Kaïla
Je suis perdue.
Avant son arrivée, tout avait une place. Une logique. Une douleur sourde, certes, mais familière. Une invisibilité que j’avais appris à chérir, à porter comme une armure. J’étais personne, et cela m’allait.
Mais depuis qu’il est là, plus rien ne tient. Aric. Ce nom, ce regard. Cette présence. Il est comme une tempête silencieuse, il bouleverse tout sur son passage sans même parler. Et moi, je ne suis plus qu’un fragment d’ombre pris dans sa lumière.
Je suis dans cette grande salle, assise à ma place habituelle, mais je me sens étrangère à tout. La meute s’agite, prépare le festin, célèbre son arrivée. Moi, je ne peux que l’observer du coin de l’œil, lutter contre le fait que ses yeux… sont déjà sur moi.
Toujours.
Je baisse la tête, mal à l’aise. Il ne me quitte pas du regard. Il ne dit rien. Il ne bouge même pas. Mais il me voit. Et je déteste ça. Ou plutôt… je ne sais pas comment vivre avec ça.
Est-ce moi qu’il regarde ? Ou ce lien qu’il prétend sentir ? Ce lien dont tout le monde murmure qu’il est ancien, sacré. Trop grand pour une fille comme moi.
Je n’ai pas demandé ça.
Je ferme les yeux un instant, espérant qu’en les rouvrant, tout cela se dissipera. Mais au contraire… je ressens sa présence encore plus fort. Derrière moi. Immobile. Brûlante.
Aric
Elle me trouble cette femelle .
Je devrais être ailleurs. Je devrais discuter avec mes Bêtas, répondre aux attentes de la meute, jouer mon rôle de souverain. Mais je ne peux pas. Mon regard revient à elle, inlassablement, comme si quelque chose d’ancien me tirait vers elle sans que je puisse lutter.
Ce lien.
Je le sens. Puissant. Irréversible. C’est elle. Mon âme sœur. Mon autre moitié.
Mais je ne suis pas prêt.
Et c’est ça, le problème.
Elle est là, si frêle, si fermée. Et moi… je suis censé être fort, sûr, maître de mes instincts. Mais je vacille. Ce lien me consume. Me fait douter. Parce que je sais ce que ça implique. Parce que je sais ce que cela détruit autour de moi.
Ma meute me remettra en question. Et moi, moi-même, je ne suis pas sûr d’être à la hauteur de ce que ce lien exige de moi.
Je la vois tourner la tête. Nos regards se croisent. Et dans ses yeux… il n’y a pas de reproche. Il n’y a que la peur. La douleur d’être choisie sans avoir été désirée.
Et je ne peux même pas la rassurer.
Je fais un pas vers elle.
Puis un autre.
Le silence se fait.
Kaïla
Il s’approche.
Mon souffle se bloque.
Il ne parle pas. Il ne sourit pas. Mais il me regarde avec cette intensité… comme s’il voyait en moi ce que je refuse d’admettre.
Je suis tétanisée. Je voudrais fuir, mais je reste là, figée.
– Mon roi , murmuré-je sans m’en rendre compte.
Il s’arrête. Tout près. Trop près. Il est grand, imposant. Le genre de force qu’on ne peut pas ignorer.
Il tend la main, comme s’il allait me toucher… mais il hésite. Ses doigts tremblent.
Et il la retire.
Aric
Je n’y arrive pas.
Je voulais poser la main sur son bras. Juste ça. Lui dire que je suis là. Qu’elle n’est pas seule.
Mais je n’arrive pas à franchir cette dernière distance.
Parce que je sais. Si je la touche… tout changera. Ce sera scellé. Définitif.
Et je suis lâche.
Je reste là, figé, entre le besoin de la protéger et la peur de la perdre, déjà.
Je la regarde. Ses lèvres sont entrouvertes. Son regard vacille. Et je sais que si je ne dis rien maintenant, je vais la blesser.
– Je… commence-je.
Je ne termine pas.
Je me détourne.
Kaïla
Il recule.
Pas d’un pas entier. Juste un mouvement du corps. Une distance minuscule. Mais suffisante pour que je sente le froid revenir.
Mon cœur se serre.
Il n’a rien dit. Mais tout était dans ce silence. Dans ce geste interrompu.
– Tu ne me veux pas.
La pensée traverse mon esprit comme un poignard.
Mais ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? Il ne m’a pas rejetée. Pas encore.
Alors pourquoi ce vide entre nous ?
Aric
Je me hais.
Elle me regarde encore. Elle ne bouge pas. Elle attend. Comme si elle espérait une réponse.
Je ne peux pas la lui donner.
– Ce lien… est trop fort pour moi.
Pas pour elle. Pour moi.
Je suis souverain, mais je suis faible. Je me cache derrière mes doutes, mes responsabilités. Alors que je sens, dans chaque fibre de mon être, que je devrais être là pour elle. L’élever. L’aimer.
Je reste là, à quelques centimètres.
Et je ne fais rien.
Kaïla
Je comprends.
Il n’a pas besoin de mots.
Je comprends que, pour l’instant, je suis seule. Qu’il ne peut pas m’aimer. Pas encore. Qu’il lutte contre ce lien autant que moi. Mais pas pour les mêmes raisons.
Et pourtant…
Je ne recule pas.
Je le regarde. Et je lui offre ce que j’ai : mon silence , mon attente.
Je suis peut-être faible. Mais je peux être patiente.
Je peux être là. Même si lui ne l’est pas encore.
KaïlaTout est silence, sauf l’appel.Je ne pense pas, je ne décide pas, je ne choisis rien : je cours.Je suis cette impulsion irrépressible, ce courant brutal et sauvage qui me pousse dans les bois, vers les hauteurs, vers l’odeur, vers la source, vers lui.Il n’y a plus de temps, plus d’espace, plus de logique humaine. Il n’y a que cette chose en moi Lyrah, ma louve, mon cri, ma vérité animale qui m’emporte avec elle sans me demander la permission, sans m’expliquer pourquoi, sans me laisser même un battement de cœur pour respirer.Et pourtant je cours.Et pourtant je la suis.Parce qu’en vérité, c’est moi qui veux savoir, moi qui brûle, moi qui ai peur de ce que je vais trouver… et de ce que je ne trouverai peut-être plus jamais.L’odeur est là, omniprésente, écrasante, une chaleur charnelle suspendue dans l’air, entêtante, presque impudique ; c’est lui, c’est Aric, et mon ventre se tord comme si je sentais déjà l’écho d’un désastre que mon cœur refuse encore de croire.Je monte le
AricJe ne dors pas.Pas vraiment.Je suis allongé dans cette chambre que l’on m’a préparée, dans cette maison que je ne connais pas encore, avec la lune qui transperce la fenêtre comme une lame d’argent. Mon corps est calme, mais ma tête… c’est une tempête. Et dans cette tempête, une voix se lève enfin.— Tu es un lâche.Je ferme les yeux. Je ne veux pas l’entendre. Pas encore.— Tu es un roi. Tu es notre Alpha. Et tu n’as pas été capable de lever la main pour elle.Sa voix est grave. Ancienne. Animale. Elle gronde en moi depuis des années, contenue, retenue, enchaînée à mes doutes. Mais ce soir, je ne peux plus la faire taire.Pas alors que Kaïla est là, quelque part, seule, face à la chose la plus terrible qui puisse arriver à une louve : l’éveil sans guide. Sans repère. Sans meute.— Riven, murmuré-je.Le silence me répond d’abord. Puis la bête souffle.— Enfin. Tu m’appelles. Tu m’entends. Il t’a fallu combien d’années ? Et tu continues à faire semblant ?Je me redresse dans le l
KaïlaLa nuit tombe lentement, peignant le ciel de nuances de pourpre et d’encre. Le vent glisse entre les arbres, porte des murmures que seule la forêt comprend. Moi, je reste là, dans l’attente.Quelques heures encore, et j’aurai dix-huit ans.Je devrais être fébrile, impatiente, comme toutes les filles de la meute à l’approche de l’éveil. C’est l’âge de la révélation, le moment où la louve en nous se réveille, prend forme, hurle au monde qu’elle est prête. Mais au lieu d’être envahie d’excitation… je suis vide.Non , pas vide.Je suis brûlante de quelque chose que je ne comprends pas.Une douleur sourde me broie le ventre, me serre la poitrine, monte jusque dans ma gorge. Et cette douleur… c’est elle.Aisha.Elle est là, près de lui , trop près. Je la vois, penchée vers Aric, ses lèvres près de son oreille, ses doigts glissant sans honte sur son bras. Elle rit. Elle sourit. Elle l’effleure comme s’il lui appartenait.Et lui… ne la repousse pas.Pas vraiment.Pas assez.Il garde ce
KaïlaJe suis perdue.Avant son arrivée, tout avait une place. Une logique. Une douleur sourde, certes, mais familière. Une invisibilité que j’avais appris à chérir, à porter comme une armure. J’étais personne, et cela m’allait.Mais depuis qu’il est là, plus rien ne tient. Aric. Ce nom, ce regard. Cette présence. Il est comme une tempête silencieuse, il bouleverse tout sur son passage sans même parler. Et moi, je ne suis plus qu’un fragment d’ombre pris dans sa lumière.Je suis dans cette grande salle, assise à ma place habituelle, mais je me sens étrangère à tout. La meute s’agite, prépare le festin, célèbre son arrivée. Moi, je ne peux que l’observer du coin de l’œil, lutter contre le fait que ses yeux… sont déjà sur moi.Toujours.Je baisse la tête, mal à l’aise. Il ne me quitte pas du regard. Il ne dit rien. Il ne bouge même pas. Mais il me voit. Et je déteste ça. Ou plutôt… je ne sais pas comment vivre avec ça.Est-ce moi qu’il regarde ? Ou ce lien qu’il prétend sentir ? Ce lien
KaïlaJ’ai l’impression de ne pas être moi-même. Tout est flou, comme si l’air autour de moi était trop lourd pour que je puisse respirer correctement. L’incertitude me serre la poitrine. Le regard d’Aric sur moi me déstabilise, m’effraie presque. Je sais que mes pensées se bousculent dans ma tête, mais une part de moi refuse de les écouter. Ce qu’il a dit, ce qu’il a fait, ce n’est pas normal. Il m’a vue, vraiment vue.Je ne sais pas pourquoi cela m'affecte autant. D’habitude, je fuis ces regards, ces attentions. Mais celui d'Aric… il est différent. Il m’enveloppe. Il y a cette chaleur indéfinissable qui émane de lui, une force tranquille, mais pleine de promesses. Je déglutis difficilement et détourne les yeux, incapable de soutenir son regard trop longtemps.Mais au fond de moi, une question persiste : pourquoi est-ce qu’il me regarde ainsi ? Pourquoi moi ? Il est un souverain. Il est puissant, au-delà de ce que je peux comprendre, et moi… je suis juste Kaïla, l’ombre parmi les omb
KaïlaLa journée s’est étirée dans un silence pesant, une lourde atmosphère de fausse convivialité flottant dans l’air. La nuit est tombée, mais elle ne m’a pas apporté de paix. Si seulement je pouvais me défaire de ce sentiment d’étouffement, si seulement je pouvais m’échapper… Mais je suis là, enchaînée par mon propre sang, mes propres liens familiaux, avec une lourdeur dans le cœur que personne ne semble vouloir comprendre.Je m’éclipse dans l’ombre du grand hall de la meute, là où les rires et les voix se font plus lointains, où tout semble plus calme, plus supportable. À cet instant, je ne sais plus si je cherche la solitude pour me soulager de ce fardeau invisible, ou si c’est la solitude qui m’a choisie, m’enveloppant comme un manteau de douleur.Je crois que j’ai juste besoin de souffler un peu, de me retrouver face à moi-même sans ce regard constamment braqué sur moi, sans ces murmures qui me glacent la peau. Un cri éclate soudainement au loin, un rire, peut-être, mais ce n’e