L’épouse invisible

« Mme Cormier, merci pour tout ce que vous m'avez appris au fil des années. Je n'oublierai jamais votre gentillesse. » J'ai tendu ma lettre de démission à Noëlle.

Elle l'a prise, les yeux écarquillés : « Tu démissionnes ? »

J'ai acquiescé et ai menti d'un ton calme : « Je veux changer de métier. Je ne souhaite plus être assistante juridique. De plus, mon mari est à l'étranger… Je vais le rejoindre. »

Elle avait un mouvement de surprise : « Je croyais qu'il était mort… »

Réalisant aussitôt sa maladresse, elle a rougi légèrement : « Pardon, lapsus. »

Puis, son regard s'est fait presque suppliant : « C'est dommage… Tu es si douée. Pourquoi ne pas y rester ? »

J'ai refusé d'un sourire vague.

Aussi compétente sois-je, je ne serais jamais qu'une assistante ici.

Noëlle n'avait pas tout à fait tort, d'ailleurs… Mon mari m'ignorait au point que certains pensaient qu'il n'existait pas.

Après quelques politesses, une fois ma démission acceptée, je suis allée faire la passation avec mes collègues.

À la cafétéria, j'ai aperçu Gaston en pleine conversation intime avec Sabine, son premier amour.

Oui, Gaston, fondateur de ce cabinet d'avocats, était non seulement mon patron, mais aussi le père de ma fille.

Il y a huit ans, j'étais devenue son assistante dès mon arrivée. Puis, lors d'un dîner d'entreprise, ivres, nous avions couché ensemble par accident… Et notre fille était née. Il m'avait épousée par devoir, mais en secret.

Il ne m'aimait pas. Et par extension, il ignorait notre fille, lui interdisant même de l'appeler « Papa ».

Quant à Sabine, c'était son premier amour, celle qui comptait tant à ses yeux.

Là, ils étaient assis l'un contre l'autre, collés comme des amoureux : Sabine, accrochée à son bras, se blottissait contre lui, tandis qu'il lui souriait avec une tendresse que je ne lui avais jamais connue.

De loin, on aurait cru qu'il embrassait son front.

En plein bureau… Ils n'avaient vraiment aucune retenue !

Je me suis approchée, tentant de le ramener à la raison.

« Gaston… » ai-je murmuré.

Il a levé les yeux vers moi, son regard aussi froid que sa voix : « Oui ? »

Son expression neutre m'a rappelé cruellement la réalité : je n'étais rien de plus que son assistante.

J'ai repris mes esprits et ai baissé légèrement la tête : « Ce n'est rien, Maître Chopin. Je venais juste prendre un verre d'eau. Je vous ai vu et suis venue vous saluer. »

Gaston a fait un vague signe de tête. Puis, comme s'il venait de se souvenir de quelque chose, il m'a toisée d'un air sévère : « À propos, transfère le dossier financier que tu suis à Sabine. Elle s'en occupera désormais. »

Je suis restée interdite, la réplique me brûlant les lèvres : « Mais ce dossier est presque bouclé ! Le contrat est sur le point d'être signé... »

Il a haussé un sourcil, agacé : « Exécute mes instructions et épargne-moi tes commentaires. »

Sur ces mots, il s'est levé et est parti, me coupant net toute possibilité de négociation.

Sabine m'a adressé un sourire victorieux avant de s'empresser de le suivre : « Je prendrai soin de finaliser ça pour toi. Merci pour le cadeau ! »

Je ricanais amèrement.

Quel magnifique exemple de réussite sans effort.

Ce dossier financier devait me rapporter une coquette commission une fois le contrat signé. Mais en me le retirant au profit de Sabine, Gaston lui offrait littéralement mon dû sur un plateau.

Combien de fois ce scénario s'était-il répété ces dernières années ? J'avais perdu le compte.

Peu importaient mes efforts ou mes réussites : il les ignorait systématiquement, quand il ne s'en servait pas pour flatter Sabine.

Chaque fois, la douleur était aussi vive.

Ces derniers jours, notre fille Claudette me harcelait de questions timides :

« Maman... Demain, c'est la fête du sport à l'école. Et aussi mon anniversaire... Papa viendra, cette fois ? »

Je ne savais que répondre.

J'ai essayé d'appeler Gaston, de lui envoyer des messages. Aucune réponse. Pourtant, sur les réseaux sociaux de Sabine, je suis tombée sur des photos de lui l'accompagnant au cinéma.

Pire encore : les commentaires croulaient sous les éloges.

« Quel couple parfait ! »

« Allez, mariez-vous cette année ! »

J'ai refoulé l'amer pincement au cœur, guettant vainement une réponse.

Toute la nuit est passée, et il n'était pas rentré et n'avait pas répondu à mes messages.

J'ai bu seule, ivre de chagrin.

Je savais pertinemment qu'il avait cessé de nous aimer, Claudette et moi. Pourtant, je m'accrochais encore à des illusions ?

Quelle idiote ! À quoi bon retenir un homme qui ne m'aimait plus ?

« Gaston... Je te rends ta liberté... »