LOGINÉlianorQuatre ans.Le temps ne s’est pas écoulé. Il s’est solidifié, coulé dans une forme nouvelle, indestructible. Il s’est fondu dans les murs de cette maison, dans le rythme des saisons au jardin, dans la croissance jumelle et parfaitement synchronisée de ce que nous avons bâti.Je suis debout à la porte-fenêtre du bureau, celle qui donne sur la terrasse ouest. Mes mains, autrefois serrées en poings de rage ou de peur, reposent à plat sur le chambranle de chêne. Elles sont calmes. Elles ont appris à caresser, à tenir, à construire. À enlacer deux petits corps en même temps.Derrière moi, dans le vaste espace tapissé de livres, règne un silence qui n’a rien d’héréditaire. C’est un silence choisi, actif, chargé de la présence de deux êtres nés du même souffle, qui absorbent le monde en miroir.Je me retourne.Sur l’immense tapis persan, là où la lumière de l’après-midi dessine un rectangle d’or, ils sont assis côte à côte. Léon. Lilou.Mes jumeaux.Ils ont quatre ans. Deux moitiés d
ÉlianorLe silence m’enveloppe, mais ici, ce n’est pas le silence acheté d’un hôtel. C’est le silence héréditaire. Il est tissé dans les lourdes tentures de soie, incrusté dans les boiseries sombres, étouffé par les tapis d’Orient qui avalent chaque pas. Il règne dans cette demeure qui n’est pas une location, mais un retour.La maison de Martha.Je le comprends en entrant. L’homme âgé qui nous accueille au seuil n’est pas un majordome de service. Ses yeux s’embuent lorsqu’il croise le regard de Martha.—Madame Martha. Bienvenue à la maison.Sa voix tremble légèrement.—Tout a été préparé selon vos instructions. Les chambres du premier, comme autrefois.Martha pose une main sur son avant-bras, un geste d’une intimité saisissante.—Merci, Charles. Vous nous avez manqué.Nous entrons. L’immense hall d’entrée n’est pas seulement vaste et lumineux ; il est peuplé de fantômes élégants. Des portraits aux cadres dorés suivent notre progression. Je reconnais le regard perçant de Martha, plus j
SabrinaIl laisse sa phrase en suspens, mais l’implication est claire. Si quelqu’un se met à fouiller le passé, nos plans risquent de s’effondrer comme un château de cartes. Et pire encore.— Je… Je n’y ai jamais pensé, avouai-je, la voix faible. L’accident… c’était avant. Bien avant que je ne commence à… à envisager tout ça. C’était un fait. Une tragédie. Un point.— Rien n’est jamais un point, Sabrina. Tout est une virgule dans une longue phrase. Et cette phrase, c’est notre vie. Notre avenir.Il revient s’asseoir en face de moi, plus calme, mais plus menaçant dans son calme même.— Il faut accélérer. Il faut reprendre le contrôle. La fille… si tu refuses de la tuer, il faut au moins être certain qu’elle ne représentera plus jamais une menace. Il faut la trouver. Vérifier son état. S’assurer qu’elle est vraiment hors d’état de nuire. Et lui… le père… il faut avancer la date. Nous ne pouvons plus attendre.— Avancer la date ? Le tuer maintenant ? Mais les soupçons…— Les soupçons ser
SabrinaSon doigt trace des motifs absents sur la table en formica de la chambre d’hôtel, différent de la dernière fois. Celui-ci sent la moisissure et le désespoir bon marché. Le plaisir charnel de notre dernière rencontre a disparu, laissant place à une atmosphère de conciliabule funèbre. La tension n’est plus sexuelle, elle est financière. Et meurtrière.— Ça traîne, Sabrina. Ça traîne trop.Sa voix est un filet plat, sans colère cette fois, mais avec une lassitude dangereuse. Il ne me regarde pas, il regarde ses propres mains comme si elles portaient déjà le poids de l’or que nous convoitons.— Je sais, dis-je, essayant de garder ma propre voix ferme. Mais les choses doivent paraître naturelles. Une disparition, puis une autre… Cela attire l’attention.— L’attention ? Il lève enfin les yeux. Ils sont froids, calculateurs. L’attention, nous l’avons déjà attirée quand la grosse a disparu. Ta fille l’a remarquée, non ? Le mari ? Personne ne vient frapper à ta porte ? Non. Parce qu’el
Sabrina Il le perçoit. Son rythme change. Il devient moins erratique, plus profond, plus délibéré. Mois punitif, plus investi. La main qui était agrippée à mon poignet comme un bracelet de fer se relâche, remonte le long de mon bras. Ses doigts se posent sur mon sein, l’enserrent. Son pouce, calloux, frotte le téton durci avec une précision mécanique, une pression insistante qui est à la fois une torture et une promesse. Un éclair de plaisir pur, coupant, jaillit dans mon bas-ventre, se mêlant à la douleur résiduelle pour créer une sensation nouvelle, vertigineuse, addictive.— C’est ça, murmure-t-il, sa voix n’est plus qu’un râle contre ma bouche, nos souffles mêlés. C’est la femme que je veux. Celle qui ne recule devant rien. Pas même devant le gouffre. Pas même devant ça.Je ne peux plus parler. Je suis engloutie. Par la marée montante des sensations, par l’émotion brute qui lacère tout filtre, par la vérité effrayante et glorieuse de ce que nous sommes en train de faire. Nous ne
Sabrina Ses doigts quittent mes cheveux et descendent le long de mon cou. Le tracé est brûlant. Ils s’arrêtent sur la pulsation folle à la base de ma gorge, s’y attardent, mesurant le tempo de ma peur et de mon excitation mêlées. Puis sa main glisse sous le drapé de ma robe, trouve mon épaule nue. La chair de poule fuse, un frisson primitif qui se propage en ondes concentriques sur tout mon torse.— Je ne vacille pas, je murmure, les paupières closes, cédant à l’inévitable traction qui me déséquilibre vers l’arrière.— Alors prouve-le. Prouve-le avec ta peau, tes os, le sang qui bat dans tes veines. Pas avec des mots de pacotille.Son baiser n’est pas un baiser. C’est un assaut. Il n’y a aucune douceur exploratoire, aucune recherche de consentement. C’est une prise de territoire. Ses lèvres s’écrasent sur les miennes avec une force qui me fait reculer d’un pas. Le goût est familier , lui, le tabac léger, un reste de café , mais violenté par l’amertume de la dispute. Je riposte avec l







