ÉLODIEJe ne dors pas.Je suis rentrée. J’ai enlevé mes talons, démaquillé mes yeux. J’ai même tenté de manger quelque chose.Mais tout est resté en surface.Comme si mon corps avait réintégré l’appartement… sans moi.Sur la table basse, mon téléphone vibre.Pas un message. Pas un appel.Un mail.L’expéditeur : Secrétariat Lucian ArdentL’objet : Suite à l’entretien de ce jourJe clique. Madame,Monsieur Ardent vous remercie pour l’entretien mené ce jour. Il a grandement apprécié la qualité de votre écoute ainsi que la finesse de votre approche.Si vous êtes disponible, il vous invite à un dîner privé ce vendredi, à 20h00, dans le cadre d’un échange plus informel sur les dynamiques médiatiques et la stratégie politique en période pré-électorale.Lieu : précisé par SMS une heure avant.Tenue de ville.Merci de confirmer par retour de mail.Cordialement,S. Lecourt, assistante particulièreJe relis le message plusieurs fois.Pas une faute. Pas un mot de trop.C’est une invitation parfa
Élodie Le matin est doux.Trop doux.Je m’éveille dans un silence de coton. Les draps froissés autour de moi portent encore la trace de son corps, l’empreinte invisible de ses mains, le murmure de ses soupirs dans mon cou.Mais il n’est plus là.Pas un bruit, pas un froissement.Seule la lumière oblique du matin glisse lentement sur les murs, comme un rappel que le monde continue à tourner avec ou sans lui.Je reste un instant immobile, le regard perdu dans le vide.Je sens encore sa chaleur sur ma peau.Et, plus profondément, ce calme étrange qui m’habite.Pas un vide.Une suspension.Un territoire nouveau.Je me lève, nue sous la chemise qu’il a laissée.Elle porte son odeur cette note sèche et profonde, boisée, presque minérale. Elle m’enveloppe comme une deuxième peau.Dans la cuisine, une tasse de café repose sur le plan de travail, encore tiède. À côté, une note, manuscrite, posée soigneusement. « J’ai dû partir. Tu dormais trop bien pour qu’on t’arrache au silence.Reviens à
ÉVAIl m’a demandé ce que je voulais manger.J’ai répondu : « Surprends-moi. »Mais ce que je voulais vraiment… c’était me laisser faire.Pas seulement pour le dîner.Pour tout.Pour une nuit. Une seule.Me reposer dans les bras de quelqu’un sans lutter, sans réfléchir, sans porter le monde sur mes épaules.Ce soir, je n’ai pas envie de choisir. Pas envie d’exister dans la résistance. J’ai envie qu’il pense pour deux. Qu’il sente pour moi.Qu’il prenne les rênes de ce que je ne sais plus nommer.Et s’il le fait, ce ne sera pas pour me posséder.Ce sera parce que je l’aurai autorisé.Parce que je veux qu’il le fasse.Il m’a dit : « Prends ton temps. »Il ne m’a pas donné d’heure, pas imposé d’urgence. Juste cette phrase simple, qui voulait dire : Viens quand tu seras prête à t’abandonner.Dans la salle de bain, je me suis regardée longtemps.Pas pour corriger quoi que ce soit. Pas pour plaire.Juste pour me reconnaître.Puis j’ai enfilé la robe.Noire. Fluide. Sans soutien-gorge. Sans
ÉvaJe n’ai pas touché mon téléphone.Je sais qu’il y a des messages. Des appels manqués. Des rappels de la vie que j’ai laissée derrière moi, ne serait-ce que pour une nuit.Mais ce matin… ce matin n’appartient qu’à lui. À nous.Et à ce silence qui ne blesse pas. Qui répare.Je m’étire doucement, la tasse encore chaude entre les mains.Son café est fort, un peu amer, mais il a ce goût d’ici.De maintenant.Je l’observe à la dérobée.Il a les cheveux en bataille, les yeux un peu froissés par le sommeil, et ce tee-shirt gris qui lui colle à la peau, laissant entrevoir les lignes de ses épaules.Il ne fait rien pour séduire.Et c’est précisément ça qui me donne envie de l’embrasser jusqu’à lui voler le souffle.— Tu regardes quoi, là ? demande-t-il, un sourire dans la voix.Je lève un sourcil.— Toi , tout simplement . Et je regarde bien , tu es si beau ! Il rit doucement. Ce genre de rire qui dénoue les nœuds qu’on n’avait même pas sentis en soi.— Tu veux sortir un peu ? Marcher ? La
DamienLa lumière s’est glissée entre les rideaux sans bruit.Elle n’a rien forcé. Elle a juste lentement caressé la chambre, comme si elle avait demandé la permission d’entrer.Mais ce n’est pas elle qui m’a réveillé.C’est elle.Pas un mot. Pas un mouvement brusque.Juste sa respiration.Différente.Plus lente. Plus posée. Plus ancrée.Comme si, pour la première fois depuis longtemps, elle s’autorisait à s’abandonner au sommeil sans avoir à surveiller les issues.Elle est là.Encore là.Je me tourne lentement, essayant de ne pas troubler ce fragile équilibre du matin.Elle dort sur le côté, les bras repliés près du visage, une main glissée sous l’oreiller.Ses cheveux retombent en désordre sur son épaule, l’un de ses genoux légèrement replié sous le drap qui a glissé jusqu’à ses hanches.Et moi, je la regarde.Longtemps.Sans rien penser d’autre que : elle est là.Sa bouche entrouverte laisse passer un souffle calme.Son front est lisse. Aucune tension. Aucune trace de cauchemar ou
ÉlodieJe ne sais pas à quel moment exactement mon corps a cessé de fuir.Peut-être au moment où sa mère m’a prise dans ses bras, sans chercher à comprendre, sans poser les mauvaises questions.Peut-être quand son père a souri sans rien dire, juste avec cette neutralité paisible qui m’a rappelé une chose oubliée : on peut exister sans se justifier.Ou peut-être bien avant, ce matin, quand il m’a regardée comme on regarde quelqu’un qu’on ne veut plus jamais perdre, et qu’il m’a demandé de venir.Je regarde ses mains sur le volant.Solides. Calmes.Ses pouces effleurent le cuir, comme si même là, dans la tension d’un retour, il restait maître de lui-même.Il ne parle pas. Pas pour combler. Il attend.Et dans cette attente, il me laisse un espace immense.Ce soir, je le choisis.Quand il gare la voiture, je pose ma main sur son genou.Simple. Claire. Une réponse.Il me regarde aussitôt. Pas avec surprise. Avec certitude. Comme s’il savait que j’étais déjà en train de rester.— On monte ?