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Chapitre 4 — Les Profondeurs de l'Héritage

Auteur: Déesse
last update Dernière mise à jour: 2025-11-01 00:17:21

Kaël

Le goût d’elle me hante. Un mélange de sel, de sang et d’interdit qui imprègne chaque parcelle de mon être, plus tenace que la colère, plus profond que la honte. Mes sabots ont labouré la terre, mes naseaux ont craché des gerbes de buée rageuse. Mais on ne fuit pas ce qui est déjà en soi.

Je m’arrête au bord de la forêt, le corps tremblant, non de froid, mais de cette tension qui me dévore de l’intérieur.

Je la désire.

L’avouer,même dans le silence de mon crâne, est une défaite si amère qu’elle me vrille les entrailles.

Elle,une sirène. Moi, un Centaure. Des siècles de haine entre nous. Et pourtant, sous la lune, nos bouches se sont cherchées avec une sauvagerie qui a tout pulvérisé.

Je regarde la mer, noire et infinie. C’est là qu’elle est. Dans cet élément hostile.

Où va-t-elle? Que devient-elle quand elle quitte cette rive ?

La question brûle en moi,plus forte que tout. Je veux savoir. Je dois savoir.

Éliane

La morsure de Kaël est encore sur mes lèvres. Une marque ardente, un sceau de sa fureur et de son désir confondus. Chaque coup de nageoire qui m’éloigne de la côte est une lutte. Mon corps veut retourner vers cette chaleur brutale, vers cette terre interdite.

Mais les profondeurs me réclament. Le poids de mon sang m’entraîne vers le bas comme une pierre.

La lumière n’est plus qu’un souvenir.La pression de l’eau devient un étau familier, l’obscurité, un manteau.

Puis, les lueurs apparaissent. D’abord timides, puis nombreuses, dessinant dans l’abysse la silhouette d’Aqualis, ma capitale. Une forêt de tours de corail et de cristal. Une beauté à couper le souffle. Une prison.

Je passe sous les grandes arches, saluée par les gardes aux queues puissantes.

—Princesse.

Le mot résonne dans l’eau comme un glas.

Le palais se dresse, organique et majestueux. Les raies manta ondulent aux fenêtres. Le chant des baleines emplit les salles.

Je n’ai pas le temps de reprendre mon souffle.

—Éliane.

La voix est un ordre. Mon père.

Le Roi Nérus, sur son trône de nacre noire. Ses yeux, d’un bleu glacial, me transpercent. Il voit tout. La boue du fleuve. L’agitation dans mon regard. Peut-être même le goût du centaure.

À ses côtés, ma mère, la Reine Liora. Son visage est une sculpture de douceur et de tristesse. Elle me sourit, mais ses yeux supplient : Sois raisonnable.

Et puis, Lyra. Ma petite sœur. Elle se jette dans mes bras.

— Éliane ! Tu es revenue ! Raconte-moi la surface ! Est-ce que les étoiles sont vraiment accrochées à un grand drap noir ?

Je la serre contre moi, le cœur serré. Elle ignore encore le poids de notre lignée.

— Assez de ces enfantillages, Lyra, gronde mon père. Son regard revient sur moi. Tes escapades deviennent trop fréquentes, Éliane. Tu oublies qui tu es.

Je redresse la tête.

—Je n’oublie jamais qui je suis, père. C’est précisément le problème.

Un silence tombe, lourd. Les courtisans retiennent leur souffle.

— Tu es l’héritière du Trône de Nacre. Promise au Roi Marinus.

Le nom tombe entre nous comme une menace. Marinus. Souverain des Abysses Profondes. Une alliance cruciale. Je l’ai rencontré une fois. Ses yeux ne reflétaient rien. Aucune chaleur. Seulement l’ambition.

— L’accord est conclu, Éliane, poursuit mon père, la voix plus dangereuse. La cérémonie aura lieu lors de la prochaine pleine lune. Tes vagabondages doivent cesser. Ta place est ici.

Ma mère se lève, glissant vers moi. Elle pose une main froide sur ma joue.

—Ma chérie, c’est pour ton bien. Pour notre peuple. Marinus est un roi fort. Il te protégera.

Me protéger ? De quoi ? De la vie ? De la passion ? De ce feu que je n’ai connu qu’à la surface, dans les bras d’un ennemi ?

Je regarde autour de moi. La splendeur étouffante du palais. Le visage sévère de mon père. Les yeux inquiets de ma mère. L’amour naïf de Lyra.

Je suis la Princesse Éliane,héritière du Trône de Nacre, promise au Roi des Abysses.

Et je viens de laisser un centaure sauvage me mordre les lèvres jusqu’au sang.

Un abîme s’ouvre en moi. D’un côté, l’océan de mes devoirs, profond et éternel. De l’autre, la terre ferme, interdite, et le goût cuivré d’un baiser qui m’a plus appris sur moi-même que des années d’enseignement royal.

— Oui, père, dis-je enfin, ma voix n’est plus qu’un souffle. Je comprends.

Je baisse la tête, en signe de soumission. Mais en moi, une tempête se lève.

Cette cage dorée ne me retiendra pas.Le goût de Kaël est une promesse, et la fureur dans ses yeux, un appel auquel je ne sais pas si je pourrai résister.

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