Son regret éternel

…

Je me suis tenue devant notre appartement et, à travers l'immense baie vitrée, j'ai vu Lucien et Isabelle Moreau en plein baiser passionné.

Il l'a serrée avec une ardeur impérieuse, l'embrassant comme s'il voulait la fondre dans sa chair, et plus rien ne restait de son image froide et distante d'ordinaire.

Mes vêtements, mes chaussures, mes cheveux avaient été trempés par la neige, et j'étais glacée jusqu'aux os.

Ce froid s'est glissé dans mes membres et a serré mon estomac, qui s'est mis à se tordre sans répit.

Quand je les ai vus coucher sur le lit que j'avais choisi avec soin, j'ai sorti mon téléphone pour enregistrer la scène. La nausée m'a emportée et j'ai vomi jusqu'à en perdre le souffle.

Toutes ces années, Lucien ne m'avait jamais embrassée au lit.

Il avait dit qu'il avait une obsession de propreté, et je l'avais cru.

En réalité, il aimait une autre femme. Ses lèvres n'avaient appartenu qu'à celle qu'il chérissait.

Ils ont entendu le bruit et se sont tournés en même temps vers la fenêtre.

C'étaient eux les coupables, et pourtant c'était moi qui, par réflexe, me suis cachée.

Trempée par la neige fondue, je tremblais sans pouvoir m'arrêter. J'ai voulu attendre qu'Isabelle parte pour rentrer, mais après une heure, elle n'était toujours pas sortie.

J'ai éternué, puis j'ai regagné la maison, le corps raide et glacé.

Dans l'appartement, il faisait chaud. Lucien, qui n'avait jamais touché aux tâches ménagères, était en cuisine.

Ses gestes étaient assurés, on voyait bien qu'il n'était pas novice.

La hotte aspirante grondait, mais l'odeur épicée s'est quand même répandue.

J'avais l'estomac fragile, je n'avais jamais mangé épicé.

« Petite gourmande, le plat n'est pas encore prêt… »

Lucien a entendu du bruit et il s'est retourné en souriant.

En m'apercevant, son sourire a disparu. « Ah, c'est toi. Tu es trempée. Pourquoi ne vas-tu pas te changer ? Tu salis toute la maison ! »

« Désolée. »

J'ai serré ma doudoune trempée entre mes doigts et je me suis excusée par habitude.

Lucien a froncé les sourcils, prêt à ajouter quelque chose, mais Isabelle est apparue.

Ses lèvres gonflées, son visage rougi disaient assez qu'elle venait d'être malmenée d'amour.

Je l'ai regardée.

Elle a tiré sur son vêtement et a balbutié, paniquée : « Léa, tu… tu ne dois pas mal comprendre ! »

« Il n'y a rien à mal comprendre. Ce soir il neige fort, les routes sont impraticables, Isabelle dormira ici », a tranché Lucien, sans la moindre hésitation.

Isabelle était la copine de son frère. Avant qu'ils ne se marient, son frère était mort.

Toutes ces années, Lucien avait continué à la présenter comme sa belle-sœur.

Quand le repas a été prêt, Lucien a invité Isabelle à passer à table.

Il l'a vue savourer ses plats et il a souri avec elle, sans remarquer que je ne mangeais que du pain.

Après le repas, Isabelle est allée se coucher.

C'était mon appartement, et pourtant Lucien lui a laissé la chambre principale et m'a reléguée à la chambre d'ami.

« La chambre d'ami n'est pas en ordre, Isabelle ne s'y sentirait pas bien. Tu peux t'arranger. »

Mais c'était notre appartement, et je n'avais jamais dormi dans ce lit-là : comment une autre femme pouvait-elle y dormir avant moi ?

J'ai voulu protester, mais aucun mot n'est sorti de ma bouche.

Lucien est resté dans la chambre principale jusqu'à près de minuit avant de revenir à la chambre d'ami.

Gelée et affamée, je me suis sentie malade. Dans ma tête, l'image de son baiser avec Isabelle tournait sans fin, m'empêchant de fermer l'œil.

Lorsqu'il a poussé la porte, j'ai voulu l'interroger sans retenue :

Pourquoi m'épouser s'il ne m'aimait pas ?

Pourquoi embrasser une autre femme à la veille de notre mariage ?

Pourquoi être si proche d'Isabelle, comme si de rien n'était, alors que j'étais là ?

Toutes ces questions m'ont brûlé la gorge, mais à la fin j'ai seulement murmuré avec amertume : « Lucien, si tu regrettes, si tu ne veux plus de ce mariage, tu peux me le dire. »

Il pouvait annuler la cérémonie, j'étais prête à l'accepter.

Mais je n'aurais jamais accepté qu'il m'abandonne au pied de l'autel, me laissant comme une idiote.