomptable.
Il recule légèrement, mais son regard reste accroché au mien. Il observe chaque mouvement de mon corps, chaque respiration que je prends, comme un professeur étudiant son élève. « Tu ne peux plus m’échapper, Élodie. » Sa voix est presque un chant hypnotique, un murmure qui s’infiltre dans chaque recoin de mon esprit. « Accepte-le. »
Je ferme les yeux un instant, mes mains se serrant davantage, mes pensées en ébullition. Mais, à l’intérieur, une autre vérité émerge, une vérité que je ne peux ignorer. Peut-être qu’il a raison. Peut-être qu’il n’y a plus de place pour la fuite. Peut-être qu’enfin, je suis prête à laisser tomber la résistance.
Quand je rouvre les yeux, je vois son sourire s’élargir, un sourire victorieux. Il n’a pas besoin de mots. Il sait. Il sait que le piège est déjà refermé autour de moi.
« Viens, » dit-il simplement.
Et cette fois, je le suis, sans réfléchir, sans lutter, prête à découvrir ce qu’il a réservé pour moi dans l’ombre de cette pièce.
ÉLODIEJe ne dors pas.Je suis rentrée. J’ai enlevé mes talons, démaquillé mes yeux. J’ai même tenté de manger quelque chose.Mais tout est resté en surface.Comme si mon corps avait réintégré l’appartement… sans moi.Sur la table basse, mon téléphone vibre.Pas un message. Pas un appel.Un mail.L’expéditeur : Secrétariat Lucian ArdentL’objet : Suite à l’entretien de ce jourJe clique. Madame,Monsieur Ardent vous remercie pour l’entretien mené ce jour. Il a grandement apprécié la qualité de votre écoute ainsi que la finesse de votre approche.Si vous êtes disponible, il vous invite à un dîner privé ce vendredi, à 20h00, dans le cadre d’un échange plus informel sur les dynamiques médiatiques et la stratégie politique en période pré-électorale.Lieu : précisé par SMS une heure avant.Tenue de ville.Merci de confirmer par retour de mail.Cordialement,S. Lecourt, assistante particulièreJe relis le message plusieurs fois.Pas une faute. Pas un mot de trop.C’est une invitation parfa
Élodie Le matin est doux.Trop doux.Je m’éveille dans un silence de coton. Les draps froissés autour de moi portent encore la trace de son corps, l’empreinte invisible de ses mains, le murmure de ses soupirs dans mon cou.Mais il n’est plus là.Pas un bruit, pas un froissement.Seule la lumière oblique du matin glisse lentement sur les murs, comme un rappel que le monde continue à tourner avec ou sans lui.Je reste un instant immobile, le regard perdu dans le vide.Je sens encore sa chaleur sur ma peau.Et, plus profondément, ce calme étrange qui m’habite.Pas un vide.Une suspension.Un territoire nouveau.Je me lève, nue sous la chemise qu’il a laissée.Elle porte son odeur cette note sèche et profonde, boisée, presque minérale. Elle m’enveloppe comme une deuxième peau.Dans la cuisine, une tasse de café repose sur le plan de travail, encore tiède. À côté, une note, manuscrite, posée soigneusement. « J’ai dû partir. Tu dormais trop bien pour qu’on t’arrache au silence.Reviens à
ÉVAIl m’a demandé ce que je voulais manger.J’ai répondu : « Surprends-moi. »Mais ce que je voulais vraiment… c’était me laisser faire.Pas seulement pour le dîner.Pour tout.Pour une nuit. Une seule.Me reposer dans les bras de quelqu’un sans lutter, sans réfléchir, sans porter le monde sur mes épaules.Ce soir, je n’ai pas envie de choisir. Pas envie d’exister dans la résistance. J’ai envie qu’il pense pour deux. Qu’il sente pour moi.Qu’il prenne les rênes de ce que je ne sais plus nommer.Et s’il le fait, ce ne sera pas pour me posséder.Ce sera parce que je l’aurai autorisé.Parce que je veux qu’il le fasse.Il m’a dit : « Prends ton temps. »Il ne m’a pas donné d’heure, pas imposé d’urgence. Juste cette phrase simple, qui voulait dire : Viens quand tu seras prête à t’abandonner.Dans la salle de bain, je me suis regardée longtemps.Pas pour corriger quoi que ce soit. Pas pour plaire.Juste pour me reconnaître.Puis j’ai enfilé la robe.Noire. Fluide. Sans soutien-gorge. Sans
ÉvaJe n’ai pas touché mon téléphone.Je sais qu’il y a des messages. Des appels manqués. Des rappels de la vie que j’ai laissée derrière moi, ne serait-ce que pour une nuit.Mais ce matin… ce matin n’appartient qu’à lui. À nous.Et à ce silence qui ne blesse pas. Qui répare.Je m’étire doucement, la tasse encore chaude entre les mains.Son café est fort, un peu amer, mais il a ce goût d’ici.De maintenant.Je l’observe à la dérobée.Il a les cheveux en bataille, les yeux un peu froissés par le sommeil, et ce tee-shirt gris qui lui colle à la peau, laissant entrevoir les lignes de ses épaules.Il ne fait rien pour séduire.Et c’est précisément ça qui me donne envie de l’embrasser jusqu’à lui voler le souffle.— Tu regardes quoi, là ? demande-t-il, un sourire dans la voix.Je lève un sourcil.— Toi , tout simplement . Et je regarde bien , tu es si beau ! Il rit doucement. Ce genre de rire qui dénoue les nœuds qu’on n’avait même pas sentis en soi.— Tu veux sortir un peu ? Marcher ? La
DamienLa lumière s’est glissée entre les rideaux sans bruit.Elle n’a rien forcé. Elle a juste lentement caressé la chambre, comme si elle avait demandé la permission d’entrer.Mais ce n’est pas elle qui m’a réveillé.C’est elle.Pas un mot. Pas un mouvement brusque.Juste sa respiration.Différente.Plus lente. Plus posée. Plus ancrée.Comme si, pour la première fois depuis longtemps, elle s’autorisait à s’abandonner au sommeil sans avoir à surveiller les issues.Elle est là.Encore là.Je me tourne lentement, essayant de ne pas troubler ce fragile équilibre du matin.Elle dort sur le côté, les bras repliés près du visage, une main glissée sous l’oreiller.Ses cheveux retombent en désordre sur son épaule, l’un de ses genoux légèrement replié sous le drap qui a glissé jusqu’à ses hanches.Et moi, je la regarde.Longtemps.Sans rien penser d’autre que : elle est là.Sa bouche entrouverte laisse passer un souffle calme.Son front est lisse. Aucune tension. Aucune trace de cauchemar ou
ÉlodieJe ne sais pas à quel moment exactement mon corps a cessé de fuir.Peut-être au moment où sa mère m’a prise dans ses bras, sans chercher à comprendre, sans poser les mauvaises questions.Peut-être quand son père a souri sans rien dire, juste avec cette neutralité paisible qui m’a rappelé une chose oubliée : on peut exister sans se justifier.Ou peut-être bien avant, ce matin, quand il m’a regardée comme on regarde quelqu’un qu’on ne veut plus jamais perdre, et qu’il m’a demandé de venir.Je regarde ses mains sur le volant.Solides. Calmes.Ses pouces effleurent le cuir, comme si même là, dans la tension d’un retour, il restait maître de lui-même.Il ne parle pas. Pas pour combler. Il attend.Et dans cette attente, il me laisse un espace immense.Ce soir, je le choisis.Quand il gare la voiture, je pose ma main sur son genou.Simple. Claire. Une réponse.Il me regarde aussitôt. Pas avec surprise. Avec certitude. Comme s’il savait que j’étais déjà en train de rester.— On monte ?